Ensemble GABOUSSI, un acteur et passeur de Traditions Comoriennes
Par Chanchiddine Ousseni
Depuis une vingtaine d’années, Zarcach Hissami Eddine, fin connaisseur de Culture et Traditions Comoriennes, préside aux destinées de l’association « Ensemble GABOUSSI de Domoni » (Anjouan). Ce groupe artistique indexé au Tamadoune (culture populaire, danses & chants traditionnels…) a pignon sur rue en tant qu’acteur et passeur de Musiques, Danses et Chants Traditionnels des Comores. Contrairement à ce que laisse sous-entendre sa dénomination, Ensemble GABOUSSI de Domoni est pluridisciplinaire. En effet, cette organisation associative pratique avec professionnalisme une diversité de danses traditionnelles mises en œuvre lors de cérémonies de mariage, de réceptions ou de communication événementielle, à l’occasion de manifestations festives ou de promotion culturelle. Elle a fait ses preuves dans ces domaines d’activités tant au niveau local & national qu’au niveau international (Iles de l’Océan Indien, Pays arabes, Europe, etc.). Aussi, elle dispense une palette de formations thématiques axées notamment sur les disciplines suivantes : Gaboussi (première danse enseignée et pratiquée à la création de la structure), Biyaya, Zifafa, Kimbizi, Gomaliyawo, Balolo, Mangota, Namandziya, Ngoma Zabanarajou, Wadaha Wa Zikélé (Chtêté), Wadaha contemporain, Mchogoro, Chigoma, Hambaroussi, Tari, Deba, etc. Rappelons que derrière chaque danse traditionnelle, il y a une histoire, une culture. D’où la nécessité de transmettre fidèlement ce pan de notre patrimoine musical et culturel, d’améliorer le rapport de la jeunesse aux Traditions, à l’Identité Culturelle et à l’Histoire.
Précisons au passage que la « danse Gaboussi » dont il est question ici, est cette danse classique au masculin souvent exécutée en duo dans un mouvement de balancement du corps de gaude à droite, avec beaucoup de grâce et d’élégance. Le chant d’accompagnement soliste aux inflexions mélodieuses et poétiques, est chanté en dialecte comorien ou en arabe. Le chanteur s’accompagne de l’instrument à cordes pincées appelé aussi Gaboussi. Cet instrument de type lyre ou luth, est originaire de Yémen. Il est à considérer comme un référent symbolique fort de l’identité culturelle Yéménite. Depuis plusieurs siècles, il est en usage dans de nombreux autres pays (Oman, Koweit, Maghreb, Andalousie, Iran, Turquie, Egypte, Irak, Indonésie, Malaisie, Kenya, Tanzanie, Madagascar…). La musique qui accompagne à la fois le chant et la danse est douce, elle génère une ambiance festive de détente, de relaxation. Somme toute, c’est une musique d’ambiance pour cocooning. Cette présentation sommaire du Gaboussi en tant que genre musical indissociable du chant et de l’instrument, éclaire plus ou moins sur l’éclectisme de nos traditions culturelles. L’on sait que l’Archipel des Comores est une société melting-pot, ayant des origines arabe et chirazienne (persane), indonésienne, bantoue (dont les habitants de la zone Swahilie), malgache…
* Ensemble GABOUSSI et Hissami-Eddine n’en font qu’un !
Comment peut-on parler de Ensemble GABOUSSI sans présenter brièvement son président fondateur Hissami-Eddine qui est au demeurant devenu une référence incontournable dans le domaine du Tamadoune ? Outre son statut d’ingénieur agronome diplômé, Hissami-Eddine est bien connu en tant qu’amoureux inconditionnel des traditions Comoriennes, de la Culture et du Scoutisme. C’est un infatigable acteur de terrain, qui plus est, passionné de la transmission de l’Identité Culturelle y compris historique des Comores. Il a fait ses preuves en qualité de grand maître de Tamadoune, manager et meneur de troupe hors-pair, au sein de diverses organisations associatives. Son sens aigu des relations humaines, son ouverture d’esprit et sa rigueur, font de lui un acteur social qui a une approche à la fois inclusive et transgénérationnelle. Ce faisant, Hissami-Eddine est une fierté pour Domoni.
* Quelles ressources humaines, quelles actions éducatives, quel public-cible, et quel rôle social ?
