A propos des Comores, de tout et de rien
et pour un 2010 de tous les possibles sous le volcan
Avis à ceux qui n’étaient pas au courant ! On réhabilite Humblot et Pobéguin dans nos îles avec la complicité des hommes de
science. A force, la colonisation devient une affaire positive. Nos cadres se ruent à Mamoudzou, sur le lagon, en quête d’un boulot, prétextant le manque de considération, ailleurs, en France ou
aux Comores indépendantes. A Moroni, on crée des associations d’indigènes, du type France-Comores Echange, pour protéger les intérêts français. On salue même la générosité de Monsieur
l’Ambassadeur, sollicitée sur la Place de France, pour des projets sans réelle portée dans l’économie nationale. Sans doute pour contrer l’offensive arabe que le président Sambi est seul à
prétendre contrôler. Des « arabes » qui paient avec une monnaie de singe, le sieur Bachar Kiwan n’étant en réalité qu’un rabatteur pour des investissements en eaux profondes, un
rabatteur sachant cependant compter sur ses rétro-commissions pour tenir bien droit sur ses pattes. Raison pour laquelle on multiplie les promesses du lendemain. Car il va sans dire que demain
nous serons mieux qu’aujourd’hui…
Cela n’a l’air de rien, mais le constat est là, bien là. Nous vivons dans une bulle, à l’intérieur de laquelle nous feignons de pouvoir gommer, par un simple jeu
d’évitement, la complexité d’un monde qui se refuse à notre droit à l’existence. Nous fermons les yeux sur la réalité rampante, et à chaque mauvais coup reçu, de petits malins s’en ébaubissent
comme au premier jour de leur vie, oubliant qu’ils sont complices d’une opération de déstructuration d’archipel à grande échelle. Que la France continue à déconstruire le pays en profondeur, à le
miner de l’intérieur, bien qu’elle n’affiche plus son gros appétit, nous le savions. Nous le savions d’autant plus qu’ils sont encore nombreux parmi nous à lui tendre la main dans l’indignité et
le déni. Une suite à l’inconvenable situation fabriquée en ces îles par la patrie de Humblot depuis plus d’un siècle. Situation due aux multiples renoncements de l’élite comorienne. Un ramassis
d’hommes de mains de seconde zone, à double discours, et pour qui mentir aux compatriotes, et agir contre leurs intérêts, est synonyme de fortune personnelle. A se demander, parfois, si ces
hommes, choisis ou autoproclamés parmi les meilleurs d’entre nous, se rendent bien compte de ce qu’ils sont devenus, des fossoyeurs ambulants.
Certes, Dieu lui-même ne nous dégringole pas encore sur le paletot, mais cela ne saurait tarder. Ce qui ne nous interdit nullement de parler de ces autres fronts
sur lequel l’élite comorienne brille par son absence, sauf lorsqu’il s’agit de brosser le poil d’un nouveau maître sur nos terres. En short-list, au bout de la ligne d’horizon, il y aurait ces
richesses minières, récemment annoncées par le président Sambi. Il y aurait les hôtels en développement, du groupe Gulf Holding, et le contrôle des marchés portuaires, validé par l’Etat de
l’Union. Il y aurait cette emprise financière, sur les médias et les esprits, qui se concrétise chaque jour, un peu plus. Il y aurait le blanchiment d’argent que l’on supputerait, dans les
coulisses de la coopération entretenue avec nos cousins d’Orient. Il y aurait cette affaire de citoyenneté, revendue à plus offrant, au Koweït, à on ne sait qui. Il y aurait ensuite la revente
d’une partie des télécoms nationales pour trois fois six sous, avec plus value pour un homme du sérail présidentiel, ou encore ces négociations en cours pour le
contrôle des dessertes aériennes pour le compte du vice-président. Se renier n’est pas chose simple, mais nos derniers gestes en politique, contraires au destin d’un peuple aspirant à sa liberté,
n’auraient pas que Mayotte française comme instrument de mesure, désormais. Il y aurait aussi le facteur dit « arabe ».
L’ennemi, et ses visages multiples, ne manquera pas, en nous écoutant, d’affirmer que nous sommes d’éternels mauvais esprits. Car nous sommes parmi ces rares
comoriens qui s’oppose, au progrès, promis par des représentants de fonds d’investissement dont nous ne maîtrisons pas les courbes ascendantes. Comme nous avons toujours été retors à la
générosité d’un pays ami, déconstruisant l’archipel depuis plus de 150 ans, sans la moindre concession. Dans nos délires, nous rejetons jusqu’à cette idée, nettement répandue dans l’opinion,
d’une communauté d’étrangers, qui nous aimeraient plus que nous-mêmes. C’est vous dire ce qui choque dans nos attitudes au grand jour. Nous ne savons guère apprécier la valeur d’une main tendue,
surtout lorsqu’elle se pique de perversité au quotidien. Ce qui n’échappe pas à notre ministre des affaires étrangères, qui aurait insisté récemment sur le mauvais esprit de ses concitoyens. Des
concitoyens qui ne savent pas dire merci, y compris à Sambi, qui a tellement fait pour protéger la souveraineté menacée de son pays depuis sa prise de Beït-Salam. A en croire ce bienheureux
ministre, nous passerions notre temps à lister nos petits malheurs, en rejetant la faute aux autres, à la France, à Bachar et à sa clique, en n’oubliant d’interroger la nôtre, de responsabilité.
