Ci-dessous un message intéressant du FD Fédération de Mayotte et du GRDC en date du 31
mai 2008 destiné au Président de l'Union des Comores.
Bonne lecture !
Excellence, ici l’île comorienne de Mayotte !
- Le 25 mars dernier, Mayotte a résonné des fêtes organisées par les originaires des îles voisines
pour célébrer la fin du régime Bacar à Anjouan. Perspective de vie meilleure et pays à reconstruire, les projets étaient sur toutes les lèvres et vous étiez, Excellence, le garant de cet espoir nouveau.
- Le 27 mars dernier, la colère s’est emparée de tous ceux qui se sont vu privés du droit de juger
et de statuer sur leur Histoire. L’espoir d’une Justice, d’une parole sur les exactions, le séparatisme, les origines de ces maux, s’est envolé avec M. Bacar à la Réunion. Ceux qui n’avaient jamais été agressifs ou rancuniers à l’égard des « wazungu » se sont laissés aller à
voir en eux les représentants de la politique honnie d’un pays qui, depuis 32 ans, empêche la construction de l’Etat comorien. Certains ont cédé à une violence répréhensible. Tous sont devenus
les méchants à chasser du paysage prétendument si généreux de « Mayotte française » et le harcèlement savamment orchestré a fondu sur les innocents. Les marchés ont été
« nettoyés », les habitants de « vilaines maisons » tous taxés d’occupants en situation irrégulière et sommés de déguerpir par le nouveau maire de Mamoudzou entre
autres.
- Le 2 avril, l’annonce de l’interdiction des reconduites aux frontières a redonné la dignité à
tous les hommes et les femmes qui vivaient dans les brimades quotidiennes et la quête aux papiers introuvables, à tous ceux qui ne sortaient plus de leur quartier depuis parfois plusieurs années
pour ne pas subir l’humiliation d’une rafle, à tous ceux qui s’étaient réfugié dans la brousse par crainte des représailles policières et du
harcèlement de ceux qui se clament à tort ou à raison mahorais. Avec cette mesure, tous ont retrouvé le réconfort de se sentir exister, reconnus enfin, alors qu’ils avaient oeuvré à votre
élection à la Présidence ; tous ont eu le sentiment de recouvrer leur dignité bafouée, de pouvoir espérer et de compter enfin aux yeux du pays et aux vôtres, Excellence.
Excellence, ici l’île comorienne de Mayotte !
- Le 1er mai dernier, l’annonce de la reprise des reconduites et partant de votre
reddition a fait l’effet d’une véritable douche froide et d’un abandon pur et simple plus grave que l’indifférence antérieure. L’embellie si courte et l’absence de toute forme
d’explication au plus haut niveau ont permis au doute et aux rumeurs les plus folles de s’insinuer dans les esprits soudain refermés. La politique a repris ses droits. Les mécanismes
implacables qui écrasent les petits au nom d’obscures raisons ont été remis à l’ordre du jour et les Comores, un instant redevenues dignes, clairement renvoyées à leur rôle d’îles soumises.
C’était trop et on a renoué ave la défiance à l’égard de la politique et des dirigeants de ce pays tant rêvé.
Excellence, ici l’île comorienne de Mayotte !
- Depuis le 1er mai, soit depuis près d’un mois, ce sont 5 à 7 vols par jour y compris
week-end et jours fériés, plus de cent personnes à chaque voyage du Tratinga, pour un ballet incessant des reconduites à une frontière illégale, ballet orchestré par la puissance occupante et désormais autorisé par l’Etat Comorien, le vôtre, Excellence !
- Depuis le 1er mai, ce sont des élèves dûment scolarisés, au collège, au lycée et même
en 6e qui sont raflés, renvoyés et qui trois jours plus tard, reviennent en kwasa au risque de leur vie pour retrouver, comme si de rien n’était, leur place en classe avec leurs camarades.
