09 janvier 2013
L’ouvrage compte trois cent quatre huit pages. L’ancien président de la République relate des événements auxquels il a pris part ou dont il a été le témoin direct.
Du parcours du jeune sportif “Joary“ à celui d’homme politique en passant par celui d’instituteur ou de diplomate, l’ancien président évoque ses vies: sportif, polygame, bâtisseur, instituteur et
acteur politique. Djohar se met en scène avec comme point constant: le nationalisme comorien.
Clins d’oeil à Said Mohamed Cheikh, son maitre spirituel et Ahmed Abdallah Abdérémane, son compagnon, portrait acide de son ancien élève Mohamed Taki Abdoulkarim,
crochet belliqueux sur Omar Tamou et vision contrastée et humaine de Ali Soilih, son demi-frère.
“Fils spirituel” et “historien” de Cheikh
Adolescent, il rencontre le docteur Saïd Mohamed Cheikh. De cette rencontre découle une relation d’admiration et d’initiation à l’action publique. Djohar rend
hommage à celui qui fut son mentor politique. L’auteur revient sur sa rencontre avec Cheikh, le combat pour l’indépendance et le nationalisme de l’ancien député des Comores à l’assemblée
nationale française. Il évoque de Cheikh tantôt le combattant contre le colonialisme qu’il compare à un “esclavagisme déguisé“, ou bien celui qui a lutté contre les spoliations des terres par les
colons à Ndzuwani.
Portait acide de Mohamed Taki
L’auteur a choisi son camp: celui des Verts, mais Cheikhistes. Comme tous les fervents de l’ancien président du Conseil de gouvernement des Comores, l’affront fait
à son maitre par Mohamed Taki reste toujours vivace et impardonnable. La scène se déroule à Mbeni après la nomination de Mohamed Taki au poste de directeur général des travaux publics et de
l’énergie, poste occupé autrefois par un Mzungu. La région de Hamahame a organisé une cérémonie de remerciements à laquelle participait, outre le président Cheikh, tous les membres du
gouvernement et la notabilité de Ngazidja. Cheikh explique sa politique qui consiste à remplacer les chefs de service français par des Comoriens ayant réussi leurs études supérieures. Taki se
leva au son du tam-tam et des cris d’une population euphorique en fustigeant le gouvernement et en attaquant son chef, le président Cheikh. Ce dernier réplique en s’adressant à Taki: “…Si nous
n’avions pas cette autonomie interne, tu serais peut-être un simple agent de l’administration comme certains auditeurs ici présents“. En 1990, Mohamed Taki était candidat comme Djohar aux
présidentielles.
Djohar déclaré vainqueur, le premier a contesté cette victoire se qualifiant président choisi par les Comoriens. Djohar accuse Taki d’avoir intenté des projets
criminels visant à l’assassiner. Victime collatéral de ce duel entre deux membres de l’ancien parti Vert, Omar Tamou, ministre de l’Intérieur pendant ladite élection qui avait reconnu sur la
place publique Badjanani la victoire de Taki.
Vision contrastée mais humaine de Ali Soilih
Ali Soilih et Saïd Mohamed Djohar sont les fils de Mahmoudat Mzé. Cette mère est, pour l’instant, la seule à avoir donné aux Comores deux présidents. Djohar partage
la vision de Ahmed Abdallah sur les pratiques autoritaires et la mise au ban du anda par le nouveau régime soilihiste.
Par contre, sous l’âge d’or de ce régime, l’auteur raconte les tortures morales dont il a subies, notamment après la fuite de son fils adoptif Nassur en Libyie. Son
témoignage accablant est plein d’émotion: “[…] un certain soir, je reçus un appel téléphonique: - Dites à la mère de Nassur (dix-sept ans à l’époque) que son fils a été sélectionné pour les jeux
sportifs des pays musulmans qui auront lieu en Libye la semaine prochaine. Comme l’avion part ce soir, il ne pourra pas venir vous saluer avant le départ, faute de temps. […] -
On dispose de nos enfants sans même demander notre avis. […]. Un mois plus tard, en 1977, une Peugeot familiale pénétra à toute vitesse dans notre cour. Trois
soldats de la révolution “Mbaya ya mwasi“ en descendirent vers 11h et nous sommèrent d’y monter. Notre fille Charline avait son premier né, Ryad, dans les bras. - Mais que se passe t-il? leur
demandai-je […] - Quoi? Vous ne voyez pas que notre fille a un bébé de quatre mois dans ses bras? - Nous ne voulons rien savoir! Ce sont les ordres. Allez, embarquez!“. Trois jours plus tard, la
famille Djohar a su les raisons de son arrestation arbitraire. Nassur, son fils, n’est pas rentré avec son équipe après les jeux en Libye.
Devant l’interrogatoire, sa femme et lui réagissent en ces termes à la disparition de Nassur: “- Quoi? Vous avez embarqué notre fils sans notre avis ni notre
accord, vous nous dites qu’il a disparu. Vous êtes le responsable de sa disparition. […]. - C’est cela votre justice? Vous avez tué mon fils et vous voulez qu’en victime, je vous paie pour ce
crime? […]“. Après le coup d’Etat du 13 mai 1978, Djohar a tenté deux fois de rendre visite à son frère emprisonné par les mercenaires…
Ahmed Abdallah, le compagnon politique
Entre Abdallah et Djohar, c’est une complicité politique et amicale dans les années 40, après l’affectation de l’instituteur Djohar à Domoni. Une relation renforcée
par le partage des idées communes: membre du même parti Vert, Cheikhiste, militant contre les spoliations des terres et pour la souveraineté comorienne.
Djohar raconte la dernière conversation avec Abdallah à la veille de son assassinat: “Je suis navré que vous, car je suis prisonnier de ces mercenaires sans
parvenir à cesser leurs actes répréhensibles. Le plus catastrophique, dans tout cela, est que le personnel de la Gp chargé d’assurer ma sécurité, semble ignorer totalement ma présence et mon
autorité en obéissant aveuglément à la bande de Bob. […] C’est maintenant que je reconnais la portée de mon erreur monumentale. Je ne peux pas te le cacher, j’ai signé un contrat de dix ans […]
Le contrat expirera en 1989.
Et je ne renouvellerai pas, quoi qu’il arrive“. Abdallah trouvera la mort deux jours plus tard assassiné par ceux qui ont été censés le protéger.
Djohar président et bâtisseur
Avant d’être président, l’auteur se définit comme créateur et bâtisseur. Créateur de plusieurs associations sportives et musicales et bâtisseur d’infrastructures,
notamment le terrain de tennis de Moroni et les bâtiments administratifs qui devaient accueillir les dirigeants comoriens à Mayotte, capitale des Comores jusqu’en 1962.
Djohar Président, ce sont des souvenirs pathétiques et déprimants de l’ancien président. Pour tous les passionnés des Comores et de l’histoire en particulier, le
“plus malgache des Comoriens“ nous offre une lecture personnelle sur l’évolution des Comores, et accessoirement de Madagascar, et cette œuvre serait très riche adaptée au théâtre tant les
personnages sont plus loufoques les uns que les autres.
Nakidine Mattoir
Source :
http://www.alwatwan.net/index.php?home=actu.php&title=Memoires-du-president-des-Comores-Said-Mohamed-Djohar&actu_id=4806