Chers visiteurs du blog
Nous vous proposons ci-dessous les notes de lecture du jeune (par l’âge) et grand (par le talent) écrivain-poète comorien Adjmael Halidi consacrées à notre recueil de poèmes
« Cris d’ici et d’ailleurs ». Cet
article est paru dans Ya Mkobe, la revue scientifique du CNDRS (Centre National de
documentation et de recherche scientifique des Comores) dont nous remercions le directeur de publication de nous avoir autorisé à le diffuser sur notre blog pour vous.
Adjmael Halidi (photo), né le 12 juin 1986 à Tsembehou sur l’île d’Anjouan aux Comores,
est l’auteur de plusieurs poèmes publiés sur internet
et d’un recueil de nouvelles « Au rythme des alizés » publié aux éditions de la lune en 2006.
Un grand poète lunaire qui parle et commente le recueil d'un autre poète lunaire
mais novice avec des mots aussi profonds ! sans commentaires.
Bonne lecture.
Halidi
Allaoui (HALIDI-BLOG-COMORES)
Confession intime, confession universelle
Notes de
lecture sur le recueil de poèmes « Cris d’ici et d’ailleurs » de Halidi Allaoui. Moroni : Komédit, 2008, 72 p.
Par Adjmael
Halidi
Auteur du
recueil de nouvelles
« Au rythme des alizés »2006 les éditions de la lune
Entre la
Mélancolie et la Prière, une petite voix s'élève et nous fait vivre, tel un rêve éveillé, ce laps de temps qui sépare et résume toute la vie de l'Homme. Cet Homme qui né de l'angoisse, de la
mélancolie, et qui survit de prières, d'espoir. Le poète, ici, espère se confesser ; pense exprimer sa tristesse, son ras le bol, et, sa confiance à la vie à voix basse. Ironie du sort ! Il se
trahit lui-même. Quand il intitule son recueil Cris d'ici et d'ailleurs, le poète Halidi Allaoui met tout le monde dans la confidence ; ses cris diaprés, puisque trempés dans l'encre de toutes
les vies de ce monde, du nord au sud, de l'est à l'ouest, ont pris le large, quitté le jeune gosier du poète malgré lui, rien que pour consoler l'autre , l'alter ego, histoire de lui permettre
d'y croire car il n'est pas le seul à vivre pareil cas : Cris d'ici et d'ailleurs révèle un secret sans âge : la vie est un étendard qui porte toutes les couleurs , hormis la rose ; mais elle
mérite tout de même d'être vécue .
Au travers du premier vers
de ce premier recueil riche en poésie et philosophie résonne d'ores et déjà l'esprit, le thème majeur , de l'œuvre poétique de Halidi Allaoui : la Nostalgie : cette frustration que donne
l'absence de la chose aimée , ou tout simplement l'angoisse de vivre les souvenirs du royaume d'enfance loin du pays natal ,en somme , comme l'affirme le poète lui-même , la nostalgie est «
Une douleur aiguë /Qui imite le vent /(et) déchire (le) cœur » ; surtout quand ce pays « essence » est pris d'assaut par « des preneurs d'otages » . « Je scrute
la lune des îles » dit-il. Scruter, pour le jeune poète, ce n'est point le simple fait de chercher à savoir de quels maux souffre son archipel de sultans batailleurs ; même s'il
s'écrie « l'ignorance ronge l'esprit », à chaque moment où il manque d'informations sur la situation politique et sociale de ses îles. Scruter,
pour ce jeune exilé, c'est un devoir, un dur labeur qui consiste à trouver une solution adéquate aux problèmes centenaires des îles de la Lune, pour qu'enfin il puisse fuir cet asile exempté de
minarets, de cocotiers, de véranda pour les contes, de boutres ancestraux. Cet asile vécu comme un calvaire, puisque « l'été l'automne l'hiver et le
printemps /N'égalent pas (les) kashkazi et kusi » de ses îles, n'en parlons plus de ces matins dont « le soleil n'offre pas de câlins
» que tous les jours il doit supporter à l'étranger. En effet, le poète vit à Rouen, en France. Mais là-bas, même si à plusieurs kilomètres de son pays d'origine, rien n'arrive à l'empêcher de
toujours porter ses origines dans son cœur, comme auparavant, telle une mère, ce même pays lui a « intimement abrité dans (son) corps ». «
Au large de cet océan houleux / Rien ne saura nous délier », promet-il. Surtout, c'est pendant les crépuscules, à chaque lever de la lune,
emblème incontesté de l'Union des Comores, après une longue attente du « vent du soir », au moment où « (son) océan chante » que ses souvenirs ô combien !meilleurs se réveillent de leur triste tombeau, qui n'est autre que le cœur du jeune Halidi, « Point de tombeaux que nos cœurs ». Bien évidemment, le poète, ici, est « un aveugle qui voit », car même si
martyr de l'espace et du temps, aveuglé par l'écart, la distance, les kilomètres qui le séparent de son vrai pays, il arrive toujours à voir, à fouiller, à scruter « la lune des îles ». Cette lune que pour nous est à tout le monde, mais que pour le poète n'appartient qu'aux originaires des îles de la Lune. Et qu'à chaque fois
qu'il y aura cette lune tout en haut dans le ciel, le regard du Comorien partout où il sera rivé vers ses îles. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle cette lune a toutes les raisons de
rappeler au poète son archipel aux mille et une légendes. Ce qui veut dire que même si l'errance de Halidi ne prend pas toujours fin, Ouani, Moroni, Saint-Denis, Rouen... le gîte du poète sera
toujours Ouani, sera toujours les îles d'Al Kamar. Rouen n'est qu'une ville adoptive pour notre poète de l'ombre, comme il se qualifie lui-même. Bien sûr qu' Halidi espère n'être qu'un simple
visiteur dans Rouen. Cette cité perçue par Halidi Allaoui comme une marâtre, puisqu'en dépit du bonheur qu'elle procure, elle ne peut remplacer la mère biologique, qu'elle soit pauvre ou riche.
