Source : HZK Presse du 30 mai 2011
Azali: ''Un don de 2 milliards? C'est prendre les gens pour des c...''
Le colonel Azali a assisté le 26 mai dernier à l’investiture du Dr Ikililou, en volant la vedette à son
successeur de 2006 dont la cérémonie marquait la fin de règne, par les honneurs d’un public qui l’a longuement ovationné. Dans une interview exclusive qu’il a accordée à La Gazette / HZK-Presse,
cet ancien chef d’état-major de l’armée arrivé au pouvoir le 30 avril 1999 par un coup d’état, avant de se faire élire en mai 2002, comme premier président de l’Union, a accepté de porter un
regard sur le régime Sambi et surtout nous parler de l’avenir.
COMMENT AVEZ VOUS VECU L'INVESTITURE DU PRÉSIDENT
IKILILOU?
Azali Assoumani : Pour moi c’était un moment
très intense et très émouvant puisque c’est la continuité d’un système qu’on a mis en ensemble en 2002 à la suite d’une crise profonde du pays. Je me suis dit tant mieux qu’on soit arrivé
jusqu’ici, malgré les hauts et les bas. Mais in fine, c’est quand même un bon résultat d’arriver à une alternance qui s’est passé comme tout le monde l’aurait souhaité. Je parle au conditionnel
car on aurait voulu que ça se passe mieux. Mais au moins l’investiture a eu lieu. Le nouveau président est investi conformément à la loi. Tout ce qu’on peut espérer pour lui et pour le pays, est
qu’il puisse s’atteler au devoir qui l’attend et prie pour qu’il réussisse parce que sa réussite est la réussite de tout un peuple.
CE JOUR LA, VOUS AVEZ ÉTÉ BEAUCOUP APPLAUDI. QUAND ON SE SOUVIENT QU'UNE DATE PAREILLE VOUS AVEZ ÉTÉ HUE, QU'EST-CE QUE ÇA VOUS FAIT ?
Azali Assoumani : En tant qu’homme, il faut rester modeste et savoir qu’il y a un prédestiné fait pour chaque Homme qui arrive qu’on le veille ou pas, surtout quand on est musulman. Donc ce qui est arrivé en 2006, c’est un événement. J’en ai connu beaucoup. Je ne dirais pas pire car je n’étais pas chef d’Etat, mais durant ma vie j’en ai connu des moments intenses. Mais il faut remarquer qu’en 2006, il y a des gens qui ont comploté et qui ont payé les gens pour venir faire cela. Nous, on l’a su en amont mais on a laissé passer. Et ce qui s’est passé dernièrement, je ne peux dire que merci. Nous pensons que c’est avec sincérité que les gens ont applaudi très fort. En tout cas, ça ne peut pas être autrement et je souhaite autant pour le Dr Ikililou.
ET ÇA VOUS FAIT QUOI DE VOIR VOTRE BÉBÉ, LA TRANSITION, TOURNER
?
Azali Assoumani
:La tournante tourne, c’est bien car c’est pour cela qu’elle est faite. Mais le débat que tout le monde ne veut pas faire, c’est moi qui ai voulu qu’elle
tourne comme ça. Mais la constitution elle-même avait préconisé une autre façon de tourner. J’ai voulu que ça tourne comme cela parce que pour moi c’est une transition qui continue. Pour moi, 12
ans de transition, c’est largement suffisant pour faire un bilan et voir l’avenir. Malheureusement, le pouvoir actuel l’a biaisé parce qu’il a voulu changer la constitution pour des motifs qui ne
sont pas évoqués. Il prétexte que 4 ans c’est moins et que 5 ans c’est mieux. Mais quel est la différence en 4 et 5 ans en matière de gestion ? C’était seulement une façon de torpiller le jeu
sans dire ce mot. C’est pourquoi nous sommes arrivés que Dr Ikililou aille faire 5 ans. Tant mieux pour lui. Mais j’avais pensé laisser ces 12 ans de transition et s’asseoir à l’échelle nationale
pour dire ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Moi j’ai fait 4 ans, Sambi devait faire 4 aussi, mais il a ajouté un an d’illégalité. La cour constitutionnelle, sans pour autant dire que
Sambi va faire 5 ans conformément à la nouvelle constitution, lui a permis de faire ces 5 ans. En tout cas, ça n’a rien avoir avec la révision constitutionnelle que le président en a fait voter
et voulait le ramener jusqu’à novembre 2011. Heureusement que la cour constitutionnelle ne l’a pas reconnu comme une loi constitutionnelle. Et vous le permettez de m’étonner que le président
Sambi a prétendu qu’il est le seul à vouloir les élections ce jour-là et que les autres n’ont pas voulu. Pourtant, c’est lui qui a introduit la loi pour rester au pouvoir jusqu’en novembre 2011.
