Hommage au célèbre comédien et conteur de Ouani "président zaglo"
L’homme de la verve et conteur ouanien, "Président ZAGLO" alias '' Baha le fils" est mort.
Quelle personne ayant vécu à Ouani entre 1980 et ce jour n’a pas connu ou entendu parler de Baha le fils alias Président zaglo ?
Quel fidèle auditeur de Radio Comores de la fin des années 80 ne se rappelle pas des émissions du Président Zaglo du dimanche matin ?
L’homme est décédé à OUANI – ANJOUAN le vendredi 13 mars 2009 à l’âge de 84 ans.
Abdallah Abdérémane Mchindra, de son vrai nom, était arrivé avec sa famille à Ouani, sa ville natale, après avoir passé plusieurs années à Madagascar, en 1977, suite aux évènements dramatiques de Majunga de décembre 1976. Certains journalistes préfèrent plutôt parler « d’un massacre tant par le nombre de victimes, près de deux milles, que par la rapidité avec la tuerie a été exécutée (trois jours) » [1]. Tailleur de profession, il y avait ouvert un atelier de couture, mais il s'était surtout fait connaître grâce à un autre talent : celui d'inventeur d’histoires et de conteur.
Baha le fils avait commencé sa carrière artistique dans son atelier de couture où il contait régulièrement ses histoires - le plus souvent il s’agissait de ses souvenirs mais avec exagération - à un petit groupe de jeunes fidèles. L'information s'était vite propagée dans la ville. Au fil du temps, le public s'était élargi au point qu’il était nécessaire de trouver un autre endroit approprié.
C’est la raison pour laquelle, il avait, par la suite, pris l'habitude d’organiser ses séances de contes tous les après midis de 16h00 à 18h30 au stade de foot ball d’Ouani. Et là, c'était devenu un rituel et un vrai spectacle gratuit en plein air : toujours la même place ; la même pierre qui lui servait de siège ; les fidèles qui attendaient impatiemment son arrivée. Et les enfants qui guettaient l’apparition de sa silhouette pour le signaler à leurs ainés et ensuite aller l'escorter comme un chef d’Etat jusqu'au stade. L'homme moustachu, habillé souvent en chemise bleue ciel à manches longues avec un kofia pointu sur la tête était toujours accueilli par des applaudissements. Après avoir salué la foule nombreuse, il s'installait sur sa pierre. Les badauds rejoignaient les fidèles et s'attroupaient autour de lui. C’était parti. Ça y allait dans tous les sens : la concentration, les fous rires, les cris de joie et les tapages de mains. Le conteur se lançait dans son art préféré durant au moins 2 heures 30 tous les jours : conter, conter encore, conter toujours. Souvent c’étaient des histoires inventées…. Ce qu’il appelait des «zaglo » -entendez par là – des mensonges ou encore de la pure invention. D’où son pseudonyme « Président Zaglo ».
Président Zaglo avait effectivement un talent incroyable et impressionnant d’inventer des histoires et mensonges pour agrémenter ses aventures et souvenirs de matelot à Madagascar. Il avait aussi la facilité d’improviser des réponses quand on lui demandait des précisions sur ses histoires.
C’était un moment agréable et un vrai bonheur pour ses fans.
Il est à l'origine de certains mots utilisés couramment à Ouani. Est-ce un emprunt à d'autres langues ou une invention ? Les linguistes nous le diront un jour.
C'est le cas par exemple du mot célèbre "zaglo" qui signifie maintenant "mensonge", "invention", "verve". Ou encore le nom "Bingwa" qui, souvent dans ses contes, avait le sens d'une personne robuste. Aujourd'hui, à Ouani, certains membres d'une famille portent allégrement ce surnom sans peut être savoir son origine. On peut aussi citer "ma parapé" (parpaing en français) dont le sens figuré en shindzuwani est "des mensonges".
La notoriété du "président Zaglo" avait de loin dépassé les frontières de la ville et la région d’Ouani. Elle était devenue nationale à cause des émissions qui lui ont été consacrées à la fin des années 80, par Radio Comores, l’unique radio et station nationale de l’époque.
D’ailleurs, Jean Claude Klotchkoff dans son livre ‘’Les Comores Aujourd’hui’’[2] n’a pas manqué de le souligner : « A Ngazidja - Grande Comore, un conteur de soixante quatre ans Monsieur Abdallah Abderemane Mchindra, s’est fait connaître du grand public sous le nom de ‘’Président Zagloo’’. Ancien matelot, tailleur, il a l’art d’amuser les grands comme les petits par sa verve et son art de raconter ses souvenirs à l’antenne de radio-Comores, le dimanche matin. Au cours de son émission, ‘’ fou- rire ‘’ » a-t-il écrit à juste titre.
Ses émissions sont aussi couronnées d’un succès incontestable à Anjouan où elles sont aussi diffusées régulièrement sur les ondes de différentes radios locales de l’île.
Cet homme ayant contribué à l’édification du royaume de notre enfance et fait connaître Ouani et un volet de la littérature comorienne à sa façon grâce à ses maparapé, zaglo et contes, il était de notre devoir de lui rendre un hommage ne serait-ce que petit. Car nous sommes intimement convaincus qu’un jour Ouani, l’histoire et la culture des Comores lui rendront le vrai hommage qu’il mérite comme c’est le cas actuellement avec les Mbaé Trambwé et autres.
Paix à ton âme Président ! Tu n’es pas mort pour tous ceux que tu as émerveillé avec tes contes, maparapé et zaglo. Et les souvenirs du royaume restent vivaces et joyeux.
HALIDI ALLAOUI (HALIDI-BLOG-COMORES)