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  • : HALIDI-BLOG-COMORES, Blog des COMORES
  • : BLOG DES COMORES GERE DEPUIS LE 01 DECEMBRE 2013 PAR MARIAMA HALIDI
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A SAVOIR

QU'EST CE QUE LA LANGUE COMORIENNE ?

Pour répondre à cette question pertinente, nous vous proposons ci- dessous l'interview du grand linguiste et spécialiste de la langue comorienne, Mohamed-Ahmed Chamanga

 

 
INTERVIEW DE CHAMANGA PAR RFO EN 2004
 
 
 Le comorien est une langue composée de mots africains, de mots arabes voire parfois de mots portugais et anglais. D'où vient la langue comorienne ?

M.A.C : Le fonds lexical de la langue comorienne est essentiellement « africain » comme vous le dites, et plus précisément bantu. Les emprunts au portugais ou à l'anglais sont relativement faibles. Par contre, l'apport arabe est très important. Cela s'explique par la très forte islamisation des Comores, depuis la Grande Comore(Ngazidja) jusqu'à Mayotte (Maore) en passant par Mohéli (Mwali)et Anjouan (Ndzuwani). Malgré ces emprunts, le comorien (shikomor) reste, sur le plan de sa structure grammaticale, une langue bantu.

Qu'appelle t-on une langue bantu ?

M.A.C : Le bantu est une famille de langues, la plus importante d'Afrique. Les langues qui composent cette famille couvrent pratiquement toute la partie australe du continent noir.

Y a t-il encore aujourd'hui en Afrique ou à Madagascar des populations qui parlent une langue similaire au comorien ?

M.A.C : Bien sûr ! On trouve par exemple le swahili en Tanzanie, le lingala au Congo Démocratique, le kikongo au Congo, le zulu en Afrique du Sud, le shona au Zimbabwe-Mozambique, le tswana au Botswana, le kinyarwanda-kirundi au Rwanda-Burundi, etc. Comme ces langues appartiennent à la même famille, elles ont forcément beaucoup de points communs dans la structure des mots, leurs répartitions dans les phrases, les accords grammaticaux, etc. Elles ont aussi un minimum de vocabulaire commun.
Prenons par exemple le mot bantu ! Ce mot est attesté dans certaines langues, comme le lingala, et il signifie « hommes ». C'est le pluriel du mot muntu qui veut dire « homme » au singulier. Dans d'autres langues, ces mots se déclinent au pluriel en watu (swahili), wantru ou watru ou en encore wandru (shikomor) ; au singulier, nous avons respectivement mtu, muntru, mtru, mndru.
Prenons encore l'exemple de la phrase kinyarwanda suivante qui signifie : « Combien d'hommes ? » : Abantu bangahe ? Nous avons en comorien les équivalences suivantes :Wantru wangapvi ?Watru wangapvi ?Wandru wanga(pvi) ? et en swahili :watu wangapi ?

Ne pensez-vous pas qu'il y a beaucoup de ressemblance dans tout ça ?

M.A.C : A Madagascar, jusqu'au milieu du XXe siècle, il y avait quelques poches bantuphones sur la côte nord-ouest. Mais les langues africaines qui y étaient parlées, le swahili à Marodoka ou le makua à Maintirano, ont aujourd'hui disparu. Le malgache appartient à une autre famille de langues : les langues austronésiennes comme par exemple les langues indonésiennes.

Le comorien est souvent comparé au swahili, parfois on a même dit que le comorien en était dérivé ?

M.A.C: Selon les résultats des recherches des trois dernières décennies, il est prouvé que le comorien et le swahili sont génétiquement issus d'une même souche-mère, d'où leur très grande parenté. Mais les deux langues se seraient séparées aux environs du XIIème siècle. On peut donc dire que ce sont deux langues soeurs. Si la confusion a pu se maintenir jusqu'à une période pas très lointaine, c'était à cause de la très grande proximité des deux langues, mais aussi parce que les sultans des Comores parlaient swahili et beaucoup de correspondances et traités avec les pays voisins ou les puissances étrangères étaient rédigés en swahili qui étaient à l'époque la plus importante langue de communication et du commerce de cette région de l'océan indien occidental.
Par combien de personnes est parlée la langue comorienne?
M.A.C:On peut estimer que la langue comorienne est parlée aujourd'hui par un million de personnes environ : les 750 000 habitants de l'archipel des Comores plus la très importante diaspora comorienne, que l'on peut retrouver notamment à Madagascar, à Zanzibar ou encore en France.

Est-elle enseignée à l'école ? Si non pourquoi ?

M.A.C: Malheureusement, elle ne l'est pas. Pourquoi ? Parce que : Premièrement, la colonisation française, avec sa mission « civilisatrice », n'avait jamais reconnu au peuple dominé une quelconque culture ou civilisation et que les langues des dominées n'étaient pas des langues mais, avec un sens très péjoratif, des dialectes qui n'avaient ni vocabulaire développé ni grammaire.
Deuxièmement, le pouvoir très centralisateur de l'Etat français avait imposé le français comme la seule langue de l'administration partout. Cela était vrai dans les colonies, mais aussi en métropole. C'est ainsi qu'on a banni l'enseignement du breton en Bretagne, du basque au Pays Basque (Sud-Ouest de la France).
Troisièmement enfin, nous avons nous-mêmes fini par admettre que notre langue est pauvre et sans grammaire. Elle ne peut donc pas être enseigné. Il faut encore souligner qu'avec l'instabilité chronique des Comores indépendantes, aucune réflexion sérieuse n'a pu être menée sur la question. Pourtant, les pédagogues sont unanimes : pour permettre l'épanouissement des enfants, il est nécessaire que ces derniers puissent s'exprimer pleinement dans leur langue maternelle...

Y a t-il une ou des langues comoriennes ?

M.A.C:Nous avons la chance d'avoir une seule langue comorienne, depuis Ngazidja jusqu'à Maore. Mais comme toute langue, le comorien se décline en plusieurs dialectes qui en sont les variantes régionales : le shingazidja à la Grande Comore, le shimwali à Mohéli, le shindzuani à Anjouan et le shimaore à Mayotte.

Comment expliquer l'apparition de divers dialectes sur un territoire aussi exiguë que les Comores ?

