Source : R.O.I (REVUE DE L’OCEAN INDIEN) / MARS 2013/ N°
347
LE POINT avec Sittou
Raghadat Mohamed, première femme comorienne ministre et élue députée.
A 39 ans, elle est nommée en 1991, Secrétaire d’Etat à la condition féminine et à la population par le Président Said Mohamed Djohar. C’est une grande première dans les annales de l’histoire du
pays, qui a mis du baume au cœur des femmes comoriennes qui voient se concrétiser leur plus grand rêve : Qu’une des leurs accède à un poste dans la haute sphère du pouvoir. Cette nomination
ouvrira la porte du pouvoir à cette enseignante de formation, diplômée de l’Ecole Nationale d’Enseignement Supérieur de Mvouni, option Français, Histoire, Géographie. En 1992, elle est désignée
Haut Commissaire chargé de la Promotion de la femme et de la protection sociale. Convaincue que de nombreuses femmes des régions rurales peuvent être de vrais relais, elle va à leur rencontre et
se met à leur écoute. C’est sous son impulsion et avec l’appui du Fnuap que le Haut commissariat entame les réflexions sur le Code de la famille.
Après avoir essuyé un revers électoral aux législatives de 1992, elle se représente en décembre 1993 et devient ainsi la première femme élue députée des Comores. S’étant vue confier, entre-temps,
le portefeuille des Affaires sociales, du travail et de l’emploi, elle renonce à son siège au parlement. C’est un choix motivé et allant dans le sens de son combat en faveur de la femme, car lui
offrait l’opportunité d’influencer ses collègues du gouvernement pour accepter de programmer les projets de lois et de conventions relatives aux femmes et aux enfants.
De mars à mai 1995, elle occupe le poste de conseillère du Président de la République et sera de nouveau, jusqu’en octobre 1995, en charge du ministère des Affaires sociales, de la population, du
Travail, et de l’Emploi et assumera par la suite, jusqu’en 1996, les fonctions de Secrétaire générale adjointe du gouvernement.
Elle quitte les sphères du pouvoir en 1996, après l’élection du conservateur Mohamed Taki et se consacre à son métier d’enseignante à l’Institut de Formation des Enseignants et de Recherche Scientifique à l’Université des Comores tout en s’investissant dans la vie associative. Ayant fait partie des femmes qui ont
fondé en 1995, le Réseau National Femmes et Développement (RNFD) qui n’a cessé d’encourager les femmes à entrer en politique, elle se retrouve ainsi, trois plus tard, parmi celles qui ont créé
l’Union de Femmes Comorienne pour la Démocratie (UFCD). En 2000, elle est Secrétaire générale de la branche locale de l’Ong Fawecom (Forum des Educatrices), avant d’en prendre la présidence en
2010. En 2012, elle est élue Secrétaire Générale de son parti politique, le « Rassemblement pour la Démocratie et le Renouveau » (RDR)
« Il faut une réelle volonté politique et des actes forts pour faire inverser la tendance. »
-Quelle est la place de
la femme comorienne sur le plan politique ?
L’on peut dire que sa situation s’est améliorée un peu.
Actuellement, deux femmes font partie du gouvernement de l’Union des Comores. D’autres femmes sont nommées commissaires dans les îles. Une femme est élue conseillère de l’île de
Mwali. Nous comptons cinq déléguées spéciales (l’équivalent des maires)…
Mais cela n’est pas du tout suffisant dans un pays où plus de 50% de la population sont des femmes. De plus, la loi fondamentale du pays dans son préambule reconnait de façon explicite l’égalité
des sexes et notre pays a ratifié depuis le 31 octobre 1994, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de
discriminations à l’égard des femmes ( cedaw) adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée Générale des Nations Unies et entrée en vigueur en tant que traité international le 3 septembre 1981.
D’énormes efforts restent à faire à tous les niveaux pour que la femme comorienne occupe sa vraie place.
A titre d’exemple, à ce jour, il n’y a aucune femme députée dans notre pays ! Et les trois vices présidents de l’Union des Comores sont des hommes. Pourtant, la femme comorienne prend part
activement aux campagnes électorales, adhèrent aux partis politiques et son niveau d’instruction est égale à celui de l’homme. Cette situation n’est
pas acceptable-
Il faut une réelle volonté politique et des actes forts pour faire inverser la tendance.
- - Les discours de nos dirigeants
promettant monts et merveilles aux femmes comoriennes ne suffisent pas.
- A partir de quelle année,
la femme comorienne a-t-elle commencé à s'impliquer dans la vie politique ? Quel a été le déclic ?
