L'affaire a fait grand bruit à Mayotte : des Mahorais bloqués à Moroni par le seul fait du prince, en l'occurrence du président de l'Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi ? Voilà quelque chose d'inadmissible pour certains journalistes qui ont décidément la dent dure contre un président qu'ils se plaisent à appeler "l'enturbanné". Mais avant de détailler les mécanismes de la propagande mise en place par certains médias, de quoi s'agit-il, au juste ?
Mi-octobre, plusieurs délégations de sportifs et musiciens mahorais se rendent en Grande-Comore, pour participer à des échanges : les membres de Kinga Folk, groupe de musique de Labattoir habitué à se rendre dans l'Union des Comores, ainsi que des handballeuses de Passamainty. Lorsque leur séjour touche à sa fin, ils se trouvent bloqués à Moroni pour une question de visa. "On avait prévu de payer le visa de sortie 500 francs comoriens, donc un euro. C'était le prix pratiqué avant", indique Ali Saïd, secrétaire général de Kinga Folk. "Mais dernièrement, ce prix est passé à 60 euros. Certains d'entre nous n'avaient pas cette somme, d'où le souci." C'est finalement le maire de Mamoudzou qui, présent sur les lieux, a réglé le problème, permettant aux Mahorais de quitter la Grande-Comore et de retrouver leurs foyers mardi 21 octobre.
Ali Saïd ajoute que lorsque le problème s'est posé, "on nous a proposé, en solution alternative, et pour éviter de payer ces 60 euros, de prendre une carte d'identité nationale comorienne, ce qui nous aurait permis de payer le visa de sortie 500 fc, donc 1 euro." Selon lui, point de chantage dans cette proposition. Au contraire : "C'était un moyen de nous aider pour la personne qui nous en a parlé". Une mesure dont a fait preuve le président du Conseil général pour qui cette affaire n'en est pas une...
La propagande en marche
Tous deux présentent l'affaire comme un coup fourré de Sambi. Une manière pour le président de l'Union des Comores d'humilier les Mahorais. Leur version : entre le moment où ces jeunes sont arrivés à Moroni et le moment où ils devaient partir, le méchant Sambi a fait passer un texte augmentant le tarif du visa de sortie. Extraits...
Le Mahorais (n°222, 21 octobre 2008, p.3) : "Les relations entre l'Union des Comores et Mayotte sont encore tendues et pour tenter de rapprocher les peuples, l'association comorienne Scout Ngome avait choisi de passer par les jeunes, loin de tous les conflits politiques. Hélas, c'était sans compter sur le président Sambi qui semble ne pas avoir apprécié cet échange innocent entre jeunes. Ainsi, quelques jours avant la fin du séjour des Mahorais, Ahmed Abdallah Sambi a fait augmenter la taxe de sortie du territoire de 1,06 à 60 euros, empêchant ainsi les adolescents de sortir du territoire. (...) L'Ayatollah aurait proposé un beau chantage : ou les jeunes payent ou ils prennent la nationalité comorienne pour sortir gratuitement du territoire." A ce moment, l'auteur de l'article cite "le directeur de communication du cabinet du président du Conseil général", qui affirme : "Et il ne s'agit pas de rumeurs !" Le directeur en question n'étant autre que Saïd Issouf, ancien journaliste qui écrivit en 2007 que Mohamed Bacar était un président "démocratiquement élu", l'information aurait mérité d'être vérifiée. Mais non : la journaliste n'a pas cru nécessaire de joindre les autorités comoriennes, ni même leurs soi-disant victimes. Elle poursuit et conclut : "La volonté du gouvernement comorien de voir Mayotte réintégrer le giron des îles de la Lune est venu jeter une fois de plus une ombre sur un geste qui partait d'un réel sentiment de partage. L'Union des Comores pense-t-elle vraiment que prendre des adolescents en otage fera changer d'avis l'opinion publique mahoraise ??" Des otages donc...
Avant de démonter cette falsification de la réalité, voyons ce qu'a écrit le directeur des Nouvelles de Mayotte, dans le style raffiné qui le caractérise...