M.A.C : Ce phénomène n'est pas spécifique au comorien. Toute langue est formée de plusieurs dialectes. La dialectalisation s'accentue lorsqu'il y a peu de communications et d'échanges entre les régions. A l'inverse, le déplacement d'une population qui parle un dialecte donné vers une autre région où l'on parle un autre dialecte peut également entraîner des changements dans les deux dialectes. Pour le cas des Comores, le facteur du peuplement par vagues successives au cours de l'histoire explique aussi le phénomène.
Les différences dialectales peuvent aussi s'observer à l'intérieur de chaque île. C'est ainsi, par exemple en Grande Comore, que la manière de parler des gens de Mbéni dans la région du Hamahamet diffère du parler des gens de Fumbuni dans la région du Mbadjini. Il en est de même à Anjouan entre les gens de Mutsamudu, sur la côte nord, et ceux du Nyumakele, dans le sud-est de l'île, ou encore, à Mayotte, entre Mamoudzou et Kani Bé ou Mwana-Trindri dans le sud, etc.

Un mot sur la langue mahoraise.

M.A.C:Le shimaore appartient au même sous-groupe dialectal que le shindzuani. C'est dire qu'il faut souvent écouter attentivement pour percevoir les différences entre ces deux dialectes. Le shimaore fait ainsi partie intégrante de la langue comorienne.

Le comorien s'enrichit-il ou s'appauvrit-il (avec le phénomène de créolisation de la langue) ?

M.A.C : Parler à l'heure actuelle de créolisation de la langue comorienne est quelque peu exagéré. Certes elle ingurgite aujourd'hui beaucoup de mots d'origine française. Mais cela reste « raisonnable ». Le comorien a emprunté énormément de vocabulaire d'origine arabe, environ entre 30 et 40 % du lexique, pourtant on ne parle pas de créole arabe, et cela à juste titre. En effet, ce qui fonde une langue, ce ne sont pas seulement les mots. Ce sont surtout sa structure grammaticale et sa syntaxe. De ce point de vue, le comorien ne ressemble ni à l'arabe ni au français.
On ne peut pas dire que le comorien s'appauvrit. Essentiellement oral, il répond parfaitement à nos besoins de communication. Il est toutefois évident qu'une langue écrite possède un stock lexical beaucoup plus étendu qu'une langue orale. Ne vous inquiétez pas pour le comorien. Si un jour, on décide de l'écrire, de l'enseigner et de l'utiliser dans l'administration, il ne pourra que s'enrichir. Il s'enrichira en se forgeant des mots nouveaux ou en empruntant d'autres ailleurs, comme cela se fait dans les langues dites de « grande civilisation ».

Où en est actuellement la recherche sur la langue comorienne ?

M.A.C: La recherche sur la langue comorienne avance ; trop lentement peut-être, mais elle avance. Nous avons aujourd'hui une meilleure connaissance sur elle qu'il y a vingt ans. Malheureusement, c'est un domaine qui intéresse peu de monde, aussi bien chez les nationaux que chez les chercheurs étrangers.

Pensez-vous qu'un jour tous les Comoriens parleront la même langue ? Et sur quoi se fonderait cette sédimentation en une seule langue « nationale » ?

Mohamed Ahmed-Chamanga : Nous parlons déjà la même langue. Ce qui nous manque, c'est une langue standard, comme en Tanzanie avec le swahili, à Madagascar avec le malgache, ou en encore au Zimbabwe avec le shona, etc. Pour arriver à ce stade, il faut qu'il y ait une réelle volonté politique, une prise de conscience chez les Comoriens de vouloir mieux apprivoiser leur propre culture et que soit mise en place une équipe de chercheurs qui se pencherait sur la question et qui proposerait cette langue standard qui serait utilisée dans tout l'archipel des Comores.

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CI-DESSOUS LES NEWS  RECENTES  DES COMORES

 

 

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A PROPOS DE OUANI

Ouani et ses grands hommes
 
 
L’être humain est insignifiant puisque le corbeau et beaucoup d’autres espèces d’arbres vivent plus longtemps que lui. De ce court séjour dans ce bas monde à la différence d’autres êtres vivants, l’homme peut marquer de son empreinte l’histoire.
A OUANI, ce genre d’homme malgré sa rareté, a existé et continu à exister jusqu’à nos jours. En ouvrant ce nouveau chapitre, quelques dignitaires en collaboration avec le comité de pilotage de la ville ont tenu à rendre hommage beaucoup d’hommes et de femmes qui ont fait du bien à cette ville.
En dehors de tout jugement, ils ont fait de leur mieux pour que Ouani devienne l’une des grandes villes les plus rayonnantes des Comores et Ouani l’est grâce à eux. Elle doit continuer à l’être pour nous et les générations à venir.
A titre posthume, nous tirons la révérence devant Saïd Toiha (Baco Moegné), Saïd Abdou Bacar Nomane, Saïd Abdou Sidi et Saïd Andria Zafi.
 
Le premier pour avoir créé la première école privée de la ville dans l’objectif de ne plus avoir un enfant de six à sept ans non scolarisé, le second qui a été le premier à être ministre et dont les louanges dépassent les frontières de la ville, le troisième a accompagné plusieurs années la jeunesse et le dernier a beaucoup contribué au niveau de l’enseignement primaire par son dévouement et son engagement à instruire ceux qui l’ont fait pour nous. Cette liste vient de s’ouvrir et n’est pas prête de se fermer ; beaucoup d’autres personnes disparues ou vivant tels que les enseignants apparaîtront à la prochaine édition.
Ansaly Soiffa Abdourrahamane
 
Article paru en 2003 dans le n° 0 de Jouwa, bulletin d’information de OUANI
 
 
 
 
LES ENFANTS DE LA VILLE DE OUANI
ET L’HISTOIRE   DES COMORES
 
 Beaucoup d’enfants de la ville de OUANI ont marqué et marqueront toujours l’histoire de leur pays : les îles Comores.
 
 En voici quelques uns dans différents domaines.
 La liste n’est pas exhaustive
 
 I) LITTERATURE
 
LITTERATURE ORALE
 
ABDEREMANE ABDALLAH dit BAHA PALA
 
Grand connaisseur du passé comorien décédé brusquement en 1988.
Actuellement, un projet de publication de sa biographie est en étude.
On trouve beaucoup de ses témoignages sur l’histoire des Comores dans le tome 2 de l’excellente thèse de SIDI Ainouddine sur la crise foncière à Anjouan soutenue à l’INALCO en 1994 
 
LITTERATURE ECRITE
 
Mohamed Ahmed-CHAMANGA
 
Grand linguiste des Comores
 
 Né à Ouani (Anjouan) en 1952, Mohamed Ahmed-Chamanga, diplômé de swahili et d'arabe, a fait des recherches linguistiques sur sa langue maternelle. Il enseigne la langue et la littérature comorienne à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Il est l'auteur d'une thèse, de plusieurs articles, ainsi que d'un recueil de contes de l'île d'Anjouan : Roi, femmes et djinns (CLIF, 1998). Président de l'Association Fraternité Anjouanaise, Mohamed Ahmed-Chamanga a fondé, en 1997, le journal Masiwa.
 Il enseigne actuellement la langue et la littérature comoriennes à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris (INALCO).
 
