A l'instar de tous les archipels dans le monde, Kamar [2] a des spécificités propres à son caractère géographique. Les problématiques liées à l'éducation du peuple, la mise en valeur des terres, l'espacement des naissances, la place de la femme, l'information populaire... doivent avoir ici une réponse autre que celle d'un pays continental. Certes, dans un ensemble comme Kamar une politique de décentralisation et d'autonomie est nécessaire, mais elle doit surtout être suivie de mesures poussant le grand comorien à vivre à Mwali, le mohélien à Ndzuani...
De part ce constat, Kamar est donc à la fois spécifique et complexe. Spécifique parce que composé de plusieurs entités insulaires elles même différentes ; Complexe car son positionnement géostratégique à l'entrée du Canal du Mozambique a toujours attisé et attise encore les convoitises des puissants de ce monde.
Vivant dans un monde moderne en perpétuel mouvement, on ne peut qu'être stupéfait par le poids étouffant de fléaux tels que l'immobilisme, le conservatisme et le féodalisme religieux dans la société comorienne. Mais de quelle société comorienne veut-on parler ? Existe-t-il déjà une vraie Nation comorienne unie partageant un même destin ? N'en déplaise à certains, la Nation comorienne n'existe pas encore, elle reste un puzzle non construit. Nous devons tirer la sonnette d'alarme suite aux mouvements séparatistes de 1995 et 1997 [3].Aujourd'hui, les institutions élaborées en 2001, dans l'esprit de créer la stabilité et faire disparaître le cancer du séparatisme ne font qu'enfoncer dans la division la partie indépendante de Kamar [4]. Avec leurs nombreux pôles de décision – 4 exécutifs, 4 parlements -, ces institutions rendent plus complexes la gestion du pays.
Elles minent surtout l'idée d'appartenance à une même Nation par le fait qu'aujourd'hui la gestion d'une île par ses originaires contribue à retenir les gens chez eux.
En réalité, le Peuple comorien ne se connaît pas. Le tourisme et les échanges économiques inter îles sont quasi inexistants sinon nuls. Le village reste encore malheureusement la seule référence du comorien. Ngazidja (la plus grande île de Kamar) et en particuliers la ville de Moroni abrite toutes les capitales (économiques, politiques, culturelles). Les mohéliens et les anjouanais sont donc contraints de s'y rendre régulièrement pour les démarches administratives, pour des soins, pour partir à l'étranger, ou pour travailler tout simplement.
Quel serait aujourd'hui l'intérêt pour un grand comorien d'aller à Mohéli ? Aucun malheureusement.
Il existe plusieurs leviers pour provoquer un sentiment d'union nationale. Cependant, dans le cas de Kamar, plusieurs facteurs freinent la naissance de cet élan national.
C'est de cet immobilisme archaïque, vicieusement maintenu par une pseudo notabilité embourgeoisée et principalement dans l'intérêt d'améliorer le quotidien du peuple comorien que vient germer l'idée de mobilité croisée bien adaptée à la configuration de ce bel archipel.
Naturellement, il ne s'agit pas d'énoncer ici des concepts sociologiques vides de sens, car la mobilité croisée est une notion simple et pragmatique, accessible à tous lorsqu'on en explique les avantages mais aussi quand on propose des mesures concrètes pour sa mise en place.
De mémoire de comorien, seul Le Président Ali Soilih [5] avait conceptualisé mais aussi appliqué cette notion de mobilité croisée. Pendant son mandat « ....Ali va donc s'attacher à se référer, sans cesse, à un concept nouveau pour le citoyen moyen, celui de Nation (Twaïfa)... [...] Et concrètement, il institue, par décret, le 15 octobre 1976, un service national d'une durée de un an, en veillant à ce que le jeune soit affecté, autant que possible, dans une île autre que celle de la naissance... »[6]
Après l'indépendance le 6 juillet 1975, et le départ de l'administration coloniale, Ali Soilih comprend donc qu'il est impératif de créer une Nation et « grâce à son action déterminée, [il] cherche à faire apparaître une conscience et une unité nationales naissantes... » (Voir note 5 bas de page). 33 ans après cette «Indépendance de drapeau», Kamar est toujours à la recherche de cette Unité alors que notre hymne national «Udzima Wa Massiwa» [7] nous le rappelle tous les 6 juillet.
Dans ce contexte inquiétant, comment ne peut-on pas soulever encore le débat sur la mobilité croisée ?
Car mise à part sa capacité à créer enfin une Nation qui se connaît et se respecte dans ses différences, la mobilité croisée sera une grande opportunité pour le développement économique de Kamar. En effet, elle permettra des débouchés réels dans l'immobilier (notion de location de propriétés dans toutes les îles) ; la mise en place d'un tourisme local inter îles ; une meilleure occupation du territoire national (Ndzuani croule sous le poids d'une très forte densité démographique -599 hab. /km2- face à Mwali -118 hab. /km2- qui a un territoire peu occupé). Sans oublier la commercialisation de nos produits sur un marché d'environ 750 000 consommateurs répartis sur 2.236 km2 (économies d'échelle).
