Lu pour vous / Source : Upanga n°23 du 10 mai 2010
La préfecture a été condamnée par le tribunal administratif pour avoir reconduit un mineur à Anjouan et a dû organiser son retour à Mayotte dans les plus brefs délais.
Reconduit à Anjouan
le 30 mars, Youssouf' a finalement regagné Mayotte le 5 mai. Le tribunal administratif a condamné le 3 mai la préfecture à rapatrier le mineur au motif qu'il n'aurait pas dû être expulsé. C'est
grâce notamment à l'acharnement de son professeur de français assistée de l'avocate Fatima Ousséni que l'affaire a pu prendre ce tournant positif
“Les enfants de la classe sont venus me voir un matin pour savoir s'il y allait avoir de nouvelles élections des délégués de classe, raconte Emilie Droit, professeur de français de Youssouf qui
était délégué de sa classe. C'est la que j'ai appris qu'il avait été reconduit à Anjouan. ” L'enseignante remue alors ciel et terre pour le faire libérer, assistée de la Cimade et de l'avocate
Fatima Ousséni. Ils obtiennent gain de cause le3 mai dernier quand le tribunal administratif reconnaît le caractère urgent de son rapatriement à Mayotte (le jeune homme était livré à lui même sur
le territoire, dans un pays qu'il ne connaissait pas et sans famille pour l'héberger). Et oblige la préfecture à ramener l'adolescent dans un délai de 96 heures.
Sur le bateau sans passer par le CRA
« C'est intolérable qu'un mineur soit arrêté, enrage l'enseignante, par ailleurs sympathisante de la Cimade. D'autant que ça presque normal aux yeux de tout le monde. Si je n'avais rien fait, il
serait encore là-bas ! Pourtant, les lois doivent être respectées. En théorie, les gendarmes sont là pour nous protéger, mais ici plus qu'ailleurs ils sèment la peur. »
Youssouf, 17 ans (dont onze passés à Mayotte) et son grand frère, majeur, sont arrêtés dans leur banga à 4 heures du matin alors qu'ils dormaient. « Nous l'avons appris le lendemain vers 11h30,
mais Youssouf s'est retrouvé dans le bateau de 11h30 sans même transité par le CRA », explique Flore Adrien, militante de la Cimade. Problème : Youssouf est mineur, mais on l'a déclaré être né le
1er janvier 1992. Le jeune a bien tenté de justifier son âge, mais les agents interpellateurs ne lui en ont pas laissé le temps. « Quand il a voulu montrer ses papiers comoriens situés à
proximité du lit, les gendarmes ont dit 'nous ce qu'on veut c'est des papiers français' » raconte l'enseignante. Seulement, la bonne date de naissance figurait sur le passeport comorien du
collégien.
« Qui dans un état de droit vient chercher les gens à 4 heures du matin dans leur lit ? » s'indigne Flore Adrien. Youssouf n'a pas été autorisé à montrer ses papiers et il n'a même pas transité
par le CRA alors que c'est justement le lieu où on peut faire valoir ses droits (prévenir la famille par téléphone, avoir accès à un médecin etc.) Ce jeune-là, entre son arrestation et sa
reconduite, n'a vu personne si ce n'est des gendarmes. À ce compte-là, on peut renvoyer 50. 000 personnes. »
Bref, cet affaire résume à elle seule les pratiques qui ont cours aujourd'hui dans la folle course aux chiffres. Et encore, ce n'est pas terminé, puisque les objectifs pour l'année 2010 ont été
revus à 25.000 reconduites (lire Upanga n°22). “Cette condamnation révèle des problèmes que la Cimade signale depuis des lustres: interpellations non respectueuses des droits et surtout manque de
temps données au traitement des dossiers. Encore plus que les autres, les dossiers de mineurs demandent une attention particulière.”
Selon la pref, il n'a pas voulu appeler sa famille
Seulement, il y a tant de personnes à reconduire que la procédure n'est pas des plus rigoureuses. En témoigne I'APRF qui porte mention d'une autre personne que le jeune mineur, vestige d'un
ancien document dont seuls les noms ont été effacés au typez (et manifestement certains oubliés). À d'autres endroits, il manque une lettre au prénom... « Les agents interpellateurs qui signent
I'APRF ne prennent pas assez de temps parce qu'on leur demande de faire vite, mais pas forcement bien », poursuit l'ancienne présidente de la Cimade.
Du côté de la préfecture, on estime que l'intégralité des droits ont été respectés.
« Les gens arrêtés sont en mesure de faire appel à leurs droits. Il n'a pas souhaité faire appel à sa famille », explique placidement
De même, la préfecture s'appuie sur un document signé de l'adolescent attestant qu'il est bien majeur. « Mais dans un rapport d'autorité, on peut faire signer n'importe quoi à un gamin de 17 ans.
D'autant qu'à Mayotte, les jeunes ont encore beaucoup de respect des règles et de l'autorité », argumente Flore Adrien. Quant à Youssouf; c'est “un garçon très timide, qui ne sait pas se défendre
et qui perd ses moyens quand on l'interroge”, ajoute sa prof.
Quant au non-passage par le Centre de rétention, la préfecture explique que c'est un cas rarissime. Mais, habituellement les reconduits n'y passent que quelques heures au motif que les conditions
d'attente y sont inhumaines. «C'est un faux prétexte, fulmine Flore Adrien. Ce qui est inhumain, c'est de ne pas pouvoir appeler la famille et de renvoyer un enfant à la va-vite dans un pays qui
ne connait pas.”
Dans l'ordonnance qu'il a rendue, le tribunal administratif reconnaît l'urgence. Une grande satisfaction pour la Cimade. «Quand un gamin a passé toute sa vie dans un endroit, qu'il a un examen à
passer à la fin de l'année, il y a urgence à le ramener auprès des siens. Exposer un enfant à l'inégalité, ça marque à vie. »
Si l'association ne se réjouit pas de la condamnation de la préfecture, elle estime important qu'il y ait un regard de la justice sur les pratiques préfectorales. Car à Mayotte, les personnes
sont reconduites à la frontière extrêmement rapidement, sans qu'il y ait de plus, intervention du juge.
« Quand on a eu connaissance de la décision de tribunal, on a pleuré », raconte Emile Droit. Mais sur un cas défendu avec succès et qui a demandé des heures de mobilisation, combien de jeunes
sont ainsi renvoyés au mépris du droit?
Si ce n'est pas la première condamnation de la préfecture par le tribunal administratif; c'est en revanche la première fois qu'il prononce une injonction à faire revenir l'enfant dans les quatre
jours et qu'il retient le caractère urgent du retour. L'avocate Fatima Ousséni espère bien que ce cas pourra faire jurisprudence
.
JULIETTE CAMUZARD