AINOUDINE SIDI
 
 Historien & grand spécialiste de l’histoire foncière des Comores 
 
 Né à OUANI, en 1956. Il a fait des études d’histoire à l’université de DAKAR (SENEGAL) et a préparé un doctorat d’études africaines à l’INALCO (PARIS)  Il est actuellement chercheur et Directeur du CNDRS (Centre National de Documentation et de Recherches Scientifiques) à MORONI.
 
 II) MUSIQUES & CHANTS
 
DHOIFFIR ABDEREMANE
 
Un des fondateurs de l’orchestre JOUJOU des Comores.
Avec ses chansons axées sur la contestation sociale. Il fait partie des premiers artistes qui ont introduit aux années 60 une nouvelle forme de musique aux COMORES.
 
C’est un homme très discret mais plein de talents. On se souviendra toujours de ses productions à la salle AL CAMAR de MORONI.
 
FOUDHOYLA CHAFFI
 
 Une des premières femmes comoriennes à avoir fait partie d’un orchestre musical.
 Il s’agit là d’un engagement incontestable de la part d’une femme comorienne.
 Elle a commencé à jouer un rôle important dans la chanson à partir de 1975 comme chanteuse principale de l’orchestre JOUJOU des Comores.
Sa voix d’or résonne toujours dans le cœur de tous ceux qui ont vécu dans notre pays de 1975 à 1978. On ne passait pas en effet, une seule journée sans entendre une de ses chansons sur l’égalité des sexes, l’unité des Comores, le changement des mentalités… à la radio nationale.
 
 III) POLITIQUE
 
Le sultan ABDALLAH III
 
 De mère ouanienne, il est l’un des grands sultans qui ont régné dans l’archipel des Comores au 18eme siècle et plus précisément sur l’île d’Anjouan.
 
SITTOU RAGHADAT MOHAMED
 
La première femme ministre et élue député des COMORES
 
Né le 06 juillet 1952 à OUANI. Elle a enseigné pendant plusieurs années le français et l’histoire géographie dans différents collèges du pays avant d’être nommée secrétaire d’Etat à la condition féminine et à la population en 1991.
De 1991 à 1996 elle a assumé de hautes responsabilités politiques : Haut commissaire à la condition féminine, Ministres des affaires sociales, conseiller spécial du président de la république, secrétaire général adjoint du gouvernement, élue députée ….
Actuellement, elle est enseignante à l’IFERE et Présidente du FAWECOM.
 
Article publié sur le site de l'AOFFRAC (www.aoffrac.com)
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 22:28

Ci-dessous un long entretien du professeur Jean Martin, Historien colonialiste sur l'histoire des Comores . Nous osons espérer que nos historiens réagiront. Car il est temps qu'ils s'approprient notre histoire afin de corriger les contrevérités, les omissions et la desinformation.

HALIDI-BLOG-COMORES 

Source : mayotte.rfo.fr / 13 février 2009

Histoire de Mayotte
Entretien avec le professeur Jean Martin

Professeur émérite d’histoire à l’Université de Lille III, spécialiste de la colonisation et de la décolonisation, du monde musulman au XIXe siècle, ainsi que des Comores, Jean Martin nous raconte Mayotte.

par Ismail Mohammed Ali

Jean Martin est l’auteur d’un ouvrage conséquent sur cet archipel africain de l’océan Indien. Le livre « Comores, quatre îles entre pirates et planteurs » a été publié en 1983 et 1984 aux Editions l’Harmattan.

Le professeur et historien Jean Martin © RFO - 14.1 ko

Le professeur et historien Jean Martin © RFO

 

On va évoquer l’archipel des Comores et l’une de ses îles Mayotte. Dites-nous : « Rêvez-vous d’île plus verte que le songe... ?
Jean Martin :
Dixit Saint-John Perse qui disait « J’ai rêvé d’île plus verte que le songe ». Oui, je crois que je suis très insulaire. On m’a souvent fait remarquer, pas très charitablement, que ça correspondait à une faille de caractère, mais j’ai toujours aimé les îles. « Je suis un homme des îles qui regarde passer les cargos » a dit l’écrivain Le Clézio, plus près de nous.

Quand avez-vous entendu parler pour la première de cet archipel des Comores ?
Jean Martin :
Cela remonte à mon adolescence. Il y avait dans le grenier de mes grands-parents de vieux livres que plus personne ne lisait sauf moi. Notamment un ouvrage, qui datait de 1890 environ, qui s’appelait « Nos colonies », qui passait en revue tous les territoires de l’empire colonial français et c’est comme ça que je me suis attardé sur Mayotte et les Comores de manière générale.

Ce qui vous a amené, par la suite, à travailler de manière gigantesque à un double ouvrage intitulé « Comores, quatre îles entre pirates et planteurs » ; avec un premier tome consacré aux razzias malgaches et les rivalités internationales du 18e siècle à 1875 et un second tome sur la genèse, la vie et la mort du protectorat. Pourquoi un tel travail ?
Jean Martin :
Ma curiosité pour les Comores s’explique de deux manières. D’une part, mon intérêt pour les îles, je viens de vous en parler. Ce qu’on appelle le mezzophilie ou plus simplement le tropisme insulaire. J’ai toujours aimé les sociétés insulaires et d’autre part mon attrait pour l’islam. Or aux Comores, les deux se rejoignent : l’insularité et l’islam. J’étais en quête d’un sujet de thèse et celui-là m’est venu tout naturellement à l’esprit.

