Société
Toujours des discriminations
D’où vient alors que depuis près de vingt ans, elles se plaignent de leur condition, et que les associations féminines revendicatives se développent ? D’où vient que dans la littérature comorienne d’aujourd’hui la figure de la femme soumise et subissant la loi des hommes est si présente ? Les femmes ont-elles gagné l’égal accès à l’enseignement, à l’emploi, et notamment à l’emploi, dans l’administration ? Peuvent-elles gérer les affaires publiques ? Ont-elles la possibilité de prendre la parole dans le bangwe du village ou de la ville pour donner leur avis ?
Quand on parle de la condition féminine aux Comores, le pluriel s’impose tant les situations sont diverses entre la paysanne qui travaille dans son champ toute la journée, la citadine qui vit dans une grande ville avec plusieurs domestiques, la pauvre mpambe corvéable à merci, la femme instruite qui, après avoir donné des cours au lycée ou à l’université, plonge dans ses livres…
Toujours des discriminations
Elle fait ce constat en se basant sur deux indices introduits dans ce rapport : l’indicateur sexospécifique de développement humain (ISDH), qui doit refléter les inégalités entre hommes et femmes et l’indicateur de la participation de la femme (IPF) qui mesure les possibilités offertes aux femmes dans les domaines économique et politique. L’IPF calculé aux Comores est de 0,30 (sur 1). Le rapport note également la discrimination face à l’emploi : les femmes sont toujours peu nombreuses dans la fonction publique (30%), très peu parmi les catégories supérieures et subissent plus que les hommes le chômage (18,5% contre 11,9 %). En matière d’éducation, il y a eu des progrès, mais les hommes ont toujours une avance considérable : la scolarisation des filles est à 42 %, alors que celle des garçons atteint 51 %. Par contre, en matière d’alphabétisation, l’écart se creuse avec 63,5 % d’hommes et seulement 48,1%.
Le rapport établit également que l’inégalité en matière de santé est un danger pour les femmes, qui, cependant, ont profité de certains progrès ces derniers temps. En matière juridique, la coexistence entre les lois traditionnelles, les lois musulmanes et le Code civil français est plutôt préjudiciable à la femme.
Autrement dit, le rapport sur le développement humain apparaît comme une photographie de la situation actuelle des femmes comoriennes, mais une photographie qui ne montre pas une véritable amélioration du sort des femmes.
Mais quel que soit le milieu, chaque femme comorienne a des raisons de vouloir que le principe d’égalité hommes-femmes énoncé dans toutes les constitutions depuis l’indépendance du pays en 1975 devienne une réalité dans la vie de tous les jours.
En réalité, la société traditionnelle comorienne et l’islam tel qu’il est pratiqué dans l’archipel relèguent la femme au second rang. Certaines sultanes du pays se sont, il est vrai, imposées à des hommes dans certaines régions. Mais le système de classe d’âge en vigueur dans les quatre îles exclut les femmes qui ne peuvent donc pas participer publiquement aux prises de décisions.
La colonisation a renforcé la relégation des femmes dans les cuisines, et accessoirement dans les champs. Très peu de femmes sont entrées à l’école. Aucune femme dans les instances politiques ou même économiques. Très peu de femmes ont le droit de vote de 1945 jusqu’aux années 1960. L’autonomie interne est d’abord une affaire de notables, et c’est d’ailleurs en utilisant les femmes contre cette notabilité que certains hommes de Mayotte qui en étaient exclus ont pu s’imposer. Certains auteurs ont alors trouvé que les femmes étaient différentes à Mayotte. Mais au final, après la lutte menée par « les chatouilleuses » maoraises, aucune d’elles n’a occupé une place de choix sur l’échiquier politique maorais ou même dans l’administration. C’est le cas jusqu’à aujourd’hui. Depuis 1975 et jusqu’à aujourd’hui, aucune femme maoraise n’a été élue à un poste important dans l’île : députés, sénateurs, conseillers généraux, dirigeants des partis ont été des hommes. Comme dans les autres îles, les hommes continuent à se partager les responsabilités sans tenir compte de celles qui luttent à leurs côtés. De plus, dans l’administration maoraise, il y a la barrière du concours qui fait que les postes sont occupés d’abord par ceux qui maîtrisent le mieux la langue française, les métropolitains, et le peu qui reste, les postes les moins recherchés par les cadres maorais. Les femmes attendent toujours. Pourtant, contrairement aux rumeurs, de plus en plus de Maorais, sont diplômés et tout particulièrement les femmes.