Les Nouvelles de Mayotte (n°948, 21 octobre 2008) : "Quand aura-t-on fini d'être pris pour des blaireaux par l'enturbanné [comprendre Sambi, ndlr] de Moroni ? Après nous en avoir fait voir pendant des mois avec son chantage aux clandos [sic], le voilà qu'il prend littéralement en otage [des otages, on y revient, ndlr] de jeunes sportifs Mahorais partis en Grande Comores [la faute est de l'auteur, ndlr]. Il serait grand temps que nos responsables ouvrent grands leurs yeux plutôt qu'un autre endroit de leur anatomie et arrêtent de nous bassiner avec leur coopération régionale (...) Il suffit de boycotter une bonne fois pour toutes ces îles (...) Non mais c'est quoi ces conneries ? Décréter en voyant de jeunes sportifs mahorais, que désormais le visa de sortie coûte 60 euros c'est les prendre pour des cons (...)" On reviendra plus tard sur la répétition de litanies telles que "l'enturbanné" porteur de "babouches", et on ne citera pas les innombrables insultes du genre : "On n'a pas besoin d'aller se faire racketter par des abrutis". Arrêtons-nous seulement sur ce qu'il faudrait faire selon Les Nouvelles : boycotter le Forum économique qui se tient du 21 au 23 octobre à Moroni, dire à Sambi "d'aller se faire voir", et finalement boycotter tout court les îles indépendantes : "De toutes façons, à part la misère, y'a rien à voir !"
Outre le fait que l'auteur de ces lignes – le même qui, dans une autre récente édition, parlait du "lagon d'Anjouan", lagon qui n'existera que dans quelques centaines voire milliers d'années - n'a pas dû se rendre souvent dans ces îles pour donner ce conseil, l'on remarque que comme sa collègue du Mahorais, il n'a pas jugé important en sa qualité de journaliste de contacter les autorités comoriennes, ni même leurs soi-disant victimes.
Ce que ces médias ne disent pas (très certainement parce qu'ils ne le savent pas)
Que disent ces soi-disant victimes aujourd'hui ? "Le traitement médiatique qui en a été fait me désole." C'est Ali Saïd, de Kinga Folk, qui parle. "On a été très bien accueillis, et par les associations et par les villageois. Quand à l'administration, nous n'avons eu aucun problème. Nous regrettons juste de ne pas avoir été informés de ce changement." Et de conclure : "Je ne vois pas comment les journalistes pourraient mieux savoir ce qu'il s'est passé que moi, qui y étais ! Ils ne peuvent pas savoir mieux que moi." Or ils ne l'ont pas interrogé...
S'ils l'avaient fait évidemment, ils n'auraient pu s'adonner à leur haine de Sambi. Car de haine, ses soi-disant victimes n'en avaient pas, comme l'a également montré un reportage de Télé Mayotte. Et pour cause : si ces journalistes avaient contacté les autorités comoriennes, voire leurs confrères comoriens, voilà ce qu'ils auraient appris...
La décision de fixer à 60 euros le prix du visa de sortie ne date pas du laps de temps durant lequel ont séjourné ces Mahorais en Grande-Comore. La décision, signée par le ministre des Finances de l'Union des Comores et par le directeur du cabinet de la Présidence , date du... 4 juillet 2008. Bien avant donc que ces délégations ne se présentent à Hahaya. Si le choix d'une somme aussi conséquente est curieux – et certainement regrettable -, il apparaît difficile de lui prêter un quelconque désir de machination.
Quant au "chantage de l'Ayatollah" – "ou les jeunes payent ou ils prennent la nationalité comorienne pour sortir gratuitement du territoire" selon Le Mahorais -, il n'était en fait qu'une "proposition parmi d'autres", affirme Ali Saïd. "On ne nous a pas forcés à demander une carte d'identité." Une proposition liée à une note datant du 3 octobre 2008 (toujours avant que ces délégations n'arrivent à Hahaya) signée par le directeur de la Direction générale de la sûreté du territoire, qui stipule que tout ressortissant comorien, "quelle que soit sa nationalité indiquée sur le passeport", doit se munir d'une carte nationale d'identité comorienne.