- Depuis le 1er mai ce sont à nouveau les rafles à la sortie des mosquées, tandis que
l’imam s’insurge contre les policiers qui ne respectent même plus la religion.
- Depuis le 1er mai ce sont les camions bleus qui partent au petit matin en quête de
leur lot de reconduits menottés, ce sont les courses poursuites à travers les rues, les domiciles privés visités, les fuites dans la brousse avoisinante.
-Depuis le 1er mai la terreur a repris et toutes les voix sont unanimes pour
crier :
« Pourquoi avoir renoncé ? » et « Jusqu’à quand cela va-t-il
durer ? »
Excellence,
Notre peuple doit-il comprendre que vous avez été obligé de céder à un chantage irrésistible et que
l’indépendance de ce pays n’est qu’une fiction douce à l’oreille de ceux qui se contentent des mots ?
Notre peuple doit-il comprendre que vous croyez
vraiment à une nouvelle donne de la politique française qui, tandis qu’elle chante la libre circulation des personnes, s’applique à rattraper le retard sur ses quotas et à rafler les gens simples
qui vivent chez eux au regard du droit international ?
Notre peuple doit-il comprendre que votre politique est sans projet et sans cohésion, sans
perspective à long terme, fondée sur le pari, les initiatives ponctuelles et la mendicité ?
En l’absence de toute explication officielle claire et assumée, toutes les interprétations sont
possibles, aucune n’est constructive.
Excellence, le temps est compté et quelle que soit l’explication de ce reniement elle doit être
donnée et assumée.
Le Peuple et l’opinion internationale attendent les
termes du chantage qui a pu vous être fait.
Le Peuple attend un état clair des soutiens dont dispose réellement l’Union des Comores sur la
question de l’île comorienne de Mayotte.
Le Peuple attend de connaître l’espoir réel que vous fondez sur des négociations de haut niveau
dont la perspective n’a eu, à cette heure, pour seul effet que de relancer les reconduites aux « frontières » et de les légitimer.
Les originaires des autres îles vivant à Mayotte veulent savoir très clairement quel intérêt vous
portez au sort qui leur est fait sur leur terre et quel projet vous fondez à terme sur la question de cette île.
Excellence, la communication s’impose ; il n’est pas trop tard mais le temps
presse.
Excellence,
S’il s’agit pour vous d’adhérer à la perspective d’une relation apaisée avec la France, il importe
que vous compreniez qu’aucune politique de soutien français au développement des trois sœurs indépendantes n’empêchera leurs habitants de souhaiter, à un moment ou à un autre de leur vie, pour
une durée plus ou moins longue, venir s’installer dans l’autre île soeur qu’ils ont vocation à habiter comme il en a toujours été et qui restera quoi qu’on imagine une fiction de développement
attractive. De quel apaisement sera-t-il question quand le prix à payer en restera les rafles quotidiennes des vôtres ?
S’il s’agit pour vous de croire en un développement possible des Comores indépendantes, il importe
que vous compreniez qu’à l’heure où l’imagination s’impose pour un projet à la mesure de ce pays, de ses hommes et de sa culture, les réponses à
concevoir risquent fort d’être invalidées ou contaminées par l’image de ce que Mayotte semble proposer.
S’il s’agit pour vous de croire en la coexistence possible d’un département français peuplé de
Comoriens dont certains sont stigmatisés par leurs frères et d’un Etat indépendant peuplé de Comoriens vivant au gré des prises en charges d’ organismes internationaux où la France tient une
place prépondérante, il importe que vous vous rappeliez, Excellence, que Mayotte s’est construite sur le déni de l’autre et constitue une formidable machine à fabriquer de l’exclusion, exclusion
dont les Mahorais eux-mêmes seront les victimes à terme.
