INTERVIEW : Enfin ! Madame SITTOU RAGHADAT, Ancienne Ministre des Comores, sort de son silence
. « L’unité de
notre pays est naturelle et ancestrale. Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire ce n’est pas l’ancienne puissance colonisatrice qui l’a faite.»
Beaucoup de gens se posaient des
questions sur le silence de Madame Sittou Raghadat Mohamed, Ancienne Ministre des Comores, depuis
l’intervention militaire de l’AND et de ses alliés à Anjouan. Ça y est. C’est fini. Dans cette interview qu’elle vient de nous accorder, elle fait
part de ses points de vue sur plusieurs sujets d’actualité (l’intervention militaire d’Anjouan, la
question de Mayotte, la révision constitutionnelle…)
HALIDI-BLOG-COMORES (HBC) : Avec
l’intervention militaire à Anjouan, Peut-on parler de la fin du séparatisme dans notre pays ?
SITTOU RAGHADAT MOHAMED (SRM) - A mon avis, c'est la fin d'une grosse bataille mais beaucoup reste à
faire. Après l’euphorie de la « libération d’Anjouan » Nous devons nous attaquer aux vrais facteurs de la crise si nous voulons vraiment une solution pérenne. A titre d’exemple,
il faut très rapidement mettre en place une réelle politique volontariste de la lutte contre la pauvreté, favoriser la circulation inter insulaire des comoriens et concrétiser une vraie
autonomie des îles. Ce qui importe à mes yeux est la pratique et non la théorie.
HBC : On parle d’une révision
constitutionnelle, est ce que le problème comorien est d’ordre constitutionnel ?
SRM : J’ai toujours combattu la
constitution et le système institutionnel actuels. Car ils ont entre autres officialisé le séparatisme. Néanmoins, même si des retouches constitutionnelles me paraissent dans l’immédiat
indispensables, je continue à penser qu’il est temps de finir avec cette incrimination répétitive de nos institutions en général et de la constitution en particulier, et de se préoccuper de vrais fléaux
de notre pays notamment la lutte contre la pauvreté. Le débat sur la crise qui ronge notre pays ne doit pas se focaliser sur les institutions. Arrêtons d’apporter à chaque fois de fausses
solutions à cette crise. Pour moi, le problème comorien est surtout d’ordre économique, social et éducatif. Or à chaque fois, les solutions préconisées sont institutionnelles et
politiques. Chose que je n’arrive pas à comprendre.
Comme je l’ai déjà souligné, il faut en réalité
la mise en œuvre d’une politique volontariste de lutte contre la pauvreté. De plus, il y a un manque de cohésion sociale. Nous devons revoir, en effet, notre façon de faire, notre
mode de vie, certains de nos mœurs et coutumes. Il faut, d’une part, miser sur une éducation et une sensibilisation de la population pour un changement des comportements et mentalités
et, d’autre part, faire en sorte que les comoriens se fréquentent. Ces fréquentations ne doivent surtout pas être artificielles comme c’est le cas actuellement. Il est par exemple anormal
qu’on ne retrouve toujours pas des fonctionnaires de l’Etat originaires de NGAZIDJA à MWALI et à NDZUWANI. Il faut élaborer
des lois contraignantes si cela s’avère nécessaire pour appuyer et faciliter la cohésion sociale des comoriens. A titre d’illustration,
il est inacceptable qu’un grand mariage célébré dans une île ou dans un village n’ait pas la même valeur dans une autre île ou un dans autre village. Il est aussi indispensable
d’enseigner dans nos écoles, l’histoire et la culture de notre pays à nos enfants. L’éducation civique, notre histoire et notre culture doivent occuper une place importante dans nos
programmes scolaires.
Enfin, je pense que les éventuelles retouches constitutionnelles ne doivent
pas porter atteinte au principe de la tournante. Car en vérité c’est après le tour du Président de l’Union des Comores originaire de MWALI que l’on doit faire le bilan et tirer
les conséquences du système institutionnel actuel même si je continue à croire que celui- ci est très dangereux et inapproprié chez nous.
HBC : Quelle forme juridique étatique
sera viable dans notre pays : Etat unitaire, Confédéralisme, Fédéralisme… ?
SRM - Les constitutionalistes définissent l’Etat unitaire comme étant
« celui dans lequel une volonté politique unique s’impose à l’ensemble des citoyens, lesquels sont par conséquent soumis aux mêmes lois en tous domaines ».