Si cette dernière note peut prêter à confusion et à débat, nous voilà bien loin de la prise d'otage intolérable décrite par ces médias. Prise d'otage, à les croire, manigancée par Sambi lui-même. Ce dernier ne se trouvait pourtant pas aux Comores ces derniers jours : il avait quitté le pays le 15 octobre afin de se rendre au Québec, où se déroulait jusqu'au 19 octobre le Sommet de la Francophonie ...
Les enseignements de cette désinformation
Comme souvent dans ce type d'affaires, les médias locaux se sont emballés, guidés non pas par la volonté d'informer, mais par celle de dénigrer un régime qui ne leur plaît pas car il a le tort à leurs yeux de continuer à revendiquer le retour de Mayotte dans l'ensemble comorien. Paradoxalement, ils se sont faits pour une fois plus virulents que les politiques eux-mêmes – la grande majorité de la classe politique locale ne s'est pas exprimée sur le sujet et le président du Conseil général a jugé l'affaire anodine -, devenant non plus les observateurs d'un conflit délicat, mais des acteurs poussant via des procédés malhonnêtes au rejet de la partie adverse. Plusieurs enseignements ressortent de ce traitement médiatique.
1- Un anti-Sambisme primaire. Ces médias veulent faire croire – à moins qu'ils n'y croient eux-mêmes - que le président d'un pays en telle situation de crise aime à perdre son temps dans de si mesquines histoires. Les journalistes y croient-ils eux-mêmes ? Cette fausse naïveté est à ranger dans la longue liste des méthodes de dénigrement d'un président certes très critiquable. Pourquoi de tels procédés, quand ces médias pourraient se contenter d'attaquer Sambi sur son bilan catastrophique ?
2- Un mode de pensée colonialiste. Le vocabulaire employé pour évoquer Sambi ("enturbanné", "babouches", barbu") est caractéristique des écrits datant de l'époque coloniale, méprisants envers ce qui n'est pas européen. Il s'agit en l'occurrence d'un des procédés favoris de la presse française d'extrême droite. Mais bien plus : le traitement de l'actualité des Comores indépendantes s'accompagne souvent dans ces médias de sarcasmes et d'idées reçues souvent infondées, qui démontrent le mépris de leurs auteurs.
3- Un manque de rigueur récurrent. C'est une règle d'or de certains médias : quand il s'agit d'évoquer les Comores, pas question d'appeler quiconque sur place – ni autorités, ni journalistes. Le Mahorais publie certes des dépêches d'agences (qu'il ne cite quasiment jamais soit dit en passant), mais les agrémente parfois de commentaires, souvent infondés, quelquefois justes. Dans cette affaire comme dans d'autres, est-il si compliqué d'appeler la présidence ou les services de l'immigration comoriens ? Voire des confrères journalistes – dont certains basés à Moroni sont excellents ? Téléphoner à Moroni ou Mutsamudu n'est guère plus difficile qu'appeler à Paris – sauf en période de crise énergétique, ce qui n'est pas (trop) le cas actuellement.
Quel argument pousse ces journalistes à ériger des frontières dans leur propre fonctionnement ? Quelle idée se font-ils de leur métier, si leur rigueur s'arrête aux barrières tracées par la politique ?
Il ne s'agit pas de dénoncer une simple faute : tout journaliste (tout journal) commet un jour ou l'autre des erreurs, se fait manipuler ou participe malgré lui à une œuvre de désinformation. Nous nous trouvons là face à un mécanisme de propagande sinon souhaitée, du moins acceptée par les journalistes qui s'y plient.
Si tous les médias locaux ne sont pas à ranger dans la même catégorie, certains ayant fait des efforts ces dernières années pour traiter l'actualité des Comores indépendantes en rémunérant des journalistes sur place, l'affaire des "Mahorais bloqués à Moroni" est un révélateur de l'état critique dans lequel se trouve une partie de la presse locale. Parfois rigoureuse lorsqu'il s'agit de l'actualité insulaire, elle prend les traits d'un chien enragé incontrôlable dès lors qu'il s'agit d'évoquer "l'ennemi comorien".
Source : Malango Mayotte