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L’information fait grand bruit dans les sphères culturelles de
Paris, de notre région et jusqu’aux Etats-Unis où elle se trouve relayée, notamment à New York(*), par les amis et connaissances, écrivains et universitaires, de Soeuf Elbadawi. L’auteur
du “Moroni Blues” présenté sur toutes les scènes réunionnaises est interdit de séjour sur le plateau de l’Alliance Française des Comores qui s’était engagée, comme elle l’a fait souvent à son
égard par le passé, à lui offrir une résidence de travail pour sa pièce “La fanfare des fous”, assortie de la programmation de cette création.
La raison de ce forfait ? Un événement qui remonte au 13 mars dernier, date d’une performance de rue où Soeuf Elbadawi, à l’instar des tableaux de nos défilés du 20 Décembre pointant
l’esclavage d’antan, est apparu les mains liées, le corps blanchi à la chaux, jouant le rôle du “blanc noir” décrit dans les années 50 par l’auteur antillais Frantz Fanon dans son livre “Peau
noire, masques blancs”, sous les huées de la foule entrant dans le jeu pour scander le slogan “mkolo nalawé” (colon dehors) (voir photo). Un
happening à la manière du “gungu” local, permettant aux gens d’exprimer leurs peurs, qui en cette période de référendum annoncé pour la départementalisation de Mayotte, a pris un sens particulier
et sérieusement inquiété les autorités. Résultat, la décision annoncée jeudi dernier par le directeur de l’Alliance franco-comorienne, Jérôme Gardon, d’annuler purement et simplement ses
engagements avec la compagnie de Soeuf Elbadawi, O Mcezo. “La fanfare des fous”, spectacle sur la façon dont on dépossède les citoyens de leurs droits, aurait trouvé un écho particulièrement
iconoclaste dans l’esprit du comité d’administration de cette double institution, sans compter que nombre de coopérants français en fonction à Moroni auraient, nous dit-on, fustigé pour
l’occasion “l’arrogance” de l’homme de théâtre. La peur de l’autre...
Le responsable de l’Alliance franco-comorienne aurait expliqué sa volte-face en pointant en Soeuf Elbadawi
comme “l’instigateur d’une manifestation politique violente”. Ce à quoi le “fauteur de trouble” répond : “Il ne s’agissait que d’un gungu, et celui du 13 mars était organisé contre le viol
de l’intégrité territoriale des Comores. Ce qui est terrible, c’est d’entendre dire que je suis exclu de l’Alliance pour avoir osé dire que Mayotte est comorienne !... Ce qui revient à
dresser les Comoriens contre d’autres Comoriens”. Voilà en tout cas, de son point de vue, une image “indigne” des institutions culturelles françaises.
“Ma performance parlait de dignité, de respect et de liberté ce qui explique que la population ait salué l’événement. Sans vouloir tomber dans la parano qui veut que la France coupe les ailes à
tous les Comoriens qui viennent lui rappeler qu’une autre relation au quotidien est possible, je trouve à mon tour inquiétant de voir dans le même temps le plasticien Seda viré de l’Ecole d’art
française Henri-Matisse, où il enseigne, pour sa participation à la performance”, constate l’auteur. “(voir le communiqué d'O Mcezo en
cliquant ICI)de L’art doit servir à faire bouger les lignes.
En tant que comédien, incarnant ce personnage horrible traîné dans les rues, je ne cherchais pas à asséner des vérités. Mon seul but était de susciter une interrogation. Est-il normal que
ce pays continue à se perdre dans les mémoires, sans que l’on puisse exiger notre part de dignité, sans que l’on ait notre mot à dire ?”
Et Soeuf Elbadawi de prier pour que ses jeunes compatriotes ne se laissent pas récupérer par le gotha politique : “Et pour qu’ils ne troquent pas leurs colères contre un visa ou contre
un coup de pouce pour un boulot, ou même contre le chèque d’un député corrompu. Leur colère est saine, elle part du citoyen et ne singe pas nos hommes politiques et leurs appétits de
pouvoir...”
Pour la compagnie de Soeuf Elbadawi et pour son producteur Washko Ink, les projets artistiques sont certes compromis, mais leur engagement dans l’art citoyen n’en sera que plus grand. “J’avoue
que si je pouvais contribuer à ce combat par mon travail, je serais un homme heureux. J’ai l’impression de servir une juste cause, cette histoire de départementalisation n’étant qu’un aspect du
problème. On nous vole la terre (l’occupation de Mayotte si j’en crois le droit international, reste en tous points illégale), et en plus, on sème la haine dans les
cœurs”
Marine Dusigne
Soeuf El badaoui
Journaliste, artiste et “auteur de fictions” comme il dit, Soeuf Elbadawi est né en 1970 à Moroni. Comédien, il s’installe en France en 1992 pour y poursuivre des études de lettres modernes. À
Paris, il collabore avec Radio France Internationale, produisant des magazines culturels pendant une quinzaine d’années (littérature francophone, sujets de société sur l’immigration), ce qu’il
faisait au péalable pour Radio Comores. Chroniqueur pour la revue Africultures en France et pour le mensuel Kashkazi aux Comores, il est rentré au pays, initiant le Komor4 Festival, lieu de
rencontre de toutes les cultures du monde fédérateur d’une “nouvelle fratrie à inventer sur ces îles situées en mer indianocéane”. Depuis 2007, Soeuf Elbadawi qui partage son temps entre Paris et
Moroni, enseigne à l’université des Comores dans le cadre d’un laboratoire de recherches en théâtre. Agitateur culturel et fondateur de Washko Ink, structure associative de production culturelle,
il a commis son “Moroni Blues” qui fonctionne tel un récit de ville à facettes multiples, empruntant à la fois à la poésie, à l’image, à l’anthropologie ou encore à l’histoire. Il vient de
publier le fruit d’un travail sur le même thème “Une rêverie à quatre mains”, après sa tournée l’an dernier sur les planches réunionnaises et sa résidence aux Bambous de Saint-Benoît. Il a
également fait paraître dans un passé récent deux opus sur le label parisien Buda Musique (Musiques traditionnelles des Comores et Zaïnaba ; Chants de femmes des Comores) et réalisé avec le
jeune cinéaste comorien Ahmed Jaffar le film “Moroni Undroni Mndroni”, sur la question du repli communautaire dans la capitale comorienne.