Vous trouverez ci-dessous le point de vue de l'historien Mahmoud IBRAHIME sur la question de Mayotte publié aussi par certains journaux comoriens. En principe, cette question devrait être évoquée par le Président de l'Union des Comores, Monsieur Ahmed Abdallah Sambi lors de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies, qui se tiendra le 27 septembre 2008. Ce sera peut être l'occasion d'en savoir plus par rapport aux dernières négociations franco comoriennes. Entendez par là ces fameuses négociations du Groupe de travail de haut niveau (GTHN) que certains ont qualifié de groupe de la honte et dont la 3ème réunion s’est tenue du 17 au 18 septembre dernier à Mayotte.
Union des Comores. Une diplomatie : pourquoi faire ?
Par Mahmoud IBRAHIME
Docteur en Histoire (photo archives)Ce sont des images tristes que celles qui sont
diffusées sur le net depuis le 4 juin 2008. Images tristes que celles du Ministre des Relations Extérieures, Ahmed Ben Saïd Jaffar, l’ancien Premier Ministre Ali Mroudjaé et les autres éminents
membres du Groupe de Travail de Haut Niveau poursuivis et harcelés dans les rues de Paris par une demi-douzaine de jeunes comoriens aux cris de " Mayotte n’est pas à
vendre".
Un membre du groupe s’est même permis de dire aux jeunes qu’il n’avait pas de leçons de patriotisme à apprendre d’eux parce qu’ils vivaient en France, oubliant que si ces jeunes sont à l’extérieur c’est faute de pouvoir vivre dans leur pays, plongé dans un gouffre par les mêmes hommes politiques.
C’est terrible qu’après plus de trente ans d’indépendance ce soient des jeunes de 20 à 30 ans, parfois nés à l’extérieur qui refusent que des diplomates adeptes de la « realpolitik » bafouent l’unité et l’intégrité de leur pays.
Comment sommes nous arrivés à cela ? Comment des fonctionnaires de l’Etat peuvent-ils autant ignorer l’histoire de leur pays, les lois, en l’occurrence la Constitution de l’Union et faire preuve d’autant de naïveté face à notre partenaire historique, celui qu’ils sont sensés le mieux connaître ? A quoi sert la diplomatie comorienne aujourd’hui si elle n’est pas capable de défendre à l’extérieur les intérêts vitaux des Comores ?
La 63e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies sera ouverte le 16 septembre 2008. La « question de l’île comorienne de Mayotte » est inscrite à l’ordre du jour provisoire depuis le mois de juillet, comme chaque année. Théoriquement, il en sera toujours ainsi tant que cette question n’est pas résolue.
Les négociations bilatérales, une politique nouvelle ?
Le 16 septembre 2008, c’est aussi la date choisie par la diplomatie française pour recevoir une délégation conduite par l’Ambassadeur Soulaimana Mohamed Ahmed à Mayotte. Cet Ambassadeur, qui aime à se désigner comme un « réaliste », ne s’est pas montré très combatif jusqu’à présent à propos du droit de l’Etat comorien sur Mayotte. Il ne faut donc pas s’attendre à une nouveauté à l’AG de l’ONU. La question sera de nouveau retirée, sauf si, à force d’humiliations, de la part des fonctionnaires français qui ne viendront pas les poches vides, les Comoriens ont un sursaut d’orgueil.
Le Gouvernement comorien devrait donc sous peu, comme les années précédentes, transmettre à notre représentant à l’ONU, l’écrivain Mohamed Toihiri, l’ordre de faire retirer cette question de l’ordre du jour.
Depuis la présidence du colonel Azali, n’en déplaise à l’actuel Ministre des Relations extérieures, qui pense avoir innové dans ce domaine, ce retrait est justifié par les gouvernements successifs par une volonté de « changer de politique ». Et comme l’énonçait cette année le même ministre, le gouvernement Sambi, entend privilégier la stratégie française de négociations bilatérales, convaincu que le combat au sein des organisations internationales serait devenu obsolète. Il faut dire qu’il s’agit bien d’une politique originale qu’aucun de nos amis (Chine à propos de Taiwan) et voisins (Maurice à propos des Chagos) n’a adoptée. Et pour cause ! Il s’agit de conflits de droit international, et le pays qui se sent privé de son droit a intérêt à demander réparation aux organisations internationales, surtout quand le partenaire feint des négociations depuis plus de 10 ans et renforce progressivement ses positions.
Le droit du plus fort
La revendication comorienne sur Mayotte ne se base ni sur le droit comorien ni sur le droit français, mais sur des principes du droit international et des résolutions de l’ONU. Il faut donc se demander pourquoi depuis tant d’années, l’Etat comorien est persuadé que ce problème se résoudra dans des discussions bilatérales alors que la France continue à agir ouvertement comme si le droit international n’était pas applicable s’agissant de Mayotte. Pourtant, une vingtaine de résolutions de l’ONU condamnent sa présence à Mayotte depuis 1975 et la présente au monde telle qu’elle ne voudrait pas l’être : une puissance qui foule aux pieds le droit international et qui met en pratique, dans cette partie du monde, la politique du plus fort.