Je pense que c’est exactement ce qu’il faut chez
nous. Il est aberrant de voir un petit pays comme le notre avec plusieurs constitutions, assemblées législatives et que sais-je encore.
Mais, personnellement, la
qualification de la forme juridique de notre Etat m’importe peu. Ce qui m’intéresse c’est ce qu’on met dedans. Je continue, en effet, à croire – je l’avais déjà dit en 1997 dans l’émission
de radio Comores « Mjumbi » - que le Comorien moyen ne maîtrise pas la subtilité des concepts juridiques de confédération, État unitaire, Fédération... ce qui compte pour lui, c'est
vivre mieux et libre. Tant que la crise économique ne sera pas résolue, l'unité et la stabilité des Comores resteront fragiles. Et toutes les réformes institutionnelles n’apporteront
rien.
Il nous faut un système étatique, peu importe son appellation, approprié au contexte actuel, pour préserver l'unité et l'intégrité des Comores, lutter contre le
chauvinisme et permettre l’autonomie des régions et non des îles. Tous les citoyens comoriens doivent être soumis aux mêmes lois en tous domaines. C’est la raison pour laquelle nous
réfutons toute idée d'une assemblée législative ou d'une constitution dans chaque île. Celui-ci doit être adapté à nos réalités locales. Autrement dit, nous devons éviter tout mimétisme
institutionnel à l’aveuglette. Ce système doit aussi conserver le principe de la tournante.
Je pense qu’il faut surtout éviter tout système juridique qui
légitimera cette fausse idée selon laquelle les Comores unies sont une fabrication artificielle de l’ancienne puissance colonisatrice.
A noter aussi que toute forme étatique ne peut pas être viable si les comoriens ne s'asseyent pas ensemble pour se poser avec sincérité la
question suivante : Pourquoi sommes nous arrivés là aujourd’hui ?
HBC : Que pensez-vous de la sécession d’Anjouan ?
SRM - Certaines personnes ont trompé la population d’Anjouan. Elles
ont exploité à des fins personnelles des revendications légitimes d’une population désespérée et désabusée.
Je ne crois pas un seul instant que la population anjouanaise voulait ou
veut réellement se séparer des autres comoriens. Mais pour éviter l’extrémisme, il faut, comme je l’ai déjà souligné, lutter contre la pauvreté et la mauvaise gestion du pays et
faire en sorte qu’il y ait une réelle cohésion sociale des comoriens. Quand on a faim, on perd, dès fois, ses repères et on a tendance à se faire manipuler facilement.
Aucune île ne pourra s’auto suffire. Après 11 ans de crise, le
constat est là : nos îles se sont appauvries davantage et Anjouan en particulier.
HBC : pensez-vous que le problème de
Mayotte a eu une influence sur la crise actuelle de notre pays ?
SRM - Bien sur. Tant que le problème de
Mayotte ne sera pas réglé il y aura toujours une instabilité dans notre pays. La crise « d’Anjouan » est aussi une conséquence logique du problème épineux de Mayotte.
HBC : souhaitez-vous le retour de
Mayotte dans le giron Comorien ?
SRM - C’est plutôt une question de devoir et non de
souhait.
Les Comores sont un pays composé de quatre îles ayant
proclamé son indépendance le 6 juillet 1975. Je suis très attachée à son unicité et à son intégrité territoriale.
Mayotte est une partie intégrante des Comores. Nous sommes un seul et même
peuple ayant en commun la même langue, la même religion, la même culture, le même mode de vie, la même civilisation…même si le comorien, de nature, a tendance à faire passer le patriotisme insulaire, régional ou villageois avant l’intérêt national. L’unité de notre pays est naturelle et ancestrale.
Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire ce n’est pas l’ancienne puissance colonisatrice qui l’a faite. Nous avons le devoir de nous opposer à la spoliation d’une partie de notre
terre ancestrale par qui que ce soit. C’est entre autres ce que nous devons enseigner à nos enfants dans les écoles.
HBC - Croyez-vous que c’est possible un jour ?
SRM - Bien sur que oui. Il faut juste que nos gouvernants favorisent ce retour en développant les trois
autres îles et en améliorant la situation vitale des comoriens. Car, en réalité, les mahorais sont "français" comme beaucoup de comoriens des
autres îles uniquement pour avoir une vie meilleure mais dans leur chair, leur sang, leur foi et leur conscience, ils sont et resteront Comoriens.
