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Rédacteur en chef du journal Alwatwan
Intellectuels : Parler, écrire et agir au nom de ceux qui ne peuvent pas le faire
Les intellectuels comoriens vivent reclus comme des moines. Ils se complaisent dans leur silence et leur méditation et
sont même agacés si on tente tant soit peu de les déranger dans leurs rêveries. Ils se posent en innocents, souvent en victimes. Adulés par les pouvoirs, ils en tirent le maximum de profit, en
se dissimulant dans les pénombres des palais, pour rédiger discours, préparer les accommodements juridiques qui justifieront les coups tordus, donnant en tout temps un sens presque romantique
aux bruits de bottes de Kandani, aux bruis sourds des zodiacs des mercenaires, aux dilapidations criminelles des fonds publics, ou aux dramatiques naufrages quotidiens des Kwassas entre Mayotte
et Anjouan.
De fortes personnalités de la place, qui ont, avec le recul, joué par accident, le rôle de gardiens des valeurs morales et communautaires, des socles de l'unité et de l'intégrité du pays quand
elles étaient fortement menacées, se sont rangées derrière des causes moins gratifiantes.
“AMITIÉ”, FINANCES, AVANTAGES DIVERS, ETC.
Au nom d'une prétendue amitié entre la France et les Comores, ou de relations éphémères avec les représentants de la
France aux Comores, ou plus humiliante encore, en raison d'avantages financiers, de bourses d'études, de voyages culturels, ou d'expertises lucratives, ils lâchent leur pays, violent leurs
propres repères, au profit du réalisme politique, avec tout ce que cette expression comporte de concessions, de compromis, de compromissions, voire de trahison.
Nous avons pourtant des noms de sommités nationales qui ont autorité pour s'engager dans la sphère publique. Leurs analyses, leurs points de vue, leurs positions, sur tous les sujets pour
défendre les valeurs qui fondent le désir du peuple comorien de partager un destin commun, peuvent entretenir ou provoquer des mouvements d'opinions. Lors de la période sécessionniste, nous
avons eu droit aux textes salvateurs de Chamanga, Thabit, Mahamoud Ibrahim, Ali Yachroutu...
A l'université des Comores, comme une fourmilière, des éminences grises se bousculent, têtes baissées, préoccupées à
éviter les guets-apens qu'elles se dressent entre eux, dans la conquête des postes de doyens de l'institution...
HAUT LIEU DE LA CONTESTATION ?
Alors que l'université est contestée dans ses programmes et la qualité de ses enseignants, les étudiants et
le pays n'ont pas droit à l'éclairage de ceux qui en ont la charge, mais à une bataille de chiffonniers pour le poste de président.
L'université, le haut lieu de la contestation, du savoir et de la culture, a donné lieu à un spectacle qui traduit le malaise interne. Des étudiants n'ont pas hésité à hisser le drapeau
français pour revendiquer la tournante mohélienne. Parce que les enseignants pensent qu'il suffit de déballer leurs cours académiques pour en faire une université de référence. Ils risquent, et
ils le savent, de former une génération d'automates, qui ne trouveront aucun emploi digne. Elle est loin, très loin l'Ecole nationale supérieure de Nvuni, qui a envahi les rues de Moroni en
1989 pour exiger le départ de Bob Denard après l'assassinat du président Ahmed Abdallah.
Mais où donc se terrent-ils, nos intellectuels? Des Comoriens, jeunes femmes et enfants, près de 16 000 en 16 ans, fuyant la misère, ont péri en mer, entre Mayotte et Anjouan, dans des conditions atroces, avec plein d'espoir dans la tête. Des Comoriens, 30.00 par mois, sont expulsés en terre comorienne par une puissance coloniale pointée du doigt par les Nations-Unies
OÙ SONT-ILS PASSÉS ?
Pendant que des commissions françaises mettent en cause des pratiques de leur gouvernement, notamment les conditions inhumaines du Centre de rétention administrative de Mayotte, pendant que la commission française de déontologie, par une seule enquête, émet des hypothèses graves mettant en cause la responsabilité de la police frontière française, assimilant ses pratiques de surveillance des mers à “homicide involontaire“, aux Comores, nos intellos détournent leur attention de ces drames, se contentent et se vantent de tapes “blanches“ sur leurs épaules.