S’il s’agit pour vous de croire à la sincérité d’un Etat français qui jusqu’alors n’a jamais ménagé
ses coups contre l’intégrité et la stabilité du pays, il importe de ne pas oublier, vous venez d’en faire l’expérience, que la loi du plus fort ne s’embarrasse pas de ce qui gêne et que la
politique de la France n’a jamais su s’afficher clairement dans cet Archipel y compris pour ceux là même qui n’ont cessé de brandir leur volonté d’être « français pour être libres ».
L’actuel gouvernement français et son chef d’Etat sont enclins à annoncer aux Français des réformes percutantes et de nouvelles donnes : ceux qui vivent le quotidien de la France font
actuellement l’amère expérience de la désillusion. On peut donc se demander pourquoi il en irait autrement avec les Comores.
Excellence,
quoi qu’il en soit, vous avez accepté le principe du groupe de haut niveau, qui vous conduira à
traiter non pas d’Etat à Etat dans le cadre du droit international mais de gouvernement à conseillers généraux et parlementaires sous l’égide de la puissance occupante et au gré de sa volonté. On
peut se demander de quelle arme disposera l’Union des Comores pour faire valoir ses droits et ceux de ses citoyens.
Excellence, si vous considérez qu’il n’est plus possible de revenir sur votre engagement que nous tenons pour une erreur historique, nous vous demandons instamment toutefois de veiller à ce que les Comores ne se conforment pas à l’approche
franco-mahoraise de la réflexion sur la question de Mayotte :
- les originaires des îles indépendantes ne sont pas des
clandestins à Mayotte, quel que soit le moyen par lequel ils sont arrivés
- les originaires des îles indépendantes ne sont pas les
fauteurs de trouble au sein d’une société qui s’imaginerait pouvoir aller mieux sans eux
- les Comoriens ne peuvent renoncer à l’intégrité de
leur territoire et à leur dignité en échange de pseudo mesures de développement ; intégrité et dignité ne peuvent faire l’objet d’aucun marchandage
- les Comoriens ne se satisferont pas de mesures de
facilitation de visa qui ne profiteront qu’aux plus habiles, encourageront les pratiques frauduleuses et viendront entériner un fonctionnement anti-constitutionnel du point de vue
comorien.
S’il s’avère réellement qu’au sein de cette structure toutes les questions pourront être abordées,
il est indispensable d’exiger que la France inscrive son action dans une politique de reconstitution à terme de l’unité de l’Archipel :
- rééquilibrage économique dans la perspective d’une
réunification même lointaine
- arrêt de la réécriture de l’Histoire et lutte active
contre tous les discours ostracistes incitant à la haine et à l’exclusion
- vigilance réelle à l’égard de tous les
dysfonctionnements au regard de la loi française tant qu’elle aura à s’appliquer à Mayotte.
- vigilance totale de l’Etat français à l’égard des
manœuvres des réseaux cherchant à s’ingérer dans les affaires comoriennes et trouvant leur base à Mayotte.
- fin des mesures destinées à priver, à terme, les
Mahorais de leur identité et protection de leur patrimoine foncier
- politique volontariste en matière de défense de la
culture traditionnelle et de la langue
- vigilance quant aux équilibres communautaires au sein
de Mayotte (métropolitains, réunionnais, malgaches, originaires de l’Est de l’Afrique…)
- réflexion sur un développement mesuré de Mayotte en
harmonie avec son environnement régional.
Telles sont les attentes que pourrait exprimer l’Etat comorien et la liste n’est sans doute pas
close. Mais la plus forte des exigences, condition sine qua none du sens et de la pertinence de toutes les négociations à venir, est la reconnaissance par la France, en mots d’abord, en actes ensuite, que Mayotte est comorienne de fait, même si elle reste
actuellement administrée par la France compte tenu de la situation héritée de l’erreur historique de 1975.
Sans cette clarté et cette perspective, il ne pourra être question que de marchandages, lesquels ne
se feront qu’au prix de la dignité et de l’intégrité des Comoriens.