Dans ce même état d'esprit, chaque île a ses avantages comparatifs : Pourquoi ne pas promouvoir le bois de Bahani (Ngazidja) ? Comment oublier le goût exquis des bananes vertes et du manioc deOuallah 1 (Mwali) ? Qui connaît la qualité du lait caillé de Nioumakélé (Ndzouani) ? Le sel solaire produit par les femmes de Bandrélé (Maoré) ne bénéficiera t'il pas de meilleurs débouchés commerciaux s'il est promu sur tout le territoire de Kamar (2.236 km2)? Qui connaît l'expertise de Bandrani (Ndzuani) dans la fabrication de galawas [8] ? Pourquoi ne pas aller apprendre des techniques de pêche artisanale du petit village de Chindini dans le sud de Ngazidja ?
Malheureusement tous ces trésors n'ont qu'une visibilité villageoise au mieux régionale. Le premier porte parole pour la promotion des produits locaux, de l'artisanat, des techniques agricoles et halieutiques n'est autre que le peuple mobile sur tout le territoire national.
Il nous faut aussi relever les avantages sociopolitiques qui nous amènent à oser sans tabou ce débat pour L'Union à travers une mobilité croisée adaptée et urgente. Il est plus que logique que ce brassage des populations, cette interpénétration du peuple comorien conduira à une meilleure connaissance et/ou compréhension des idéaux, des pratiques coutumières et religieuses, des problèmes quotidiens, des habitudes alimentaires... présents sur chaque île de Kamar. De la connaissance commune née de cette mobilité, une politique nationale de « compétition intelligente sectorielle » pourra être initiée. Chaque île aura sa spécialité connue de tous dans tel ou tel secteur. Ainsi Ndzuani pourra être spécialisée dans la tomate, la viande bovine, les soins et la beauté ; Mwali dans la banane verte, le poisson et l'écotourisme ; Ngazidja dans la culture du manioc, l'élevage de volaille et la couture d'habits traditionnels ; Maoré le sel solaire, la transformation de produits locaux et la plongée sous marine.
Tous les comoriens -diaspora comprise - amoureux de leur pays, doivent saisir l'importance et l'intérêt qu'ils ont de comprendre et débattre de cette idée simple de mobilité croisée. Une idée essentielle pour que chaque citoyen puisse se sentir chez lui, partout sur tout le territoire national. En relevant ce défi, tous les comoriens contribueront à une Révolution des mentalités et à l'édification effective de la Nation comorienne. Une fois que le comorien connaîtra son territoire, connaîtra surtout la vie du voisin du village d'à côté ou de l'île d'en face, nous balayerons à jamais les démons internes et externes du séparatisme. Il en va de l'Amour entre comoriens, il en va de l'Union de la Nation Kamar...
Quel patriote osera relever ce nouveau défi ?
International Economist ; London
anrmy@hotmail.com
1 - Ce sont les navigateurs arabes qui ont donné au début du XVIème siècle leur nom à ces Iles situées dans le canal du Mozambique. Ils les appelaient couramment Kamar (Iles de la Lune)
2 - Dans cet article, nous utiliserons les noms authentiques de Ndzuani (Anjouan en français) ; Ngazidja (Grande Comore) ; Mwali (Mohéli) et Maoré (Mayotte)
3 - Le mouvement sécessionniste commence en 1995 à Mwali qui est rejoint par Ndzuani en 1997
4 - Mwali (34 500 h), Ngazidja (293 000 h), Ndzuani (254 000 h) sont indépendantes depuis le 6 juillet 1975.
Maoré (186 000 h) est restée française
5 - Chef d'Etat Révolutionnaire de Kamar du 2 janvier 1976 au 15 mai 1978. Il fut assassiné par Bob Denard.
6 - Extrait de « Ali Swalihi 1976-1977 L'IMPOSTURE » - Djahazi 04 - 2008
7 - Titre de l'hymne de Kamar. Ce titre signifie « Union des Iles »
8 - Pirogues monoxyles à un ou deux balanciers, faites en bois et longues de 3 à 10 mètres. Elles servent à la pêche artisanale dans l'océan indien.
• Opération Foires & Festiv'Iles : Foire des produits du terroir ; Festival de danses traditionnelles ; Foire de l'artisanat ; Foire des produits de la mer.
• Opération Karibou Ramadhan : Profiter de ce mois pour promouvoir et faire découvrir les spécialités culinaires de chaque île.
• Opération I Love Kamar : Choisir de présenter, le même jour et nationalement un même village dans chacune des 4 îles.
• Opération Pieds Pirogues : Marathon inter îles composé d'équipes de jeunes pratiquant 2 disciplines : course à pied et course à pirogue.
Son riche parcours professionnel le mène dans les 4 coins du globe. Après Les Canaries, les Etats-Unis, Puerto Rico, La Réunion, L'Espagne, Dubaï il pose aujourd'hui ses valises à Londres où il est chargé du développement stratégiques des marchés hispanophones et francophone d'une grande société américaine.
Très attaché à sa terre natale, il s'engage activement dans des actions humanitaires-en particulier le domaine de l'éducation et la santé. Il a aussi l'honneur d'être membre de la famille Rotaract, la branche jeune du Rotary International.