Vous trouverez ci-dessous une contribution d' Abdallah Mohamed (Photo, archives HALIDI-BLOG-COMORES), un des architectes de l'actuel système institutionnel des Comores, aux travaux de la conférence inter comorienne tenue à Moroni du
03 au 06 mars 2009. Bien évidemment il défend avec fougue "son bébé constitutionnel"et reste fidèle à ses convictions.
Comme on dit chez nous "mtru ka dza Mwana a rudi à mulatsa" (on ne met pas au monde un bébé pour le jeter)
HALIDI-BLOG-COMORES
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UNE REVISION DE LA CONSTITUTION DU 23 DECEMBRE 2001, EST- ELLE OPPORTUNE ?
On ne peut apprécier valablement l’opportunité ou l’inopportunité de la révision de la Constitution du 23 déc 2001 qu’à la lumière du contexte politique qui a prévalu dans le pays et
qui a conduit à son adoption.
1 – LE CERCLE VICIEUX
Pendant des décennies, les Comores ont souffert de nombreux maux qui menaçaient, en permanence la cohésion
nationale et entravaient, sérieusement, tout effort de développement. Cependant, les diagnostics établis par les gouvernants successifs, bien qu’expéditifs étaient véridiques, aboutissant
toujours à une inadaptation des institutions, sans jamais relever une quelconque faute des hommes.
C’est ainsi que le pays se vit doté d’une nouvelle constitution en moyenne tous les quatre ans, sans que ces
changements des textes fondamentaux apportent les solutions attendues.
En fait, il est apparu que chaque nouvelle constitution était taillée sur mesure, plus pour servir les
intérêts du Président en place que pour répondre aux besoins réels de la nation. Il n’en demeure pas moins que cette valse s’est poursuivie pendant des décennies sans que rien ni personne ne
parvienne à y mettre un terme.
Résignés, les comoriens se sont, peu à peu, désintéressés de la politique, l’abandonnant aux mains de
politiciens peu scrupuleux qui la percevaient plus comme un moyen de s’enrichir que comme un outil de transformation de la société. Lentement mais sûrement, une crise de confiance s’instaura
entre gouvernants et gouvernés. Les revendications insulaires se firent de plus en plus pressantes.
Cette crise s’aggrava au point que toute initiative prise par les premiers était suspectée de partial ou de
favoritiste ou contestée par les seconds dans une sorte de boycott déguisé de l’action gouvernementale.
Le paradoxe est que les politiciens de tous bords ne semblaient pas prendre conscience de la gravité de la
situation. Ils continuaient leur mascarade en s’amusant à dénoncer, sournoisement, la mauvaise gouvernance quand ils se trouvaient dans l’Opposition et à s’y appuyer comme système de gouvernement
une fois au Pouvoir. Se méprenant sur le silence fataliste de la population, ils semblaient considérer que celle-ci s’y accommodait et, ne se rendaient toujours pas compte que le pays était au
bord de l’implosion.
En effet, une bonne partie de la population des trois îles ne comprenait pas que, par le passé, le pays ait
lutté, avec conviction, pour accéder à l’indépendance et qu’une fois celle-ci acquise, l’ordre fasse place au désordre, le pillage de l’Etat et les passes droits gagnent droit de cité, au grand
bonheur des politiciens locaux.
Les anjouanais, eux, décidèrent d’exprimer, par des actes, leur réprobation. Ils refusèrent de continuer de
lier leur destin à celui d’un pays qui allait, manifestement, à la dérive et proclamèrent l’indépendance de leur île en août 1997. Ainsi est née la crise séparatiste anjouanaise.
2 –DU SEPARATISME AU PACTE
De toutes les crises politiques que le pays a traversées, la crise séparatiste anjouanaise est, de loin, la
plus profonde par son ampleur mais aussi par ses conséquences prévisibles tant pour le pays lui-même que pour toute la région. C’est pourquoi, les autorités comoriennes ont sollicité l’aide de la
communauté internationale pour son règlement.
Dans un climat politique très acerbe, face à des anjouanais intransigeants et très déterminés, le dialogue
inter-comorien n’a pu être amorcé que grâce à la pression de la communauté internationale très impliquée dans la recherche d’une solution qui préserve l’unité nationale et l’intégrité
territoriale du pays.