Pour le poète, Rouen le retient et le sépare de ses îles, donc Rouen est torturante. « Hélas ! Rouen torture ses visiteurs », explique le poète.
Autrement dit, le poète prie avec ferveur, surtout dans le poème Destin où il implore tous les dieux de cette terre, d'Allah (Mungu) au dieu des
poètes Orphée, par le truchement de Prévert qui l'incarne selon poète, à Mahomet (Mtrume), pour qu'enfin son exil prenne fin ; que le bonheur
qu'il est parti chercher à Rouen atteigne aussi les Comores ; que son vrai pays devienne vivable et que ses enfants ne le fuient plus. Lisez le poète à travers ces vers pleins d'anaphores et
d'espoir et vous comprendrez :
« Peut-être nous aurons pitié de toi
Peut-être nous exploiterons tes moyens
Peut-être nous deviendrons tes citoyens
Peut-être nous ne serons plus des oies »
Vivre, un vrai parcours du combattant
La question fondamentale de ce recueil, et il ne faut jamais oublier de le souligner qu'elle est existentielle, même si le décor,
telle une scène de théâtre, est surréaliste, reste toujours : comment vivre ? En effet, même si le poète croule dans la souffrance, même si les jours du poète sont sombres, des mots comme «
minuit », « nuits », « obscurité morose », «
aveugle », « soir » démontrent cette obscurité du quotidien du poète , même si le poète «
a encore la mort dans l'âme » , et, même s'il a parfois « ras le bol» , il garde toujours
espoir . Quand il confie « Las de ce monde, je voulais mourir en silence », il nous rassure qu'il va bien, et, que la feuille blanche adoucit sa
peine, lui sert d'antidépresseur. Tout en silence, le poète écrit tout ce qui lui passe par la tête. Ce qui veut dire que même si le bonheur est loin, il y croit toujours :
« Nuits d'insomnie incessantes
Attente infructueuse avec d'autres
Tout son espoir reposant sur l'éternité »
D'ailleurs, dès le tout début du recueil, Halidi l'a crié haut et fort : « Que puis-je faire
d'autre ? /Espérer, espérer... »
En effet, le poète Halidi, ne saurait mener ce combat tout seul. Il aurait failli à sa mission. La mission de persévérer, de
survivre. Des gens qu'il a connus à 20 ans le soutient. La plupart d'entre eux sont des lémures : Prévert, Bachelard, Molière, Rimbaud, Fanon, Soyinka, Labou Tansi, Abou. Ces derniers, de par
leur vécu, l'aident à assumer sa « comorianité » : le fait d'être né français du bout du monde (Comores postcoloniales), de devenir Comorien
(Comores indépendantes) et de devenir français métropolitain (le poète a la nationalité française et vit en France). Difficile de se révolter contre la Franç'Afrique (poème L'Humanité, p.49)
quand on a comme ancêtres les gaulois. Discrètement, il se révolte contre la puissance mère : il parle d'Anjouan et de Mohéli de 1997. Du séparatisme et du rattachement à la France.
« Les feuilles malgré elles
Ont choisi de se faire écraser
A sa droite il n'y a qu'une porte blanche
Au-dessus de sa tête
Se trouve un plafond tricolore
Qui baise un tissu vert »
La femme, un être omniprésent
Le thème de la femme est omniprésent dans Cris d'ici et d'ailleurs .D'ailleurs, si on veuille bien croire au poète Halidi, la
femme est sa muse, « femme de mes idées ». Elle est aussi la personne qui le pousse à ne pas baisser les bras, « femme d'espoir ». La femme est tout pour le poète. Mais de quelle femme l'auteur parle ici ? Sûrement cette « Rose du
bonheur », cette « Maman », cette « femme verset » n'est autre que ses îles.
«Elle »la bien-aimée c'est certainement son pays, les Comores. Ce pays qui le manque à mourir. Enfin, Halidi Allaoui, à travers ce tout premier
recueil de poèmes ,sorti chez Komédit (première maison d'édition comorienne) ,
prie et espère que son pays sera un jour épargné de ses tyrans, de ses mauvais enfants, de ses agitateurs qui font à ce que la population comorienne ait des « espoirs laminés ».
Adjmaël Halidi
www.adjmael-halidi.com
Source : la revue Ya Mkobe n° 16-17 / 2008
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