C’est en faisant le constat de la marginalisation des femmes et des jeunes qu’Ali Soilihi a décidé de combattre les traditions les plus néfastes en donnant plus d’importance à ces deux catégories. Et l’on imagine mal aujourd’hui, les énormes changements qui ont eu lieu entre 1975 et 1978, dans ce domaine. Le régime révolutionnaire a donné aux femmes comoriennes la liberté individuelle, mais aussi les mêmes droits que les hommes. Elles ont eu enfin accès à des lieux et à des emplois auxquels elles ne pouvaient prétendre autrefois.
Le retour d’Ahmed Abdallah, au pouvoir, a renvoyé les femmes dans leurs foyers, et le système d’alphabétisation qui avait permis à une grande partie d’entre elles, qui n’avaient jamais connu l’école, d’apprendre à lire en lettres latines a été supprimé. Mais toute une génération avait ouvert les yeux, et n’était plus prête à tout accepter.
Ainsi, beaucoup de femmes qui avaient entre 15 et 20 ans en 1975 se sont investies dans les associations féminines, villageoises, puis après 1990, dans les associations féminines nationales.
Sous la présidence Djohar, le multipartisme et la rupture du président avec les notables-politiques a permis aussi le retour, bien modeste certes, des femmes dans les affaires publiques. Bien sûr, Sittou Raghadat Mohamed est la plus visible, car elle est ministre, elle se présente à deux reprises aux élections législatives, avant de devenir députée. Mais dans les ministères et à la tête des directions nationales, on trouve également des femmes.
Ce n’est donc pas un hasard si en 1994, les Comores adhèrent à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La rédaction du code de la famille commence également pendant cette période.
Sittou Raghadat, Zahara Toyb, Moinaecha Cheikh et d’autres fondent le Réseau national Femmes et Développement en 1995, une association fondamentale dans la lutte pour l’intégration économique, sociale et politique. Il y a comme un principe de base de cette association : la femme doit se libérer par son travail, acquérir son indépendance en exerçant une activité professionnelle. Le Réseau a aidé bien des femmes à se prendre en main, notamment par l’initiative économique. Pourtant, elle a aussi encouragé l’entrée en politique de femmes. Ce fut encore le cas pendant les dernières élections législatives. La Présidente du Réseau à Ngazidja, Zahara Toyb a débuté en 2003 une campagne dans les régions visant à encourager les femmes à être candidate, puis en 2004, elle a soutenu toutes celles qui avaient osé franchir le pas. Les objectifs secondaires étaient de faire adopter le Code de la Famille par le Parlement.
Malheureusement, le retard est si grand qu’aucune n’a pu être élue. Il a fallu la démission du Ministre Houmed Msaïdié pour qu’une femme, Djouéria Youssouf Salim, sa suppléante se retrouve à l’Assemblée de l’Union. C’est la première femme qui siège avec les hommes, alors que Sittout Raghadat Mohamed avait choisi le poste de Ministre. Sage-femme de formation, elle proclame sa volonté de poursuivre au sein de l’Assemblée le combat pour la promotion de la femme.
L’année suivante, le 3 juin 2005, les députés de l’Assemblée de l’Union adoptent à l’unanimité le Code de la famille. Il était dans les cartons depuis le début des années 1990. Après le travail mené par des experts et les discussions qui ont eu lieu dans les régions pendant des années avec le soutien du FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la Population), une trentaine de Comoriens de diverses catégories socioprofessionnelles se sont retrouvés à Moroni pour débattre de l’avant projet. Les responsables religieux ont eux aussi donné leur point de vue.
Les femmes comoriennes espéraient à travers ce Code de la Famille réglementer le mariage et le divorce en déterminant aussi bien les droits que les besoins des membres du couple et des enfants qui en sont issus. Les discussions ont été longues (près de 15 ans) et le résultat est contrasté. La révolution annoncée ne s’est pas vraiment produite. Quant au mariage, les dispositions en vigueur sont conformes aux préceptes de l’islam et surtout au fameux code de loi musulman, le Minhadj-at-talibn qui reste le tete de référence des juristes comoriens.
Il n’y a pas eu de révolution par le texte ou la politique comme le rêvaient les femmes qui prônaient l’égalité dans les années 1990. Les indicateurs non plus n’ont pas évolué d’une manière significative. Les femmes espèrent toujours que les hommes, dans un élan de générosité, leur fassent une place dans les instances de prise de décisions. Cependant, les exemples des femmes qui ont lutté à l’extérieur, comme à l’intérieur du pays, montrent qu’elles ne seront jamais mieux servies que par elles-mêmes. Les jeunes filles des années 2000 n’ont peut-être besoin que d’un nouveau modèle qui portera leurs revendications, notamment en matière de libertés individuelles.