Dans l’avant-propos de votre ouvrage « Comores, quatre îles entre pirates et planteurs », vous écrivez, je vous cite « En entreprenant de l’histoire de l’archipel des Comores, de l’île de Mayotte et des sultanats de Mohéli, Anjouan et la Grande Comore à la fin du 18e siècle jusqu’à 1912, nous avons surtout envisagé de nous livrer à une étude de l’histoire de la colonisation, celle de l’instauration des Européens dans l’archipel, de leur pénétration fortuite et timide, de leurs rivalités, pour finir par la prise de possession des Comores par la France et d’une domination mal acceptée. Plus d’un siècle allait voir les quatre îles passer de sultanats africains traditionnels à celui de morne dépendance d’une grande puissance coloniale. » Que voulez-vous dire par « d’une domination mal acceptée » ?
Jean Martin :
Le problème est que les Français s’établissent à Mayotte en 1843, après un traité passé en 1841, après un traité qui leur avait cédé la possession de l’île. Puis, ils établissent leur protectorat en 1886 sur les trois autres îles de l’archipel : Grande Comore, Mohéli et Anjouan. Cette domination française d’une grande puissance européenne n’a pas bien été acceptée par les Comoriens. Elle a engendré des révoltes. Si à Mayotte, il n’y a pas eu beaucoup de mouvements de résistances parce que l’île de Mayotte était peu peuplée, il y a quand même eu un soulèvement en 1856 avec la « Révolte de Bakari Koussou ». Les travailleurs des plantations, qui étaient assez maltraités, se sont révoltés. Ce qui a mis un instant, n’est-ce pas, l’ordre colonial. Quant aux trois autres îles, il y a eu des mouvements de résistance spectaculaires notamment à Anjouan en 1891. Il y a eu une révolution des paysans pauvres et des esclaves qui a menacé le protectorat français très sérieusement. Il a fallu évacuer l’île et la reconquérir au prix d’une expédition militaire.

Qui était Bakari Koussou ?
Jean Martin :
Je ne connais pas grand-chose de lui. Je suis allé à Mayotte et je n’ai pas pu recueillir beaucoup d’informations à son sujet. C’était un Sakalave. La population de Mayotte est mélangée culturellement parlant s’entend. Vous avez des individus de langue comorienne et des individus qui représentent peut-être le tiers de la population qui sont de langue malgache. Ils parlent principalement la langue sakalave et aussi dans certains villages la langue betsimisaraka, par exemple dans la baie de Bouéni. C’était un sakalave, un compagnon d’un des derniers sultans de Mayotte : Adrian Tsouli. Ce dernier a vendu son île aux Français moyennant une rente de 5 000 francs par an et quelques autres avantages. Bakari Koussou estimait peut-être que l’on ne l’avait pas suffisamment récompensé du rôle qu’il prétendait avoir joué dans la cession de l’île à la France. Toujours est-il qu’il a exploité le mécontentement des travailleurs des plantations sucrières et coloniales, mécontentement très grand et très justifié et qu’il a fomenté, donc, un soulèvement en 1856.

Vous dites qu’il était originaire d’un village qui aurait aujourd’hui disparu ?
Jean Martin :
C’est le village de Bouyouni. Bakari Koussou est désigné par les documents d’archives comme le chef de ce village ; c’eut été un village peuplé de Mayottais d’origine malgache. Or ce village n’apparait plus ou n’apparait plus comme peuplé de malgaches. Les habitants parlent la langue comorienne.

Sait-on à quel endroit ce village se situait ?
Jean Martin :
Pas exactement, vous savez il y a des déplacements. Les gens pratiquaient la culture sur brulis. Ce qui fait qu’il y avait des déplacements constants de populations et de village. Des villages qui se trouvaient à tel endroit, dix ans ou quinze ans plus tard, n’apparaissent plus au même lieu.

Ces Malgaches dont vous parlez est-ce des Malgaches arrivés aux premiers temps de l’histoire du peuplement des Comores ou alors sont-ils seulement cette vague d’hommes issus de la cour du roi d’origine malgache Adrian Tsouli fuyant son royaume du Boina au Nord-Ouest de Madagascar ?
Jean Martin :
Il y a plusieurs hypothèses sur le peuplement des Comores, donc de Mayotte. Mais, il est vraisemblable que beaucoup de ces gens de langue malgache, car on hésite à les appeler Malgaches, sont en fait les anciens habitants de Mayotte. Les gens de langue swahilie, qui parlent shi-maoré (le mahorais) seraient venus par la suite. Les Comores étaient une passerelle entre la côte orientale de l’Afrique et Madagascar. Ces Malgaches comme on les appelle ici correspondent aux Austronésiens. Ils étaient aussi présents sur les autres îles de l’archipel. Ce seraient des habitants venus du Sud-Est asiatique et qui seraient venus peuplés les Comores et Madagascar. Cette hypothèse est une hypothèse parmi tant d’autres. Vous savez il y a beaucoup de controverses. Il y a dans les universités d’Afrique du Sud des tenants de la thèse des bantous qui vous diront que les Bantous ont peuplé les Comores avant toute autre population. Ce qui est quand même difficile à admettre. Les Bantous n’ont jamais été de grands constructeurs de bateaux qui auraient fabriqué des barques suffisantes pour gagner les Comores à partir de ce qui est aujourd’hui le Mozambique.

Revenons à la personnalité d’Adrian Tsouli. On en entend souvent parler, mais qui est-il vraiment ? Avait-il vraiment un rôle fort dans la politique locale ?
Jean Martin :
Non. Il suffit de lire attentivement ce que j’ai écrit, parce que c’est évidemment assez complexe. C’est un chef du Boina, région côtière donc sakalave du Nord-Ouest de Madagascar, qui est en difficulté parce que l’île de Madagascar est en voie d’unification politique. Les Mernes, les habitants du plateau central, sont en train d’unifier l’île. Je crois que le roi qui régnait dans ce qui est aujourd’hui Tananarive ou Antananarivo vers 1800 avait dit à son fils : « Souviens-toi que ta rizière n’a d’autres limites que la mer ». Ce qui veut dire que les Mernes ont vocation à unifier l’île sous leur autorité bien évidemment. Tous ces chefs des royaumes périphériques se sentaient menacés. C’est ce qui amène Adrian Tsouli à émigrer à Mayotte à se mêler aux guerres incessantes qui opposent les sultans comoriens entre eux. A Mayotte, Adrian Tsouli se convertit à l’Islam, la religion pratiquée sur place, dans l’unique but de se faire admettre par la population et prend le nom de Sultan Boubah Sadiq. Il a été accepté un temps par une partie de la population. Mais, il n’avait pas beaucoup d’illusions sur la longévité de son installation à Mayotte et il savait tôt ou tard que les sultans d’Anjouan qui disposaient de forces armées bien supérieures aux siennes allaient probablement le déloger avec l’aide d’un chef betsimisaraka qui s’était établi près de la baie de Bouéni, dans le Sud de Mayotte, qui s’appelait Adrianavi. Il y a d’ailleurs une montagne au Sud de Mayotte qui s’appelle le « Boundru Dranavi » : la colline d’Adriananavi. Evidemment cette île dont il risquait fort d’être bientôt chassé mieux valait la vendre au plus offrant pendant qu’il était encore temps. C’est ce qui l’amène à vouloir céder « son île ». Il l’aurait tout aussi bien vendue à l’Angleterre. Mais les Anglais n’étaient pas très désireux de l’acquérir et même un missionnaire religieux et un agent politique, le Révérend Griffith a adressé à Adrian Tsouli une lettre très dure rédigée en termes très menaçants : « You are a bad man and disshevelled » etc.... Enfin bon, une lettre pleine de menaces.