De plus, les diplomates français connaissent la faiblesse de la diplomatie comorienne. Ici plus qu’ailleurs en Afrique, les peurs refoulées, le complexe d’infériorité de l’ancien colonisé et surtout les regrets de certains d’avoir rompu les chaînes trop tôt sont des réalités tangibles. Les Français savent qu’à cause de tout cela, dans les discussions bilatérales, ils peuvent mieux manipuler une diplomatie comorienne qui n’a aucun objectif précis depuis plusieurs années, sinon celui d’obtenir des aides. Ils peuvent donc jouer en permanence du chantage à la coopération et obtenir de leurs homologues comoriens qu’ils ferment les yeux sur leurs droits contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
C’est sur ces réflexes de mendiants que comptent des hommes politiques mahorais comme le sénateur Adrien Giraud pour faire fléchir les diplomates comoriens. Lui aussi voudrait jouer un peu du chantage au co-développement.
Sous la présidence du colonel Azali, le gouvernement a cédé à pratiquement tout. Il a rompu avec le consensus qui avait été établi par les prédécesseurs de s’opposer à l’entrée de Mayotte en tant qu’entité distincte dans l’organisation des Jeux de l’Océan Indien. Il a régulièrement fait retirer la question de l’Assemblée Générale de l’ONU. Il a signé un accord secret promettant à la France de ne pas réintroduire cette question à l’ONU pendant deux ans.
Entre naïveté et reculades
Le Président Sambi, qui a été un grand pourfendeur de la politique du colonel Azali, a avalisé les reculades de celui-ci et se compromet dans des pratiques illégales vis-à-vis de la Constitution de l’Union, s’agissant de cette île comorienne. Il a été converti aux vertus des négociations bilatérales. Il y a encore peu, il ne jurait que par sa rencontre avec le Président Sarkozy qui lui aurait promis le règlement de cette question, en particulier par l’introduction de la libre circulation des marchandises et des hommes au sein de l’archipel, Mayotte comprise.
Lorsque le danger du référendum à Mayotte a été soulevé par les associations de la diaspora, le ministre Ahmed Jaffar n’a pas hésité, en juillet 2007, à dire qu’il n’y aura jamais de référendum et qu’il avait eu des assurances à ce propos. Il venait de rencontrer des fonctionnaires du Quai d’Orsay. Depuis, il n’a pas changé d’avis.
C’est effarant de voir à quel point les hommes politiques comoriens sont ignorants du fonctionnement des institutions françaises, alors que leur pays a été colonisé pendant près de 150 ans par la France. En 1973, le président Ahmed Abdallah et les leaders du Parti Vert ont cru avoir obtenu l’indépendance des Comores dans l’unité parce que l’exécutif (le Président Giscard d’Estaing et le Premier Ministre Jacques Chirac) leur avait assuré que ce serait le cas. Ils ont oublié la force des parlementaires en France, et surtout de certains réseaux qui ont su agir auprès de ces derniers.
Aujourd’hui, le Président Sambi et son ministre des Relations Extérieures continuent à croire qu’un responsable français, soit-il Président ou un simple fonctionnaire, peut aller à l’encontre de la loi française en accordant la libre circulation entre Mayotte et les autres îles de l’archipel. Les diplomates français doivent rire, souvent. En tout cas, ils entretiennent le rêve du gouvernement comorien de conférences en rencontres dites de « haut niveau » qui n’ont qu’un seul objectif : flatter l’égo de certains responsables politiques comoriens.
Azali-Sambi : la continuité
La question de Mayotte, gelée par le gouvernement du Président Azali, est maintenue au frigo par les hommes du Président Sambi. Les conséquences sont énormes car moins on parle de l’occupation de l’île de Mayotte au niveau international et plus les Français intègrent peu à peu dans l’esprit des dirigeants européens qu’il n’y a pas de conflit entre la France et les Comores s’agissant de Mayotte. Pire, les pays africains et arabes qui ont toujours soutenu les Comores dans cette question reculent. Comment les Comoriens pourraient-ils obtenir l’aide d’autres pays alors que leurs propres gouvernements lâchent sur tous les points ?
En 2000, le gouvernement Azali a ignoré le référendum permettant à la France de lancer le processus de départementalisation de l’île, il n’y a eu aucune protestation. Voici qu’encore une fois, un autre référendum est annoncé en 2009, et le gouvernement comorien n’a rien à dire, pire, il participe à des réunions dites de « haut niveau » dans lesquelles on lui fait croire que le visa d’entrée à Mayotte va être aboli par la France. Cette même France qui en Europe demande plus de fermeté dans la lutte contre l’immigration ouvrirait à Mayotte un passage plus abordable pour les candidats africains à l’entrée en Europe ?
Mais il y a plus grave, chaque année une centaine de Comoriens disparaissent entre Mayotte et Anjouan et c’est comme si ces Comoriens n’avaient ni pays ni nationalité. Il n’y a jamais aucune réaction du gouvernement ni pour présenter ses condoléances ni pour demander des explications sur les circonstances au gouvernement français. Ce sont des associations françaises qui ont poussé leur Etat à reconnaître que les interpellations se font dans des conditions telles que certains kwasa-kwasa ne peuvent que se retrouver sous la mer.
Ne pas fâcher notre principal partenaire et obtenir le plus d’aide économique de lui, voilà le credo de notre diplomatie actuelle. Cela peut-il suffire comme doctrine diplomatique ? »
Mahmoud Ibrahime
Docteur en Histoire
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