Ensemble GABOUSSI fonctionne avec un vivier de pointures du Tamadoune. Ce sont notamment des professionnels de la danse & de la chorégraphie, des professionnels des chants traditionnels & de la chorale associée, des instrumentalistes, mais aussi des artisans concepteurs d’instruments de musique traditionnels, etc. Cette équipe pluridisciplinaire et compétente crée bien souvent des occasions de distraction collective tout en faisant la promotion du Tamadoune qui est un vecteur de cohésion sociale à travers laquelle les citoyens de tous âges s’en donnent à cœur joie et à moindre coût. À ce titre, le Tamadoune est un passe-temps qui aide à optimiser le bien-être, à décompresser, à s’évader afin d’évacuer les soucis notamment d’ordre économique auxquels les citoyens sont de plus en plus confrontés au quotidien. Forts de leurs compétences respectives, Hissami-Eddine et son Groupe Ensemble GABOUSSI organisent des cours de danses traditionnelles qui s’adressent à un large panel d’hommes, femmes et enfants désireux de faire de l’initialisation, de se perfectionner ou de se professionnaliser. Le cœur de l’enseignement est centré sur les répertoires traditionnels locaux. Les répertoires d’autres régions sont également abordés avec bienveillance. Au vu des animations festives qui rythment la vie dans la cité Domonienne, il est clair que ce fleuron du patrimoine culturel Comorien qu’est le Tamadoune, jouit d’un engouement jamais remis en cause. La demande, en l’occurrence des jeunes, est en nette progression. La jeunesse participe massivement aux différentes festivités à dominante traditionnelle. Autrement dit, elle a soif de Tamadoune, ce qui est bon signe.
Du côté de chez Ensemble GABOUSSI, tout est mis en œuvre pour coller à cet enthousiasme social qui va crescendo. Face à une demande qui évolue, il faut être réactif avec une équipe opérationnelle motivée, une stratégie mise à jour et un plan d’action qui tient compte des nouvelles aspirations. C’est pour ce défi que Hissami-Eddine, responsable de la coordination pédagogique, travaille d’arrache-pied en renforçant la stratégie à long terme qui prend appui sur les atouts de Domoni en tant que ville de Culture par excellence, avec un fort ancrage dans le Tamadoune.
En accomplissant ses objectifs statutaires, Ensemble GABOUSSI participe à due proportion au passage de témoin entre générations. C’est dire si ce groupe artistique, participe à sa manière, lui-aussi, à la transmission du patrimoine culturel des plus âgés aux plus jeunes en vue de sa préservation, de son développement et de sa pérennisation. Il accomplit un travail de titan en redonnant vie à ces chants authentiques qui ont été légués par nos anciens, ou puisés dans la mémoire orale voire dans des recueils manuscrits ou imprimés. Quelle noble mission que d’utiliser la pédagogie basée sur la méthode démonstrative pour transmettre des savoirs, savoir-faire et savoir-être ; pour les léguer à la prospérité, aux générations actuelles et futures ! Sans conteste, cette démarche citoyenne s’inscrit dans le principe de l’éducation populaire qui consiste à promouvoir, en dehors du système d’enseignement traditionnel, une éducation visant le progrès social, la socialisation, la citoyenneté, la cohésion intergénérationnelle. Bravo les Artistes !
Force est de dire que Ensemble GABOUSSI est un authentique centre de formation continue mixte qui concourt à la sauvegarde et à la transmission de la culture traditionnelle et populaire. Les apprenants peuvent s’y inscrire à tout âge. À l’issue de leur apprentissage, ils y acquièrent a minima le « savoir-danser Tamadoune » et le « savoir-chanter les standards Tamadoune ». Ensemble GABOUSSI mériterait à terme d’être reconnu d’utilité publique et en plus labellisé « Centre de formation artistique diplômante ».
* Peut-on se projeter dans l’avenir sans se nourrir dans la mémoire du passé ?
Cette question renvoie à la nécessité de se prémunir de la perte progressive des valeurs ancestrales. Ce pour quoi Ensemble GABOUSSI milite avec beaucoup de ténacité et d’efficacité. Il est évident qu’un peuple qui perd une partie de son patrimoine culturel par exemple, est un peuple qui perd son âme et sa vision du monde. La perpétuation des valeurs d’une société permet de façonner la dignité des générations à venir, de leur donner une identité propre par l’enracinement dans l’héritage de ceux qui les ont précédées. La transmission du patrimoine est donc un véritable devoir qui incombe aussi bien aux individus qu’à la Société y compris à l’État et à la Famille. L’enjeu est grand à notre époque où nous vivons de profondes mutations résultant des mouvements migratoires des populations, du déracinement, de l’intense brassage des populations rendu possible par des mariages mixtes. L’enjeu est également important au regard des moyens de communication modernes (nouvelles technologies, Internet, réseaux sociaux,..) qui traversent les frontières et des échanges qui en découlent.
À l’ère de la mondialisation, du village planétaire (le monde étant devenu village pour ainsi dire !), la préservation des identités culturelles locales et nationales, est une question cruciale voire vitale. Il s’agit pour les peuples d’être reconnus dans leur identité propre, mieux encore de pouvoir se valoriser, de jouer leur partition dans la Société Universelle du « donner et du recevoir ». On ne le dira jamais assez, mais la sauvegarde de l’Identité Culturelle passe nécessairement et impérativement par la transmission de celle-ci, de génération en génération. Ce auquel Ensemble GABOUSSI s’emploie sans relâche et selon les règles de l’art ! Il apparaît que les modes et systèmes de transmission de cet héritage ont connu une importante évolution au fil du temps. Progrès et révolution technologiques obligent ! Pour une meilleure sauvegarde de l’identité culturelle, il est primordial maintenant de privilégier les supports des nouvelles technologies au détriment des méthodes de transmission basées sur l’oralité.
Par Chanchiddine Ousseni
Professeur Hors Classe d'Économie Gestion & Comptabilité