Par bonheur pour Adrian Tsouli en 1840 puis en 1841, Monsieur Passot envoyé de l’amiral De Hell, gouverneur de Bourbon, qui est aujourd’hui La Réunion, fait escale à Nosy Be. Il traite avec la reine, une cousine et/ou nièce d’Adrian Tsouli, une petite reine sakalave, vend volontiers son île à La France et aussitôt Adrian Tsouli écrit à Passot qu’il voudrait bien se lier à la France par un traité analogue. Car, d’une part, il est en danger, par la menace des Anjouanais représentent pour lui et puis bien entendu il aime la France depuis toujours. N’insistons pas sur cet aspect des choses. L’année suivante en Avril 1841, Passot revient à bord d’un petit navire de guerre, « Le Colibri ». Il fait escale à Mayotte et considère que c’est une rade magnifique. Les Français recherchent une compensation à la perte de l’île de France, de l’île Maurice, qu’ils avaient perdu en 1815. Ils ne se consolaient pas de la perte de la rade de Port-Louis. Cette belle rade, ils pensent l’avoir trouvé à Mayotte. C’est comme ça que la transaction se fait assez rapidement. Adrian Tsouli recevra une pension de 1 000 piastres - piastre d’Espagne ou Taller de Marie-Thérèse, ça équivaut à 5 francs de l’époque -, donc 5 000 francs par an. Deux de ses deux enfants pourront être élèves à l’île Bourbon dans un collège s’il le désire et il aura quelques autres gratifications et cadeaux ; voilà l’essentiel du traité.

Comment Adrian Tsouli était-il perçu par la population indigène ?
Jean Martin :
Il était bien accueilli par la population sakalave, mais les Mahorais proprement dits devaient très mal admettre sa domination. Il faut dire que les Mahorais étaient très peu nombreux. La population de l’île pas estimée à plus de 5 000 habitants à cette époque-là. Certes, il n’y a pas eu de comptabilité précise ni de recensement. Il y avait fort peu d’habitants. L’île avait été dévastée par des guerres entre Ramanetaka, un autre chef malgache convertit à l’islam et établit sur l’île voisine de Mohéli, et les sultans d’Anjouan. Puisque Mayotte était un théâtre d’affrontements et beaucoup d’habitants s’étaient enfuis.

Qui régnait à Mayotte avant Adrian Tsouli ? A qui revient la légitimité du pouvoir ?
Jean Martin :
Il est difficile de parler de légitimité. Il y avait une dynastie régnante à Mayotte, un mfaoumé (un sultan). Le dernier connu s’appelait Boina Combo. Mais, il a été tué par Ramanetaka au cours des guerres qui l’opposait à Mohéli.

Que pensez-vous de l’appellation : « Comores, l’archipel aux sultans batailleurs » ?
Jean Martin :
Le terme n’est pas de moi, mais d’un historien français [Urbain Faurec], l’auteur d’un petit ouvrage intitulé « Les Comores, l’archipel aux sultans batailleurs ». Il y a quand même eu beaucoup de conflits dans l’histoire de l’archipel des Comores : des conflits dynastiques, des luttes intestines à l’intérieur de chaque île et des luttes qui opposaient les îles les unes aux autres. On ne peut pas le nier.

On ne parle de la France comme le royaume aux princes batailleurs. Pourtant la France n’a pas manqué de conflits de ce genre, notamment au Moyen-Age...
Jean Martin :
L’exemple du Moyen-Age chrétien occidental est très bon. Il est évident qu’il y avait des guerres presque constantes entre les seigneuries du territoire français et du territoire allemand, de l’Europe occidental. Quand apparaissent les grand Etats nationaux et que ces guerres féodales et seigneuriales prennent fin apparait le phénomène des grandes compagnies. Les guerriers au service de tous ses seigneurs se mettent à piller le pays et à le dévaster comme ils l’ont toujours fait. Le pape trouve un moyen très ingénieux de se débarrasser d’eux en les envoyant combattre à Jérusalem en leur disant vous allez délivrer le tombeau du Christ tombé aux mains des musulmans. Or, chacun sait que les musulmans n’ont jamais empêché les pèlerins chrétiens d’aller se rendre dans les lieux Saint d’Al-Qods. Mais, il suffisait de le dire. C’est comme ça que les chrétiens sont partis pour la Palestine.

Pour le cas des Comores, ces luttes étaient loin d’être à l’image du haut et du bas Moyen-Age. Elles n’étaient sanguinaires et encore moins meurtrières, si l’on se rapporte à l’ouvrage de Damir, Boulinier et Ottino sur « Histoire, d’une ligne royale à la Grande Comore ».
Jean Martin :
Oui. Une bataille acharnée aux Comores, c’était une bataille où l’on relevait sept morts sur le terrain. Dieu merci, ce n’était pas les guerres sanglantes auxquelles le 20e siècle nous a fait assister. Les royaumes de la Grande Comore étaient en voie d’unification. Encore au 18e siècle, Anjouan était diffusée en deux sultanats Domoni et Mutsamudu. Il y a eu une unification de l’île sous le règne d’un sultan Aboubacar Bin Salim du nom de Sultan Ahmed (je crois). Depuis, une cheffesse coutumière régnait à Domoni, une royauté traditionnelle. Anjouan étant un Etat unifié s’impose forcément aux autres îles. Je pense qu’à la Grande Comore, le processus était beaucoup plus lent. Sans l’intervention coloniale française, les Grand Comoriens auraient, je pense, terminé le processus d’unification de leur île et l’auraient transformée en sultanat unique. C’est que Saïd Ali Mfaoumé a fait me direz-vous. Mais il l’a fait avec l’aide du colonisateur. Cette unité aurait été faite fatalement au profit d’un des principaux lignages Inya Fwambaya et Inya Matswa Pirusa, ceux de l’Itsandra ou du Bambao. Le clan Mdombozi, dans le Mbadjini au Sud de l’île, n’aurait pas eu les moyens d’imposer sa domination à l’ensemble de l’île.

Quand êtes-vous allé à Mayotte pour la première fois ?
Jean Martin :
J’ai mis les pieds à Mayotte pour la première fois, c’était en 1967 et puis après j’ai été invité par la collectivité territoriale bien plus tard.