HBC - Que reste-t-il des Comores à Mayotte après 33 ans de séparation administrative
?
SRM - Je me pose plutôt la question
suivante : qu’est ce qui manquerait des Comores à Mayotte ?
Pour moi, tout ce qui est profond est toujours là : l’histoire, la
géographie, la couleur, la langue, la religion, les noms, les mœurs et coutumes…
Les années de colonisation n'y ont apporté que des changements artificiels. Le comorien reste et restera comorien peu importe son île
d’origine.
HBC - Que pensez-vous de l’indépendance des Comores ?
SRM - C'est une bonne chose et il fallait
devenir indépendant quelque soit le prix à payer. Mais c’est à nous de bien ou mal gérer cette indépendance.
Nous sommes pauvres certes, mais la pauvreté n'est pas une honte. Je préfère
mourir pauvre que vivre heureuse sous la domination. De plus, l’indépendance nous a beaucoup apporté contrairement à ce qu’on attend ici ou là.
HBC - Revenons maintenant à l’intervention
militaire à Anjouan. Qu’est ce que vous en pensez ?
SRM - Ma position sur l’intervention militaire à Anjouan a toujours été
claire. Je vous renvoie à mon point de vue intitulé « Crise anjouanaise : mettons fin à l’hypocrisie » publié dans le journal Alwatwan n°1014 du 19 au 25 octobre 2007
et dans plusieurs blogs comoriens le 19 octobre 2008 notamment le votre (Pour voir le point de vue cliquez ICI).
J’avais notamment dit ceci : « J’ai du
mal à comprendre que, malgré le drame que vit la population anjouanaise (Fonctionnaires licenciés depuis plus de 8 mois, Bacheliers sacrifiés depuis des années. Droits humains bafoués,
emprisonnements et tortures fréquents, fuite vers Mayotte avec les conséquences que l’on connaît, fuite vers Mohéli et Ngazidja et subir toute sortes d’humiliations,) l’on puisse hésiter pour un
débarquement militaire afin de régler définitivement cette crise qui reste un danger permanent de l’existence de notre pays sous prétexte que la « guerre » est dangereuse et va tuer des
innocents. Trop c’est trop. (…) N’ayons pas peur des mots et arrêtons l’hypocrisie. S’il faut intervenir militairement pour régler la crise d’Anjouan qui n’est pas en réalité un problème
anjouanais mais comorien, il faut le faire sans état d’âme. C’est un moindre mal par rapport au drame que vivent quotidiennement les Comoriens d’Anjouan. C’est un moindre mal par rapport à la
crise économique, social et politique que connaît notre cher pays depuis la naissance de cette crise. Le temps du balbutiement est révolu ! »
Donc aujourd’hui, je me réjouis naturellement de cette intervention militaire. Et
je félicite le Président de l’Union des Comores et le chef d’Etat major de l’AND d’avoir assumé avec brio leurs responsabilités. Il était
temps !
Je salue aussi la bravoure et le patriotisme dont ont fait preuve les militaires de l’AND et
les militaires des pays africains qui nous ont aidés à réaliser cette opération dans de bonnes
conditions. Je crois à cet adage qui dit : « quand on veut on peut ».
HBC - Pourquoi la communauté internationale a-t-elle attendu 11 ans pour
intervenir militairement à Anjouan ?
SRM - Il fallait juste des hommes comoriens et des nations
africaines qui étaient à même de faire preuve de volontarisme et de fermeté pour régler la crise. A un moment donné, j’avais le sentiment que les négociations diplomatiques
tournaient au ridicule.
HBC- Pour finir, qu’est ce que vous pensez de la
fuite de Mohamed Bacar ?
SRM - Il va de soi que je n’arrive pas à comprendre comment Mohamed Bacar
et consorts ont pu fuir. Quand on connait géographiquement Anjouan et la région d’Ouani, en particulier, on est en droit de se demander comment ces gens là ont pu rejoindre facilement
Mayotte par mer. Cette fuite a vicié l’opération.
Pour voir une autre interview de Madame Sittou Raghadat Mohamed, cliquez ICI
HALIDI-BLOG-COMORES / 05 mai
2008