Source : Archipel No 243 du 17 décembre 2012
Qu’avons-nous fait ….
Acquérir la liberté et la dignité est une chose. Mais qu’avons-nous fait pour les préserver. Ikililou Dhoinine aurait été plutôt mieux inspiré de s’interroger sur la malédiction qui’ s’est abattue sur le pays depuis ce « nouveau départ » pris par l’acte du 6 juillet 1975, et qui a conduit le pays à l’état de délabrement que l’on sait. Par quelle malédiction de l’histoire quel acharnement du destin ont pu ainsi conduite les Comoriens à devenir des architectes de leur propre désastre, selon un schéma planifié de destruction nationale.
Moins visible à l’œil nu et indolente durant les années mercenaires cette décadence s’est accélérée avec le nouvel ensemble comorien (Nec), lequel nous a fait franchir sans trop douleur – mais avec d’énormes dommages l’ultime étape de l’éclatement du pays. Avec la quasi disparition de l’Etat, abandonnant progressivement ses prérogatives régaliennes.
L’administration, confiée à des mains ignares, est devenue un fatras de dossiers derisoires qui alimentent régulièrement les étals de vendeuses de cacahuètes, L’insécurité s’installe à pas de chat. La justice laisse à désirer. Il n y a plus d’école publique. L’hôpital est devenu un mouroir – pour une foulure, c' est l' évacuation, et encore pour les plus chanceux.
Plus aucun ressort national ne fonctionne. Les comoriens adhèrent de moins en moins à l’idée d’un destin commun. Le vivre ensemble ne suscite aucune ferveur particulière. Ceux qui croyaient le séparatisme résorbé se trompent énormément. Le séparatisme s’est mû en une vertu républicaine. Tout se définit, tout se négocie, selon les critères insulaires…Nos autorités ne s’adressent désormais plus au comoriens, mais aux anjouanais, aux Gds Comoriens, aux Moheliens…
La cohésion nationale retrouvée n’est qu’un équilibre au bord du précipice. Le fameux « à chacun son champ » lancé par Ali Hassanaly lors de la signature de l’accord de Fomboni (17 février 2001) a fait son œuvre. L’identité est désormais insulaire, Au-delà elle s’estompe. A Ngazidja notamment, chaque région se comporte telle une République. – L’Itsandra, élus compris, refusent que les ordures ménagers de Moroni retraversent « ses » terres... sous le NEC, les démons veillent. Le pays est géré selon les codes des us et coutumes. Dans une relation quasi fusionnelle, l’ordre des notables et le sermon religieux régentent désormais la République (…), Des notables qui ne se contentent plus d’étiquettes ou de préservations des mœurs dissolus, mais investissent les entreprises publiques (MA-Mwe, SCH etc…) certains devenant même leurs équipementiers.
Jamais les valeurs régressives ne se sont tant mieux portés. L’ignorance est devenue levier de progrès. Compétences et probité rasent désormais les murs. L’elite se planque. Elle a renoncé à tout idéal. Elle observe… Des ressources d’envergure nationale se dissolvent dans des activités associatives ou de quartier. Les escrocs son portés aux nues. Le héros nouveau est un gabelou. Elevées au rang de références nationales, l’imposture et la médiocrité se pavanent dans l’agora... désormais investie par des nains politiques empapaoutés de morgue sur leurs ergots. La génération qui aspire à assurer la relève pourrait nous réserver des surprises encore plus amères…
Le peuple lui, ne revendique plus rien. Les pratiques scélérates des dirigeants ont fini par déteindre sur les simples gens qui en sont venus à idolâtrer la rapine. Fini le comédien héraldique. Réduit à un quidam chapardeur, il vénère les malfrats. Il en se bat pour avoir une plus grosse sébile, ou guetter l’occasion d’emporter à son tour le tiroir-caisse.
Trente-sept années d’indépendance, Le pays s’effondre. La liberté c’est acquérir une identité. Quelle identité ? Quelle dignité quant « l’Etat» : a fait de l’obole sa politique de développement (…) Quelle dignité quand le pays est incapable de creuser un trou (à Mboueni)… pour évacuer l’eau de ruissellement Trente-sept ans de souveraineté nationale : Quel progrès, quelle réalisation, quelle prouesse, et dans quel domaine, aurait pu vertébrer chez le comorien une quelconque fierté nationale. On pourrait mentionner les détournements des deniers publics qui valent à leurs auteurs estime et considération. C’est d’ailleurs la seule performance accomplie sans l’aide de quiconque. Et s’il existait des « oscars », nul doute qu’on figurerait sur le podium – et d’ailleurs on y figure.
Le pays est devenu une fabrique d’illusions, Un ectoplasme d’insignifiance une singularité exotique parfois attachante, souvent encombrante. Le versement régulier des salaires des fonctionnaires dont se vante tant le Gouvernement dépend du nombre des passeports comoriens vendus – même à des truands, comme un miséreux qui vendrait un rein pour pouvoir se nourrir….
Comme ses prédécesseurs, le président Dhoinine tient un discours inaudible. Beit –salam vit hors du temps (en fait, c’est le pays tout entier qui vit hors du temps), dépassé par les exigences de la fonction. Mais serait-il a ce point si ingénu pour croire qu’un brouet de mots suffit à sauver le pays…
A sa décharge, on oublie que Dhoinine a été présenté comme le « relais » du précèdent régime dont il a fait partie. Il ne faudrait donc pas s’étonner que sa gestion diffère de beaucoup de celui qui l’a enfanté. Il n’empêche que son pouvoir bonheur risque de réveiller des mauvais ulcères. Sinon des échéances dramatiques.
Aboubacar M’Changama