Lorsque vous mettez les pieds dans cet archipel pour la première fois, quelles ont été vos impressions ?
Jean Martin :
Certainement, on est dépaysé. On croit être dans un carrefour de civilisations. On a l’impression d’être à la pointe extrême de la civilisation malayo-polynésienne. Quand vous regardez certains villages de Chiconi à Mayotte, vous avez vraiment l’impression d’être dans certains villages indonésiens à Sumatra ou à Java. L’avance extrême des Malayo-polynésien et l’avance orientale des swahilis. Quoiqu’il y a quelques villages swahilis à Nosy Be.

L’aspect swahili et africain est plus fort à la Grande Comore ?
Jean Martin :
Certainement et peut-être moins fort qu’à Anjouan. Cette île est quand même la plus proche de la côte africaine. Elle a dû servir très longtemps de dépôt d’esclaves, transportés par boutres depuis la côte de Mozambique. Il y avait quelques individus de langue malgache sur l’île de Mohéli à Ouallah. Certains disent que ce sont les descendants des guerriers du sultan Abderrahmane (Ramanetaka), qui est mort vers 1840 dans cette île. La fille Djumbe Fatima a eu des aventures très connues...

Quelle est la particularité de Mayotte dans l’archipel des Comores ?
Jean Martin :
Elle n’a jamais été protectorat. Elle est devenue colonie française quand les Français en ont pris possession en 1843. Elle a été beaucoup plus imprégnée par la présence française que les trois autres îles des Comores. D’autre part, il y a eu un colonat important de gens, de petits colons, venus de La Réunion, qui ont développé durant un certain temps la production sucrière et par la suite celle des plantes à parfum. Avant 1841, Mayotte me parait avoir été plus ou moins une dépendance d’Anjouan, il y a bien une liste de sultans que j’ai donnée dans cet ouvrage mais j’ai l’impression que les sultans en question étaient des vassaux de ceux d’Anjouan, qui leur payaient tribut. Et des liens familiaux existaient entre les deux familles régnantes. Les sultans d’Anjouan prétendaient que les sultanats de Mayotte et de Mohéli leur appartenaient. Mohéli, ça ne fait pas de doute. Elle était une dépendance d’Anjouan. Mayotte, ça dépendait de la puissance des sultans d’Anjouan ; tantôt Mayotte se déclarait indépendante.

On rapporte que le dialecte comorien d’Anjouan et celui de Mayotte [comorien oriental] seraient similaires avec quelques variantes d’accent comme on dit également que le dialecte comorien de Mohéli serait plus proche de celui de la grande Comore [comorien occidental]...
Jean Martin :
Cela ne m’étonnerait. Cela confirmerait la thèse de liens très étroits entre Anjouan et Mayotte. Mohéli était comme une réserve agricole et d’élevage pour les sultans d’Anjouan.

Est-ce que ce rapport de classe est à l’origine des problèmes que rencontrent au quotidien les Anjouanais à Mayotte ?
Jean Martin :
Les Anjouanais sont mal vécus à Mayotte ; mais sont-ils bien vécus à Ngazidja [Grande Comore] ? Beaucoup de Grand Comoriens m’ont dit qu’ils supportaient mal la présence des Anjouanais. Anjouanais signifient « petits boutiquiers âpres au gain » et autres... Comme il y a beaucoup d’Anjouanais en service à Mayotte parce que cette île a été plus développée, leur présence n’est pas toujours bien admise.

Mais est-ce que les choses vont aussi loin à la Grande Comore. Anjouanais est devenu un terme générique...
Jean Martin :
Oui, à Mayotte, « Anjouanais » est devenu un terme générique pour désigner tout immigrant indésirable. Cela ne m’étonne pas, c’est lié au statut de Mayotte, qui est restée dans la République française et qui essaie par tous les moyens de se prémunir contre l’immigration sauvage.

Mayotte n’aurait jamais un protectorat mais une colonie...
Jean Martin
 : Une colonie avant l’ensemble comorien. C’était une petite colonie dès 1843, puis en 1886, les trois autres îles deviennent des protectorats. Elles ont un résident qui représente la France. Pendant ce temps-là, le sultan règne et continue de rester en place. En 1912, il y a une loi qui annexe les îles, qui supprime les souverainetés indigènes [régime du sultanat]. Les trois îles sont annexées et il y a une colonie de Mayotte et dépendances ou des Comores. Cette colonie deviendra pendant un temps une province administrée par le gourneur général de Madagascar. En 1975, le président Ahmed Abdallah proclame l’indépendance unilatérale des Comores. A ce moment-là les Mahorais s’y opposent et obtiennent de [la France] de former une collectivité territoriale de la République française.

Ce fameux référendum n’a pas tenu compte de l’avis de la population comorienne (Anjouan, Mayotte, Grande Comore et Mohéli). Ce fut un décompte île par île et non global comme dans toute consultation démocratique...
Jean Martin :
Il a tenu compte des populations comoriennes. Il y avait un pluriel qui avait son importance après consultation non pas de la population mais des populations. C’est ce sur quoi les Mahorais se sont appuyés pour dire évidemment que l’indépendance avait été rejetée localement par la population de Mayotte. Mayotte n’avait donc pas à suivre le chemin des trois autres îles.

Dans votre ouvrage, vous dites : « Les Comores sont exigües et il pouvait apparaître douteux que leur histoire put faire l’objet d’un travail de quelconque importance ». Cette exigüité appelle t-elle un même ensemble comorien avec une même population ou plusieurs populations ?
Jean Martin :
Je serais tenté de vous répondre qu’il y a des populations comoriennes, puisqu’on voit actuellement que les Comoriens, je parle de l’ex-République islamique, paraissent rechercher une formule fédérale assez souple, qui respecte l’identité culturelle de chaque île.

N’empêche qu’en 1975, l’ensemble des habitants de l’archipel des Comores (Anjouan, Mohéli, Mayotte et Grande Comore) avaient choisi massivement d’accéder à l’indépendance, donc de fuir la tutelle française. Au moment où les Comoriens ont marqué leur volonté manifeste d’indépendance, il n’y avait aucunement la volonté chez eux de voir quatre exécutifs à la tête de cet Etat-Nation.
Jean Martin :
En effet, cette volonté [d’une formule fédérale] se serait manifestée par la suite. C’est évident.