On imagine déjà les réactions :
- utopie, les Mahorais ne se laisseront pas faire, la
France n’acceptera jamais !
Sans doute, mais si ceci doit être évidence, alors il n’en est pas moins certain que le
rééquilibrage entre trois îles déstructurées et pauvres et une prétendante à une départementalisation, forcément synonyme de développement artificiel et de mainmise de la métropole, est une autre
utopie. Or, cette dernière utopie porte avec elle son cortège de violences, de morts en mer, de rejets de tous ordres, la garantie de désordres
toujours plus grands.
L’heure est au pari ! Que les visionnaires s’expriment !
Pari sur l’intelligence, la générosité de la France, sur son courage aussi ou pari sur la
détermination, le bon droit et l’inventivité comorienne ?
Le paysage est ouvert mais il faut trancher et le dire !
Excellence,
Si la France impose sa conception de l’ordre des choses, ses lois et la suprématie des lois
particulières sur le droit international, si la France fait du chantage, si la France ne veut discuter que de ce qui pourrait convenir à son souci de gérer les migrations dans la zone, alors que
les Comores disent NON !
Car si les Comores sont pauvres et dépendantes elles sont cependant fortes d’une seule arme et non
des moindres : celle de l’interdiction des reconduites justement.
La France menace : grand bien lui fasse !
Que l’assemblée de l’Union soit prise à témoin, invitée à s’exprimer sur l’orientation politique à
choisir, partie prenante de la construction du projet politique. Que l’information soit faite ! Que le peuple s’exprime à travers ses représentants et que les Comores prennent en main leur
réelle indépendance ! Que les Comores imposent leur volonté !
- Menace de blocage général de la
France sur les financements des Comores au sein de toutes les institutions internationales : qu’elle le fasse ! Sauf à penser que l’ensemble de la communauté internationale soit inféodé
à la France, il est plus que probable que d’autres alliances seront possibles ! Que les dossiers soient bloqués pendant trop longtemps constituera sans doute un handicap mais pour qui ?
Sûrement pas pour la plus grande partie de la population.
- Menace d’éviction des Comores de
la zone euro : qu’elle le fasse ! Il y a fort à penser que la France elle-même n’a pas grand intérêt à cette mesure qu’elle ne saurait décider seule de toute
façon !
Car les faits sont là : c‘est sans doute la France qui a le plus à perdre dans une dégradation
accrue de la situation économique comorienne. La gestion de Mayotte et des flux migratoires ne saurait permettre un total désordre, la géostratégie française ne saurait accepter de voir une autre
puissance étrangère prendre pied dans les trois îles. Si les Comores sont en difficulté dans cet imbroglio, la France elle-même est prise au piège !
- Menace de déstabilisation, de coup
d’Etat, orchestré par les forces de l’ombre ? Il n’est pas certain que la France ait la volonté ou les moyens de renouer avec sa trop célèbre tradition.
- Menace d’atteinte à votre
vie ? Un pays ne se gouverne pas sous l’empire de la peur et votre popularité est votre meilleur rempart.
Excellence,
il importe aujourd’hui que vous définissiez clairement votre projet pour l’île comorienne de
Mayotte, que vous le rendiez publique et que les politiques, les institutions et le pays tout entier en soient informés et s’en emparent.
En acceptant le principe des accords du Rocher, lesquels d’ailleurs ont été et restent à ce jour
totalement bafoués par la France, en interdisant puis en autorisant les reconduites, en acceptant le principe de la création du groupe de haut niveau, vous avez pris de lourdes responsabilités et
engagé le pays dans un processus sans précédent.
L’avenir des quatre îles Comores en dépend et avec lui le sort de près d’un million
d’habitants.
Nous voulons savoir !
Mayotte. 31/05/08. Front Démocratique Fédération de Mayotte. Groupe de Réflexion sur le Devenir
des Comores (GRDC)