Qu’avons-nous fait qui nous autorise à dispenser telle ou telle autre leçon à ceux qui trahissent l’intérêt général dans ce pays ? Il n’a pas tort, Monsieur Djaffar. Nous n’avons absolument
rien fait. Mais promis, Monsieur le ministre, une fois n’étant pas coutume, nous allons nous livrer séance tenante à un rituel d’auto-flagellation dans les règles. Encore faut-il savoir ce que
cache ce « nous » à visée fantasmatique. Qui est ce « nous » possiblement affabulateur ? Une difficile question, à laquelle nous répondrons traîtreusement, en nous
camouflant derrière une bannière unique. Une bannière qui, grâce à nos tours de passe-passe honnêtes, n’exposera le nom d’aucune personnalité en particulier. Une bannière qui, néanmoins,
concernera tous ceux en qui le peuple espère ou espérait pour sa survie. Nous parlons là de cette fameuse élite comorienne en panne de projets depuis le temps de feu Mbae Trambwe.
Etat des lieux consternant, c’est le moins qu’on puisse dire, nos faiblesses, nos incapacités, nos manquements, remplissent plusieurs pages d’écriture dans
l’histoire de la renonciation. Renonciation à la dignité, s’entend ! Rappelons-nous de la période la plus récente. Celle qui se situe avant le 6 juillet 1975. L’élite, cette élite, à
laquelle nous nous devons d’appartenir pour la circonstance, ne travaillait alors que pour celui qui l’avait formé, nourri au fouet et au mépris, c’est-à-dire pour le colon. On ne pouvait rien
n’attendre d’elle, ce qu’on peut aisément comprendre en notre époque néolibérale. Nous faisions alors amis-amis avec l’ennemi, et ne fabriquions pas de cachoteries. Après le 6 juillet 1975,
examen de conscience aidant, nous dûmes par moments jouer aux patriotes intermittents, avant de montrer assez vite que nous pouvions œuvrer contre nous-mêmes. Si l’on excepte la période
soilihiste, un accident de l’histoire avec un grand « A », le tableau reste noir de monde. La faute à nos présidents qui se sont fourvoyés, avec l’ennemi sans prendre la moindre
précaution d’usage. A nos intellectuels, qui ont cessé de penser, en croyant réussir une ascension sociale au royaume des traîtres. A nos cadres, qui ont déserté l’intérêt général, en voulant se
transformer en winner à cercle restreint. La faute à « nous » ! L’élite ! Car nous avons failli à tous les étages. Mais aurions-nous eu envie de lutter contre le désastre
engendré dans ce paysage insulaire que l’on nous aurait déjà tous abattu. Nous ne ferons d’ailleurs la leçon à personne, pas même au ministre Djaffar des Affaires Etranges, qui, fidèle à la
tradition, fléchit sans compter son opinion sur l’intégrité physique de l’archipel dans cette guerre sans nom, et à la suite de laquelle le peuple comorien se morfond dans une cage. En deux mots,
notre destin privatisé, au nom d’intérêts qui échappent à l’entendement du peuple, pose clairement la question de la responsabilité, non pas collective, mais de l’élite.
A quoi auront servi en effet les années de privations de nos vieux parents, si nous, nous continuons à insulter l’avenir ? Ils nous avaient envoyé sur les
bancs d’école, en espérant nourrir des lendemains meilleurs. Mais des années de rouerie politique, en faveur du plus fort, nous ont appris à nous assoir sur leur destin. La loi de la jungle, qui
est la seule qui donne tort au plus faible, sans discuter, a permis d’établir une oppression sans fin, qui a aliéné jusqu’aux lignes de défense de nos cerveaux. Notre fragilité au combat est
manifeste. L’élite comorienne dans son ensemble s’est désengagée de sa réalité depuis le 19ème siècle, parce qu’elle a eu peur de la complexité
d’une guerre, menée d’abord à coup de ruses, ensuite avec des armes d’une rare efficacité, allant du kalash de chien de guerre au visa de Consul pour Marseille. Au passage, l’économie du plus
fort nous aura brisé jusqu’à l’échine, non pas parce que nos adversaires, au visage terriblement changeant, savaient battre leurs cartes mieux que personne, mais plutôt (et surtout) parce que
nous leur avons servi de petites mains. Comment appelle-t-on un homme politique qui se met au service d’intérêts contraires à son peuple ? Il est facile de parler de Bachar ou de pointer du
doigt sur Humblot & Cie, qui ne sont que des vilains protagonistes d’une histoire autrement plus complexe, dans laquelle notre pays est programmé pour servir de paille à des puissances
d’argent constituées dans l’ombre. Mais si nous retournions, ne serait-ce qu’une fois, le miroir dans l’autre sens, nous verrions bien que nous héritons d’une place de choix dans l’échelle des
responsabilités. Nous y avons largement contribué, aux rêves de défaite finale.
