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Comores / Interview de la semaine
Sortie en librairie :
Coralie Frei : « Ecrire a toujours fait partie de ma vie »
(Coralie Fréi : Photo
archives)
Moroni, lundi 21 juin 2010 (HZK-Presse) – Coralie Frei, de son vrai nom Courachia Ahmed Idarousse vient de sortir son premier roman intitulé La Perle des Comores. Destin d’Anjouanaise aux éditions Le Manuscrit. C’est aussi la première romancière pour les Comores. Voici une interview qu’elle a accordée à La Gazette et HZK-Presse.
HZK-La Gazette des Comores - Coralie Frei, vous êtes à notre connaissance la première romancière originaire des Comores, d’où vous est venue l’idée d’écrire ?
Coralie Frei - Écrire a toujours fait partie de ma vie. Depuis ma tendre enfance, l’écriture est pour moi l’unique moyen de m’exprimer. Je me confie plus facilement à une page blanche qui ne me juge ni ne m’oblige à me justifier qu’à une paire d’yeux qui fait des mimiques. L’écriture est ma meilleure amie. Avec elle je suis moi. Je ne mens pas, ne me mens pas et ne triche pas. Je m’épanouis. J’ai toujours aimé écrire. N’importe quoi. Autrefois j’avais une belle écriture et j’admirais mes pages d’écriture scolaire. Je me réjouissais de mes performances, me lançais des défis et applaudissais mes propres exploits. Un peu narcissique certes, mais il n’y avait que moi pour cette tâche.
HZK-La Gazette des Comores - Ce roman arrive tard dans votre vie, pourquoi ?
Coralie Frei - Chaque chose en son temps. La gestation de ce bébé a duré très longtemps. Il y avait avant lui des obligations et des satisfactions prioritaires : les études, le travail, les enfants. À présent d’autres occupations sont à l’ordre du jour car les conditions s’y prêtent : la disponibilité, le cadre de vie, et la confiance. La naissance de ce bébé est donc une suite logique des événements qui régissent mon existence. Un journaliste a écrit que ce roman me permet de me réconcilier avec mon pays. C’est peut-être vrai. En tout cas, il constitue une sorte d’auto-psychothérapie pour les frustrations que j’ai dû affronter tout au long de mon existence.
HZK-La Gazette des Comores - Coralie Frei, quand vous remontez le plus loin possible dans votre enfance, quelle image trouvez-vous ?
Coralie Frei - Mon père évoquant sa rencontre avec celle qui allait être ma mère. La femme de sa vie. « …dans une horde de petits voyous (les élèves de l’école coranique) piétinant mon champ en criaillant, disait-il, il y avait cette toute petite jeune fille en retrait. Elle était très calme, elle marchait lentement, en regardant le sol comme si elle comptait ses pas, ou comme si elle réfléchissait. Elle ressemblait à une princesse ou une déesse, une fille venue d’ailleurs… » L’émotion et la tendresse que je décelais dans sa voix ne correspondait pas à l’homme qui me terrorisait, rien qu’au souffle. Je compris alors que mon père était un homme très triste.
HZK-La Gazette des Comores - Est-ce que vous n’êtes pas trop dure avec les hommes et les traditions des Comores au début de ce roman ?
Coralie Frei - J’ai toujours eu le sentiment que les traditions de notre pays avantageaient l’homme. La fillette du début de ce roman a de l’homme de son entourage l’image d’un être tout puissant qu’elle est amenée à craindre et à fuir. J’étais une petite fille très curieuse (intellectuellement) et j’étais frustrée de ne pas trouver réponse à mes interrogations. Alors, je faisais appel au fantasme et à l’humour pour rire de nos traditions et les aimer ensuite. On aime ce qui fait rire, non ? Je suis peut-être un peu dure avec nos hommes, mais je le suis également avec nos femmes, n’est-ce pas ? Je les bouscule un peu comme on le ferait avec ses enfants, parce que j’aimerais qu’ils changent, que les choses changent. Dieu merci, elles en prennent la voie, même si ce n’est que d’une manière très timide.
HZK-La Gazette des Comores - Quels conseils donneriez-vous à la jeunesse de ce pays s’agissant de leurs traditions ?
Coralie Frei - Les traditions sont l’héritage que nous ont laissé nos pères. Et nos mères. Les abandonner serait se renier. La jeunesse doit s’y tenir. S’y tenir mais pas s’y accrocher. Il y a là toute une nuance. On ne doit pas vivre que des traditions, autrement on tombe dans le fanatisme, dangereux pour le progrès. Les jeunes doivent aimer les traditions de notre pays, les exploiter, les faire aimer par autrui et les perpétuer. Cela étant, il est impératif de laisser de côté tout ce qui risque d’y nuire. Le fanatisme bien sûr, la tricherie et le profit… entre autres.
HZK-La Gazette des Comores - Qu’est-ce que vous voulez prouver avec ce roman ?
Coralie Frei - C’était un défi parmi tant d’autres. Je pouvais le faire. Alors je l’ai fait. Cela m’a pris du temps, des hésitations, des remises en question, puis je me suis libérée. Ce roman est mon œuvre. J’en suis le maître absolu. Aucun compte à rendre. Ni crainte ni tabou. Et il n’y a pas de note au bout. Qu’on me juge à travers lui, c’est dans la logique des choses. La liberté d’expression, c’est ce qui m’a le plus manqué au cours de ma jeune existence. Enfant, il y a avait la crainte de me faire rabrouer. Plus tard, c’était celle d’être jugée ou de blesser, d’être rejetée, de me faire jeter (du travail par exemple)… À présent je suis libre. Et pas à cause de mon nom (marital) actuel, lequel veut dire libre… Ailleurs, je suis à une phase de mon existence où j’éprouve le besoin d’informer ma descendance et de laisser un héritage à la jeunesse de mon pays.
Propos recueillis par Mib
210610/mib/hzkpresse/12h00