Et que la lutte qui a été menée par tout le monde y compris la presse à qui je dis bravo, car vous avez fait du bon travail, les mohéliens et nous tous, les partis politiques, c’était pour dire
au président Sambi qu’il n’a pas intérêt à jouer ce jeu dangereux. Finalement, c’est par la contrainte qu’il a accepté et maintenant, il se donne les mérites. Qu’il a ôté les chaussures pour
prier Dieu pour qu’il puisse en arriver ici, on ne peut pas dire non mais ce que tout le monde sait, ce n’est pas aujourd’hui qu’il voulait partir. Il voulait partir au mieux en octobre 2011
selon la loi qu’il a fait voter [par le Congrès ndlr]. En tout cas, ce qu’on peut capitaliser dans ce départ, il y a une alternance politique qui se fait. Il n’y a pas de chef d’Etat qui part
directement au cimetière ou qu’on envoie à la Réunion.
ET MAINTENANT QUEL REGARD PORTEZ VOUS SUR LE RÉGIME DE VOTRE EX-SUCCESSEUR
?
Azali Assoumani : Avant-hier, Sambi a dit qu’il ne dit pas ce qu’il fait mais il dit ce qu’il n’a pas fait.
C’est une façon curieuse de faire un bilan (rire…), car normalement on dit ce qu’on a fait. Je ne vais pas m’étaler mais tout le monde sait que Sambi s’est engagé pour trois choses : un logement
décent pour tout le monde, une justice juste et la lutte contre la corruption et création d’emploi. Je pense qu’on n’a pas besoin de sortir d’une grande école et des microscopes pour voir que les
logements, on n’en parle pas. Ce qui est curieux, il a lui-même avoué qu’il a touché des milliards pour ce projet. Et que jusqu’alors, à part les trois qui ont été faits en guise d’expérience
dans les trois îles, on n’en sait rien. Donc c’est quand même sérieux qu’il s’engage et qu’il annonce avoir les fonds, et il ose dire qu’il n’a rien à dire alors qu’on ne voit pas les logements.
Deuxièmement, c’est la justice. Quand on voit l’affaire du général Salimou avec l’assassinat du colonel Combo et l’histoire de l’ancien préfet assassiné sauvagement à Sima, on a intérêt à se
poser des questions de savoir quelle justice Sambi a fait pendant les 5 ans. Et là, nous, citoyens lambda, partout où nous nous trouvons, nous sommes très inquiets de savoir si quelque chose de
bien ou de mauvais à quelqu’un de façon active ou passive, est-ce qu’il y a une justice capable de rendre la justice, quand on voit le chaos où sombre l’affaire général Salimou. Maintenant pour
la corruption, ce n’est pas la peine. Il a avoué que les gens qui se trouvent à ses cotés sont corrompus, qu’ils sont malhonnêtes mais qu’a-t-il fait ? Il a porté plainte devant Dieu. Alors pour
parler de justice, les anciens de l’ancien régime, il les a mis en prison. On les a mis en prison mais les siens il porte plainte devant Dieu. Et même ceux qui sont mis en prison, il y a deux
catégories : ceux qui ont rejoint le régime et qui sont lavés. Il suffit donc de rejoindre son régime et là on n’est pas coupable. Donc pour ces trois dossiers, c’est le chaos. Je mets au défi
n’importe qui, qui viendra dire le contraire. Et d’ailleurs, ça me fait très mal quant je vois des gens très respectables dire dans la presse que oui Sambi a ouvert le pays dans le monde arabe.
Allez dans le monde arabe, tout y allait. Mais les arabes, quels ont les résultats qu’ils ont apportés ? Les panneaux à la corniche ? Ou les nouveaux panneaux érigés près du foyer des femmes de
Moroni ? Ou bien l’Hôtel Galawa, ou Janat Alkamar du Lac salé ? Au moins, s’il avait construit des hôtels, ces gens viendraient se promener et permettre de lutter contre le chômage, permettre aux
commerçants de vendre. Mais ces gens viennent sans rien faire et ils repartent. Et la prouesse, on a constaté par ceux qui arrivent n’ont rien fait que récupérer ce que le pauvre Assim a fait.