C’est au terme d’un marathon diplomatique très onéreux, marqué par deux grandes conférences à Addis Abeba et
à Antananarivo, plusieurs rencontres des parties comoriennes encore à Addis Abeba, Pretoria, et Fomboni, sans parler des nombreux déplacements de délégations de la communauté internationale aux
Comores que les anjouanais ont, peu à peu infléchi leur position. Ils ont alors soumis des propositions allant dans le sens d’une réorganisation plus équitable du système politique du pays qui
tienne, largement, compte de sa spécificité insulaire. Ces propositions se résument en deux points précis, à savoir :
Elles reçurent l’adhésion des autres parties comoriennes ; d’où la signature de l’Accord-cadre de
Fomboni du 17 février 2001.
Ce document paraphé par toutes les parties comoriennes ainsi que par l’Union africaine et l’Organisation
Internationale de la francophonie, agissant es qualité de représentants de la communauté internationale et de garants de l’Accord-cadre, a effectivement institué un partage du pouvoir entre
l’Etat et les îles dans le cadre d’une décentralisation accordant une large autonomie à ces dernières. Quant à la Présidence tournante, il fût convenu de l’inscrire directement dans la nouvelle
Constitution qui allait être rédigée en conséquence.
Tant le contexte de son élaboration que les aspects consensuels et solennels de son contenu et des termes
employés, font de l’Accord-cadre de Fomboni du 17 fév 2001, un véritable PACTE scellé entre les comoriens pour assurer la stabilité politique du pays et renforcer la cohésion nationale. Ce PACTE
s’étend, logiquement, à la Constitution du 23 déc 2001 dont la rédaction a été largement inspirée par ledit Accord.
3– LE NOUVEAU DEPART : POSITIVER L’INSULARITE
La Constitution du 23 déc 2001consacre, comme convenu, le partage du pouvoir entre l’Union et les îles
(préambule et art. 11) et la présidence tournante entre les îles (art. 13). Cette solution consensuelle crée, désormais un cadre nouveau mieux adapté à l’insularité du pays et propice à une
participation effective de tous les comoriens, quelle que soit l’île d’origine, à l’effort collectif de son développement.
En effet, la présidence tournante assure la stabilité des institutions en ce sens que :
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Elle met fin aux coups d’Etat à répétition grâce à la promotion d’une culture démocratique dans le
renouvellement des institutions et du fait que les îles s’ érigent, spontanément, en gardiens des institutions parce qu’elles y trouvent leur compte ;
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Elle renforce la cohésion nationale par une égalité de chance effective de tous les comoriens à accéder à
la magistrature suprême du pays ;
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Elle encourage une compétition entre les îles pour toujours mieux gérer les affaires du
pays.
Avec le partage du pouvoir entre l’Union et les îles, l’insularité cesse d’être un handicap pour devenir un
atout pour le développement du pays.
-
Le partage du pouvoir limite l’exode des îles vers Moroni ;
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Il décongestionne l’administration centrale en incitant les cadres à se déployer dans les
îles ;
-
Les îles deviennent des acteurs à part entière, du développement du pays.
En résumé, à la différence des Constitutions antérieures, systématiquement taillées sur mesure au profit des
présidents en place, celle du 23 déc 2001 est une œuvre consensuelle et collective de tous les comoriens. Elle fait un véritable « management » de l’insularité que le pays n’a pas su
gérer avec toute l’attention requise, par le passé.
La Constitution du 23 déc 2001 apporte ainsi des remèdes à de nombreux maux qui gangrénaient le pays depuis
des décennies, lesquels maux monopolisaient l’attention des gouvernants et les empêchaient de s’atteler aux tâches réellement utiles au développement du pays.
La Constitution du 23 déc 2001 est conçue pour préparer le pays à relever, dans le long terme, un défi plus
ambitieux : celui du développement dans un environnement insulaire. A cette fin, plusieurs phases sont au programme. On en est encore à la première. Dans celle-ci, il est nécessaire que
chaque île puisse diriger le pays sous le régime de cette Constitution, dans le respect de la tournante. Comme l’a fait l’île de la Grande comore avant l’île d’Anjouan, celle-ci doit donc assurer
la présidence pendant quatre ans puis la céder à l’île sœur de Moheli en 2010 pour quatre ans. Cela facilitera autant l’évaluation prévue en 2014. Il s’agit de veiller à l’équilibre entre les
îles dans l’esprit du PACTE. Du succès de cette première phase dépend la suite du programme.