C’est à partir du régime
d’Ali Soilihi, du 3 août 1975 au 13 mai 1978. Cette période dite « révolutionnaire » avait, en effet, aussi bien dans les discours que dans les actes promu la femme comorienne notamment dans la gestion de la politique du
pays. Les dirigeants de l’époque avaient décrété l’égalité sans réserve entre l’homme et la femme à tous les niveaux de la vie économique, sociale et politique. Ils avaient multiplié les gestes
symboliques destinés à traduire dans la réalité cette nouvelle donnée sociologique comme les meetings des femmes aux espaces socialement, traditionnellement et exclusivement réservés aux
délibérations des notables
- On avait assisté vraiment à la mise en valeur de la femme comorienne avec sa présence dans les instances de décision : :
-
-Nomination d'une femme membre du comité national populaire, déléguée aux Nations Unies lors de l’admission des Comores à l’ONU en novembre 1975,
-
Représentation massive des femmes au sein des Comités régionaux, aux
Comités d’information, au cabinet du Président comme conseillères….
C’était un signe fort pour un Etat fraîchement créé, les Comores étant devenues indépendantes le 6 juillet 1975. Hélas ! Durant les 11 ans qui ont suivi cette période la femme
comorienne a été politiquement étouffée. Elle n’avait même pas la possibilité d’être candidate à des élections. Il a fallu attendre l’arrivée du Président Said Mohamed Djohar au début des années
90 pour que notre pays ait sa première femme Ministre et sa première femme députée.
-
Qu'est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans la politique qui est plutôt un univers d'homme ?
Depuis mon enfance mon
idéal a toujours été d’une part de servir mon pays et mon peuple et d’autre part combattre les inégalités, les discriminations et les injustices. C’est la raison pour laquelle ma vocation était
de devenir avocate, l’avocate des opprimés et des plus démunis. Mais, mes parents en avaient décidé autrement en me contraignant d’abandonner mes études pour me marier. J’ai toujours
considéré cela comme une injustice et une discrimination sexuelle.
Ayant vite compris que je
ne pouvais atteindre mes objectifs qu’à travers la politique, il m’a semblé naturel et logique de saisir l’opportunité de l’avènement du système démocratique en 1990 dans mon pays pour m’investir dans la lutte pour le changement de la perception de la gestion des affaires politiques du pays.
- Quels sont les handicaps voire
les obstacles que vous aviez dû surmonter ?
Le
statut d’une femme en soi présente des difficultés en ce sens que la femme doit trouver un équilibre entre la vie familiale, personnelle, professionnelle et politique. Ce n’est pas toujours
facile, je vous assure !
- Vous aviez été la
première femme à occuper les postes de ministre et de député. Comment cela a-t-il été accueilli par la société comorienne en général et les hommes en
particulier ?
Plutôt bien.
Ma nomination pour la
première fois à un poste ministériel en 1991, a été accueillie avec enthousiasme par mes compatriotes.
-
Quels ont été vos rapports avec vos collègues hommes du gouvernement et du Parlement, puis avec le Président de la république et avec vos collaborateurs ?
Du
statut d’enseignante au statut de ministre, j’ai gravi les échelons entourés d’hommes la plupart de temps. Pourtant, j’ai pu évoluer sans avoir senti de discrimination. Je n’ai jamais
rencontré de problème particulier dans l’exercice de mes différentes fonctions et activités.
- La discrimination
fille-garçon était-elle perceptible au sein de votre famille ?
Oui, en ce
sens que nos frères allaient jouer après la classe et nous, les filles, nous étions accablées des travaux domestiques. Et surtout pour les filles, il fallait quitter l’école après le collège,
alors que les garçons continuaient leurs études.
- Mais aviez-vous eu le soutien de votre famille dans votre ascension politique ?
Elle a toujours été à mes côtés dans mon combat politique.
-
Votre statut diffère t-il, par exemple, de celui de votre mère ?
Evidemment. Je suis scolarisée et elle non. Je travaille et gagne de l’argent alors qu’elle était
entretenue par son époux. Elle lui devait donc obéissance et soumission.
-Quel a été le plus merveilleux souvenir de votre cursus politique et le plus mauvais également ?
Mon
meilleur souvenir a été mon élection en tant que députée en décembre 1993, dans la 9eme circonscription à Anjouan.
Le plus
mauvais souvenir a été la mort brusque de mon père suite à un arrêt cardiaque à une semaine des élections législatives auxquelles j’étais candidate.
- Est-ce qu’on peut
espérer voir une femme à la magistrature suprême comorienne ?
Bien sûr.
Qui aurait imaginé, il y a quelques années, que la présidente du Libéria allait être une femme ?
- N'avez-vous pas une
ambition présidentielle ?
Une vraie femme politique a
des ambitions comme un vrai homme politique.
Interview réalisée par Noro Razafimandimby