Le référendum qui donne l’anti-indépendance à Mayotte et lui permet de se maintenir dans le giron français était-il légal ?
Jean Martin :
Il y a un principe fondamental de l’Organisation Africaine qui est l’intangibilité des frontières coloniales. Comme vous le savez en Afrique, les Etats se sont formés dans les frontières qui avaient été celles de défuntes colonies et les dirigeants africains ont eu pour principe, à quelques exceptions près, de respecter cette règle fondamentale. On ne peut que les en approuver, autrement ils auraient précipité le continent africains dans des guerres à n’en plus finir s’ils avaient voulu revenir sur les frontières tracées, arbitrairement il est vrai, par le colonisateur. Mais toute frontière est arbitraire. On dit aussi qu’en Afrique continentale, il y a des tributs, des ethnies par des frontières arbitrairement établies par les colons. Mais croyez-vous qu’en Europe on n’observe pas la même chose ?

Croyez-vous qu’il n’y a pas de Basques des deux côtés de la frontière franco-espagnole, qu’il n’y a pas de Catalans des deux côtés de la frontière franco-espagnole, qu’il n’y a pas de Flamands dans le Territoire français et dans le territoire de la Belgique ? Et ainsi de suite, je pourrais multiplier les exemples. Toute frontière est une convention arbitre. Alors pour les archipels, c’est plus difficile et il y a souvent des ruptures. Vous en avez un exemple, il y a pas très longtemps en Indonésie, quand l’île indonésienne de Timor (oriental), qui n’avait pas été colonisé par les Pays-Bas mais par les Portugais à la différence du reste de l’archipel, a fait sécession. Cette sécession a été reconnue par la collectivité internationale.

Ce n’est pas le cas de Mayotte.
Jean Martin :
Oui, ce n’est pas le cas pour Mayotte, car le colonisateur était le même.

Comment l’historien que vous êtes, spécialiste des Comores et de la colonisation, voit-il la manière de certains individus à vouloir séparer l’histoire de Mayotte de l’ensemble de l’archipel des Comores ?
Jean Martin :
C’est certainement une erreur de vouloir étudier Mayotte séparément des trois autres îles Comores. Il est évident qu’il y a une très grande analogie linguistique, culturelle, historique entre Mayotte et Anjouan, Mohéli et Grande Comore. Même si le régime politique de Mayotte est différent - on ne sait pas ce que sera l’avenir, mon métier est de connaître le passé et non de prévoir l’avenir, Mayotte est une des Comores.

Est-il juste de comparer la société mahoraise à la société créole, à la société réunionnaise ?
Jean Martin :
Ah non ! La société mahoraise n’est pas une société créole. La société réunionnaise a été faite de toute pièce puisque cette île était parfaitement vierge de toute présence humaine quand les Français s’y sont établis. Les Français ont été des Français, des Malgaches, des esclaves noirs, puis des coolies, des Indiens etc... C’est ainsi que s’est fait le peuplement créole réunionnais, par ce mélange, cette juxtaposition. Mayotte a été vraisemblablement peuplée par les habitants de la zone costière de l’Afrique, les Swahilis. Le mot sahel vient de l’arabe, littoral. Ce sont ces habitants qui auraient, semble t-il, transporté des esclaves noirs de la côte d’Afrique aux Comores. Il y a toujours eu une pénétration d’Arabes venus de la péninsule arabique en petit nombre mais en continu. Ces Arabes par la religion ont imposé leur langue, au moins amené de nombreux mots de leur langue. Ce qui fait que la langue comorienne comporte aujourd’hui une syntaxe et de nombreux mots arabes. Je ne vois donc rien de comparable entre la société mahoraise et la société créole.

Quel lien entretient les Comores avec l’esclavage ?
Jean Martin :
L’esclavage devait être dans l’ancienne société comorienne, notamment au 18e siècle, une pratique assez courante. C’était l’esclavage musulman traditionnel. Vous pouvez vous rapporter à l’article « Abd » dans l’encyclopédie de l’Islam. C’était un esclavage patriarcal pour la bonne raison qu’il n’y avait pas d’économie de plantations très importante. Mais par la suite, avec la demande émanant des Mascareignes (Maurice [île de France], Réunion [île Bourbon]), les Comores vont devenir un pivot du trafic négrier parce que les sultans comoriens comprennent tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer du commerce des esclaves. Ils vont chercher des esclaves dans la côte d’Afrique, par navigation par boutre. Ils sont amenés à la Grande Comore, à Anjouan et également à Mohéli et les sultans locaux les revendent aux Européens avec des navires de plus fort tonnage. Puis en 1848, l’esclavage est aboli dans les colonies françaises, en 1833, il l’avait été dans les colonies britanniques, alors ce trafic prend fin. Mais il s’y substitue un autre trafic qui n’est qu’une autre forme déguisée de l’esclavage : le trafic des engagés libres. C’est-à-dire que les sultans comoriens continuent de faire venir des esclaves puisqu’eux ne l’ont pas aboli dans leurs Etats.

Des navires viennent de La Réunion ou de l’île Maurice en présence d’un délégué de l’administration, un individu monte sur le bateau. Il répond « ewa [oui] » à une question posée dans une langue qu’il ne connait pas. Et il se retrouve engagé, pour cinq ans, dans les plantations qui se trouvent à Mayotte, l’île Maurice ou à La Réunion. Au 17e siècle, il y avait peu de rapport entre La Réunion et les Comores, parce que les Comores étaient une escale empruntée par les navires de la route des Indes surtout à l’aller. Beaucoup d’entre eux passaient par le canal du Mozambique qui touchait Anjouan et quelque fois la Grande Comore et plus rarement Mayotte, car on connaissait mal le lagon. Mohéli n’offrait pas beaucoup de ressources. Les relations des Comores avec La Réunion se développent au tournant du 18e et du 19e siècle quand les invasions malgaches s’abattent sur les Comores. Il y a dans la période 1880/1785-1810/1815 des razzias malgaches qui s’abattent sur l’archipel des Comores et déciment sa population. Le but de ces invasions est de se procurer des esclaves que l’on ramène à la côte malgache et qui sont ensuite vendus, par exemple à Tamatave, aux négriers des Mascareignes ou d’ailleurs. C’est sûr que parmi les premiers habitants de La Réunion et de Maurice, il y avait des Comoriens.

Concernant les Comores et La Réunion, on sait aussi que certains sultans ont été invités par le gouverneur de Bourbon. En 1842, il y a eu une révolution à Anjouan et un prince comorien Saïd Hamza El Macela s’est réfugié à l’île Maurice pour des raisons de conflits dynastiques. Le sultan Saïd Ali ben Saïd Omar, suzerain de la Grande Comore, a été déporté à La Réunion par le colonisateur. C’est à la fin du 19e siècle, quand le planteur français Léon Humblot l’a fait impliquer dans un meurtre dont il était parfaitement innocent et l’a fait déposer par les autorités françaises, notamment le gouverneur Lacascade. Il avait été déporté d’abord à Madagascar, il n’y est pas resté très longtemps et ensuite à La Réunion, où il a attendu que justice lui soit rendu. Parmi ses enfants, certains sont nés à Madagascar et à La Réunion.Surl’îleBourbon,ilaeudesenfants avec une femme créole.