Il est fort possible, en lisant la missive de l'ambassadeur de France adressée au vice-président de l'assemblée de l'Union, Ahamada Djaé, accusant les Comoriens tous autant qu'ils sont de “double langage“, que certains Français évoluant à Moroni ignorent que dans la continuité de Voltaire défendant Calas, Emile Zola et Octave Mirbeau, se sont engagés pour défendre le capitaine Dreyfus, et que Jean Paul Sartre et Pierre Vidla-Naquet ont dénoncé la torture en Algérie, Michel Foucault s'est bagarré pour les droits des prisonniers et Pierre Bourdieu, des chômeurs, ou encore Nioam Chomky, s'en prenant à une certaine époque à la politique guerrière des grandes puissances.
Ces hommes là ont fait la grandeur de la France tandis que ceux qui ont choisi par le silence, d'être complice des injustices ou des atrocités que perpétue la France dans le monde contribuent à sa décadence.
LA MAIN DE PÉTAIN À MONTOIRE, L'HORREUR DES EAUX À MAYOTTE
Alors, messieurs les franco-comoriens ! A défaut de choisir les Comores par amour pour la France, sachez choisir la
France généreuse, de la résistance, des lumières, la France de Sartre et De Gaulle et chassez de vos esprits la France des bombes, de la torture et de la collaboration, encore nostalgique des
pratiques coloniales en Afrique. L'image de la France de Pierre Laval et du maréchal Philippe Pétain, serrant la main d'Adolf Hitler à Montoire, n'est pas si différente et éloignée des poignées
de main que vos objectifs fixent à longueur de journée, aves des hommes qui justifient l'horreur dans nos eaux territoriales.
Le ministre des Relations extérieures, Fahmi Saïd Ibrahim, porte haut la voix des Comores. Les membres du gouvernement
choisissent ce moment de gloire pour signer un document qui restera dans les annales comme la traduction de la médiocrité de l'Etat, l'illustration de la facilité avec laquelle la France
piétine l'histoire de notre Nation. Peut-on laisser les Comores entre les seuls soins d'Aboubacar Saïd Salim, Soeuf Elbadawi, Idriss Mohamed, Hassan Moindjié, Nassuf Djailani, etc.
L'intellectuel n'est pas celui qui collectionne les livres ou accumule les diplômes. Dans notre entendement, des hommes et des femmes ont accédé à des positions sociales respectables, disposent de formes variées d'autorité qu'ils doivent mettre à profit pour persuader, proposer, convaincre, débattre, permettre à l'esprit critique de s'émanciper des représentations sociales, de dénoncer les injustices, les abus, les dérives....
ALIBIS?
Certains d'entre eux se cachent ou s'affairent derrière les causes environnementales pour se donner bonne
conscience, d'autres s'habillent des oripeaux de la cause du développement communautaire pour exister, la plupart se croisent dans les couloirs des organismes internationaux et attendent
tranquillement leur retraire pour venir chez eux mesurer la profondeur de l'abime, le poids de la misère, le fardeau des détresses humaines. Tous ont conscience qu'ils tournent le dos aux
Comores, tous savent que d'un moment à un autre, ce pays orphelin risque d'imploser.
Je ne fais pas ici appel à l'intellectuel pour écrire et se transformer en grand penseur réfugié dans
l'abstraction, cogitant sur le doute. Le pays n'a pas besoin d'enfants coupés de la réalité ou traitant de sujets qu'ils connaissent approximativement. Il a besoin de ces intellectuels qui
peuvent braver les mers tumultueuses pour accompagner les Kwasas jusqu'à destination, des hommes qui oseront enfin défendre les causes justes de leur pays, fût-ce à leurs risques et périls.
Camus disait que l'écrivain “ne peut se mettre au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent“.
Votre rôle est de donc de parler, écrire et agir au nom de ceux qui ne peuvent pas le
faire.
Ahmed Ali Amir
Source : Al-watwan N° 1731 du jeudi 07 avril 2011