Dans le rapport de force, de fait institué, ne s’en sortent que ceux, parmi nous, qui ont compris que la main qui étreint, mieux vaut la baiser, pour ne pas
succomber, au front. Le président Abdallah, en se coltinant les chiens de la France sous les tropiques, s’est ramassé sous un tombeau. Avant lui, le sultan Said Ali, jouant au marathon avec
l’ennemi, contre le sultan M’safumu notamment, s’est mordu les doigts sous la terre de Tamatave. Ayant pris conscience de la complexité de cette bataille, la majorité des membres de notre élite
nationale a su raison garder depuis, en se mettant d’office (et toujours) au service du plus fort, et en faisant sienne les efforts de l’usurpateur Andriantsouli. Voulant paraître plus docile aux
yeux de l’ennemi, ce dernier, qui s’est retrouvé à Mayotte par hasard, a cédé la quatrième île contre une rente de 1.000 piastres. Ton bonheur immédiat, même s’il est usurpé, contre celui de tout
un peuple. Plus tard, nous verrons que pour construire l’alternative, Ali Soilihi choisira de miser sur le petit peuple, plutôt que sur l’élite. Il était, conscient, lui, du fait que cette élite
n’était instruite que pour servir de petits intérêts, avec la bénédiction de ceux qui tirent la grosse ficelle du pouvoir dans nos îles. C’est devenu une vérité scellée dans le marbre : ceux
qui devraient nous montrer le chemin vers l’espérance, sont ceux qui traficotent avec l’ennemi aux multiples visages ou qui l’ont soutenu dans son entreprise. « C’est l’habitude qu’à le
peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure » écrivait La Boétie. Nous, nous reprenons sa phrase, mais en mettant le mot « élite » à la
place de « peuple ». Car toute notre intelligentsia est passée maitre en compromissions de toutes sortes, au contact d’intérêts extérieurs au pays. Elle manque surtout de se
projeter dans une destinée commune, à l’inverse du mongozi, qui avait le culot de dire « non » à l’écrasement, en prenant l’histoire, la grande, à témoin.
Il y a comme qui dirait un malaise. L’élite corrompue, oublieuse de l’intérêt général, incapable de formuler un projet de société complexe, est prête à brader les
bijoux de famille, tant qu’elle arrive à s’en sortir, au détriment du grand nombre. Il arrive que ça dégénère, bien sûr. Les plus ingénieux paniquent et quittent le pays, à la manière des rats
sur le navire. Ils affirment alors, et contre toute attente, que la situation économique est insoutenable, avouant préférer un destin de migrant fragilisé aux misères faites à ce peuple, leur
peuple. Les moins ingénieux, eux, restent sur place, et construisent des villas de carton pâte. Tapant le basmati du grand-mariage, sur des 4x4 rutilantes neuves, ils deviennent pour la plupart
consultants, soit pour des ONG au cahier de charge improbable, soit pour des bailleurs de fond sans scrupules. Si vous en connaissez quelques-uns qui n’entrent pas dans ce schéma, nous serions
ravis et honorés de les connaître. Vous n’oublierez pas, s’il vous plaît, de nous passer leurs coordonnées. Car tout le monde nous donne l’impression à présent de baisser les bras. Nous, comme
les autres. Nous trouvons qu’il est plus facile de pactiser avec l’inacceptable que de vouloir imaginer un projet de société complexe, hors domination, et au travers duquel les Comoriens dans
leur ensemble pourraient et voudraient se projeter. Est-ce parce que nous manquons d’adresse au combat, d’audace ou d’intelligence ? La mise sous contrôle permanent du peuple comorien est un
fait qui ne se raconte plus sans détails affligeants. Nous, hommes politiques, cadres et intellectuels ne nous amusons plus qu’à détruire toute espérance en ces îles, jusqu’à la bouffonnerie.
Cependant, il est une légende qui circule ! Lorsqu’un peuple abdique, il importe que l’acte de décès soit diffusé aux frontières, placardé sur les murs, et n’ayant pas encore vu le nôtre, de
publié, nous nous inquiétons sérieusement. Comme si ce peuple, pour lequel nous nous interrogeons ici, se donnerait encore les moyens d’être de ce monde, d’être vivant. Une bonne nouvelle pour
une décennie qui s’achève difficilement, nous direz-vous. Mais peut-être que 2010 n’est pas cette année de tous les possibles que vous essayez d’imaginer, en nous souriant. Qui sait ?
Collectif Komornet