Assim a réalisé trois investissements importants dans ce pays : Al Amal à Anjouan, Hôtel Itsandra et le Moroni. Et ces gens sont venus récupérer illégalement. Cela n’importe qui peut le faire.
Des arabes ou des chinois ce serait la même chose. Donc, il faut rester serein mais qu’on ne prenne pas les gens pour des cons car c’est le chao. Et au lieu de faire son bilan, il annonce le
programme de son successeur. Donc tout ce qu’il a dit il ne l’a pas fait mais il est entrain d’hypothéquer la présidence d’Ikililou en annonçant d’autres choses. C’est un peu dommage. J’espère
que le président Ikililou saura prendre ses responsabilités en main.
MALGRÉ CE BILAN QUE VOUS JUGEZ NÉGATIF, SAMBI EST RESTE POPULAIRE; PEUT ÊTRE QU'IL
Y A QUELQUE CHOSE DE NEGATIF ?
Azali Assoumani : (Hésitation…). Il faut définir ce qu’on appelle populaire. Si
populaire, c’est gagner des élections en les achetant. J’ai pensé donner l’exemple mais il n’était pas suivi. J’avais le pouvoir, j’avais les armes, j’ai fait un coup d’Etat, les élections
que les instances avaient validées, j’ai accepté. Celles que les instances avaient déclaré perdues, j’ai accepté. Mais lorsqu’un régime ose dire qu’il n’est jamais battu en élection, avec tout ce
qu’on a vécu ici, on ne peut pas parler de popularité. C’est un coup de force. Souvenez-vous que même la communauté internationale avait dit qu’à Anjouan, il n’y a pas eu d’élection. Moi, je n’ai
pas cette popularité. La popularité que j’aime, c’est si le peuple s’exprime de façon transparente. Et s’il faut le forcer pour se prononcer pour dire après qu’on est populaire, je n’en veux
pas.
AU CAS OU DR IKILILOU VOUS RECEVAIT EN AUDIENCE QU'ALLEZ-VOUS LUI DONNER COMME
CONSEIL ?
Azali Assoumani : Un conseil simple. Je dirais au président Ikililou qu’il ne doit compter que sur ses propres
forces. Ils étaient 10 à Mohéli, trois au niveau national et il a été le seul à être choisi avec ses trois vice-présidents. Cela veut dire que c’est lui qu’on a choisi et c’est à lui d’assumer
ses propres responsabilités. Cela ne signifie pas négliger des conseils, ou ne pas avoir des experts mais de savoir qu’il est le seul à être jugé à partir du choix qu’ont fait les comoriens.
C’est un peu théorique mais je le dis car on a vécu un scandale pendant 5 ans dans ce pays. Les gens ont compris qu’on peut rester sans rien faire et que les qataris et les arabes viendront tout
faire à notre place, en lieu et place de nos autorités. Ils l’avaient compris et le disaient. Quand on entend que le gouvernement a préparé les états de salaire mais attend que l’argent arrive,
c’est scandaleux. Donc je dirais à Ikililou qu’on doit compter sur nous mêmes d’abord. On n’est jamais mieux gratté que par soi-même. C’est vrai, il aura des conseils, il aura des aides et on
l’espère, mais ils ne sauront jamais se substituer aux efforts qu’on doit faire. Le peuple comorien a choisi d’être libre à partir du 6 juillet 1975 et cela a un sens. S’il fallait être libre et
continuer à attendre des aides extérieures pourquoi avoir demandé l’indépendance ? Effectivement, les aides extérieures sont normales et complémentaires, mais ce dont on va réfléchir, concevoir
est la façon dont nous allons nous y mettre. Je le dis parce que ce que j’ai entendu, et même le président Ikililou l’a répété par rapport à l’argent censé provenir des ONG, l’argent du Qatar, de
la Fondation Fatuma, tout ça c’est nécessaire mais jamais suffisant. En 2005, on a fait une conférence de Maurice avec 200 millions de dollars, et personne n’en parle maintenant. Aujourd’hui, on
parle de 600 millions sur la conférence du Qatar. Mais si cette conférence va être gérée de la même manière que Maurice, les résultats, il ne faut rien attendre. La curiosité est que la
conférence du Qatar et celle de Maurice qui ont rassemblé toutes les institutions financières internationales et les pays amis, on a eu 200 millions à Maurice et 600 millions au Qatar et qu’on
prétend nous dire qu’une ONG va débourser 2 milliards d’euros, c’est prendre les gens pour des c…. Que ce soit ceux qu’ils l’ont ou ceux qui étaient là pour se présenter pour faire croire que
c’est de la vérité, ce n’est pas vrai. Ni en amont, ni en aval, ce n’est pas vrai il n’y a pas une Ong qui est capable de donner deux milliards d’euros à un pays et même si c’est le cas, on n’a
même pas les moyens d’absorber cette manne en deux ans. C’est du n’importe quoi. J’espère que le clan Ikililou le prend au premier degré mais après il se donne les moyens de vérifier.