Il est vrai, on le dit, que la politique n’est pas une science exacte… Mais seulement quand elle est
politicienne ; pas quand elle est au service d’un idéal comme le notre. Dans le cas d’espèce, une révision constitutionnelle ne peut pas être improvisée. Le Président de l’Union doit avoir
de bonnes raisons pour vouloir changer la Constitution du 23 déc 2001 et ce sont ces raisons que nous sommes en droit de connaître.
En tout état de cause, et pour les raisons que nous venons de montrer une révision de cette Constitution,
maintenant, ne nous semble pas opportune.
4– L’INOPPORTUNITE DE LA REVISION CONSTITUTIONNELLE ENVISAGEE
Il résulte de tout ce qui précède que la Constitution du 23 oct 2001 a beaucoup apporté au pays. La stabilité
des institutions et la cohésion nationale apparentes sont encore fragiles, leur pérennisation interpelle tous les comoriens. Cela signifie que le dialogue et la concertation doivent prévaloir en
ce moment où chaque comorien devrait faire des sacrifices encore plus grandes, dans un élan patriotique.
Nous rappelons que, outre les mécanismes prévus pour le règlement des conflits entre les institutions, cette
Constitution renvoie à des lois organiques la solution à un certain nombre de questions importantes. On ne peut donc pas justifier son abandon brutal sans même l’avoir évaluée, sous le faux
prétexte qu’elle paralyse l’action gouvernementale, pour adopter une autre imposée, de surcroit, par un Président en fonction. On ne peut pas comprendre, non plus que le Président de l’Union
demande aux comoriens d’approuver un projet dont le contenu parait dangereux politiquement et anticonstitutionnel, juridiquement.
Sur le plan politique, l’avant projet est dangereux :
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Ce n’est une correction des dysfonctionnements mais plutôt un rejet pur et simple de l’expérience en
cours ;
-
Il signifie la rupture du PACTE en ce sens qu’elle porte atteinte à des points fondamentaux de la
réconciliation nationale ;
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Il force le pays à renouer avec les vieux démons des constitutions taillés sur mesure pour servir des
intérêts des présidents en place ;
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Il expose le pays aux risques de voir ressusciter des maux que la Constitution du 23 déc 2001 avait
réussi à remédier.
Sur le plan juridique, il est inconstitutionnel et, son maintien risque de placer son auteur au dessus des
lois du pays :
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Il est en violation flagrante avec l’article 37 de la Constitution en vigueur. En effet, bien que l’art.
37, alinéa 2 de la Constitution stipule qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte (…) à l’autonomie des îles »,
l’avant projet (art. 5) s’est permis de retirer aux îles toutes les compétences qui leur sont dévolues par la Constitution en vigueur pour les remettre à l’Union et de ce fait, il porte
atteinte à l’autonomie des îles.
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Il viole aussi l’article 13 de la Constitution en vigueur en ce sens qu’il est une voie détournée dont la
finalité est d’entraver la tournante en permettant au Président actuel de se maintenir indéfiniment au Pouvoir. En effet, la combinaison des art. 7, 8,17 et 18 de l’avant projet fait
apparaître que le mandat du Président de l’Union passe de 4 à 5 ans mais que celui-ci ne quittera ses fonctions qu’en même temps que les présidents des îles. Comme le mandat du Président de
l’île d’Anjouan arrive à terme seulement en 2013, c’est à cette date que tous les exécutifs, y compris celui de l’Union, seront renouvelés, du moins en théorie. Or comme le calendrier des
élections est proposé par l’exécutif de l’Union et soumis au vote de l’assemblée de l’Union, on peut penser qu’avec le jeu de la dissolution et les grandes possibilités du président de
l’Union d’avoir une majorité au sein de la nouvelle assemblée élue, l’examen de ce calendrier risque d’être retardé indéfiniment. La première phrase de l’art. 17 de l’avant projet conforte
cette hypothèse.
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l’avant projet manque d’objectivité. La première phrase de l’art. 17 ainsi libellée : « la
présente loi s’applique au Président de l’Union actuellement en fonction… » rend le contenu de l’avant projet subjectif et suspect car le président de l’Union n’a pas fait preuve
d’humilité ni d’abnégation. On peut penser qu’il n’a initié la révision que pour en profiter personnellement et que dans le cas contraire il ne l’aurait peut-être jamais fait.
Chef de la Délégation d’Anjouan
ABDALLAH MOHAMED
Mars 2009