EST IL POSSIBLE POUR LUI DE SE DÉTACHER ALORS QUE C EST ALORS QUE C EST LA MÊME ÉQUIPE; L'ON PARLE MÊME DE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ ?
Azali Assoumani : (Pensif…). La continuité n’est quand même pas péjorative ! On a toujours dit que l’Etat appartient à tout le monde. La continuité de l’Etat est une donne que tout le monde doit intégrer. C’est d’ailleurs ce qui fait la force des pays développés. Ces pays jouent la continuité de l’Etat que malgré deux régimes qui se tournent le dos, celui qui arrive discerne ce qui est bien pour l’intérêt de l’Etat et il continue parce qu’il y a des lois qui l’ont institué. Ce qui n’est pas bon pour le pays, on l’écarte mais en passant par les voies légales. Prenez l’exemple des Etats-Unis. Vous croyez qu’un pays comme les Etats-Unis se développe en 4 ans ou 8 ans. Ce n’est pas possible. Ils ont intégré la notion de continuité de l’Etat. Ce qui n’est pas malheureusement le cas ici. On a constaté que tout ce qu’on a fait de 2002 à 2006 est considéré comme négatif. On a même eu le culot de dire que rien n’est fait dans ce pays depuis l’indépendance et que c’est maintenant qu’on commence tout faire. C’est comme ça qu’on construit un pays. Maintenant, Ikililou a été élu. Cela veut dire que la continuité de l’Etat ce sont les projets. Il vérifie les projets fiables, il continue et ceux qui ne sont pas fiables, on ne va pas faire la continuité de l’Etat pour faire n’importe quoi. Donc, j’espère que Dr Ikililou va continuer ce qui est bien, encore qu’il y a moins. Mais s’il va continuer sur le mensonge, je crois que c’est dommage. Mais on lui fait confiance sans pour autant trahir l’amitié des gens qui l’ont amené jusqu’à là, mais au moins qu’il leur dise que c’est moi seul le comptable vis-à-vis du peuple comorien et vis-à-vis de Dieu, car c’est lui seul qui a prêté serment avec les trois vice-présidents.
A PARTIR DE 2015, SI LA COMPÉTITION N'EST PAS CHANGEE CE SERA LE TOUR DE NGAZIDJA DE REPRENDRE LA TOURNANTE. COLONEL AZALI, POURRAIT IL ÊTRE CANDIDAT ?
Azali Assoumani :Vous n’allez pas me poser une question qui est au conditionnel ! (Grand rire…). C’est vrai nous arrivons au terme du système de la tournante. Maintenant, il appartient au Président Ikililou et à l’assemblée d’appeler le peuple comorien à réfléchir. C’est à partir de là que les uns et autres vont se prononcer. Mais je crois que ce serait maladroit et même dépasser les ambitions de se décider dès maintenant, que quelque soit les cas de figure je vais être candidat. Donc, je ne peux pas me prononcer alors que je ne sais pas comment l’évolution des institutions va se dessiner. On ne se prononce pas par hypothèse. Il va falloir regarder où on va pour ne pas faire un saut dans l’inconnu. Mais lorsqu’on verra où l’on pose le pied, j’y réfléchirai avant de dire que je peux ou je ne peux pas. C’est là que la question va se poser et certainement, il y aura une réponse. Maintenant, c’est prématuré.
PROPOS RECUEILLIS PAR A.A. MGUENI
Moroni, 30 mai 2011 (HZK-Presse)