Est-il vrai que la France a envoyé des Comoriens jusqu’au bagne de Guyane ?
Jean Martin :
De la Nouvelle-Calédonie, je l’ai entendu dire et c’est certain. De Guyane, je n’en ai jamais entendu parler. Il s’agissait d’opposants politiques lors de la révolution de 1891 à Anjouan et à d’autres mouvements de résistance à la Grande Comore. Il y a eu, en quelque sorte, des résistants comoriens internés, un temps, à la Nouvelle-Calédonie. Et je pense que certains se sont fixés dans cette île. Il y a en Nouvelle-Calédonie, à Bourail, que l’on appelle le village kabyle, le col des Arabes ou le village des Arabes, qui est un village musulman - vous pouvez voir le cimetière et une mosquée et une école coranique construites par des fonds saoudiens, et les habitants de ce village sont très mélangés.

Il y a des descendants d’Algériens déportés après la révolte de Mokrani en 1871, des Kabyles donc, il y a des descendants de Comoriens et tout cela s’est mélangé. Ces déportés Kabyles ou Comoriens ont eu des femmes mélanésiennes de sorte que cela a abouti à une population fortement métissée. Il y a parmi eux des Indonésiens musulmans qui sont venus s’ajouter librement. Tous ont en commun la religion musulmane. Aujourd’hui, ils seraient assez hostiles à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et seraient plutôt loyalistes, partisans des liens avec la France.

Actuellement on parle beaucoup de l’évolution statutaire de la collectivité départementale de Mayotte. A Mayotte, les habitants souhaitent majoritairement voir leur île évoluer en département français quand dans les autres territoires d’Outre-mer français les habitants tendent vers plus d’autonomie. Comment voyez-vous cela ?
Jean Martin :
Oui... Cela parait assez singulier. Je pense que l’attachement des Mahorais à la République française n’est pas peut-être pas entièrement désintéressé si vous voulez mon sentiment. Les lois et les avantages sociaux auxquels peuvent prétendre les Mahorais ne sont pas un argument mineur dans leur détermination à rester français. C’est ainsi que je vois les choses ; ça contribue à faire de Mayotte une espèce d’eldorado pour la population comorienne des autres îles, notamment d’Anjouan qui vit très difficilement. Cela ne fait pas une situation très saine, parce que les Mahorais sont une population d’assistés et vous avez des Anjouanais qui sont souvent en situation irrégulière qui sont sous-payés par les Mahorais pour effectuer tout le travail qu’il y a à faire. C’est d’ailleurs la même chose en Guyane avec les Surinamais qui viennent s’y établir et c’est pareil en Martinique et en Guadeloupe où l’on voit des Haïtiens, qui viennent faire les gros travaux d’agriculture, de bâtiments et travaux publics sous-payés.

Que pensez-vous du terme d’immigrés clandestins, concernant les ressortissants comoriens des îles d’Anjouan, Mohéli et de Grande Comore, utilisész à Mayotte ?
Jean Martin :
Le déplacement des ressortissants comoriens des trois autres îles des Comores vers Mayotte est, en effet une migration. Mais à partir du moment où Mayotte constitue une collectivité départementale de la République française, il y a une frontière. Autrement c’est une population qui a toujours eu coutume de se déplacer d’une île à l’autre. Depuis toujours, il y a eu des Grand Comoriens [et des Anjouanais] établit à Mayotte.

Younoussa Bamana, ancien édile et figure du combat pour la départementalisation française de Mayotte, déclarait : « On peut toujours pisser au sommet du Mont Shoungui, mais la pisse retombera toujours en bas ». Une façon assez directe de dire que l’instauration de visas en 1995 et le gonflement des effectifs de la police maritime ainsi que la montée de radars n’empêchera pas les Comoriens des trois autres îles de venir à Mayotte.
Jean Martin :
C’est évident que ce n’est pas avec les bras qu’on arrête la mer. Il n’y aurait pas une île où l’argent coule à flot et les autres crèveront de faim... comme à Anjouan. Il y aura forcément une transfusion.

Les Mahorais ont-il vraiment plus à y gagner ?
Jean Martin :
Il m’est difficile de répondre. Les Mahorais paraissent satisfaits actuellement de leur statut. Est-ce qu’ils le seront tout autant dans trente ou dans cinquante ans ? Je n’en sais rien. Le droit local a déjà subi des modifications, la polygamie est en voie de disparition. Mais vous savez la polygamie est en voie de disparition dans la plupart des pays musulmans. A la Grande Comore, par exemple, c’est rarissime. Il est très rare de trouver des jeunes femmes de moins de 40 ans qui acceptent le mariage polygame. Par rapport aux avantages sociaux qu’ils retirent de leur statut français, c’est quand même peu de choses. Le droit local ? Je ne sais pas s’ils se battront beaucoup pour un statut que beaucoup de pays musulmans tendent à abandonner peu à peu. Le Maroc a adopté un nouveau code de la famille qui rend la polygamie très difficile.

Quelle est la particularité de cet islam mahorais ?
Jean Martin :
C’est le même dans toutes les Comores. Les Comoriens sont musulmans sunnites de rite shaféite. C’est un islam confrérique avec des mosquées de type indonésien qui subit l’influence de l’Indonésie. C’est-à-dire des mosquées sans minarets. Les confréries sont assez bien développées, notamment la shaduliya. Il y en a d’autres comme la qadriya etc... La shaduliya serait la plus développée si l’on en juge la grande mosquée qu’ils ont construite à Moroni à la Grande Comore, où se trouve le mausolée du grand marabout El-Maarouf. Il est mort en odeur de sainteté en 1904 sur cette même île. Un islam confrérique, mais un islam bien vivant. Il est peu probable qu’il y ait des courants extrémistes. Il y a bien sûr des collèges islamiques qui se sont crées. Le problème est que ces gens ne trouvent pas d’emplois. Avec un cursus uniquement religieux, difficile de trouver à s’employer.

L’Etat civil mahorais va être francisé, figé...
Jean Martin :
Mais on est passé d’une civilisation de l’oralité à une civilisation de l’écrit. Les Comoriens ont toujours eu une écriture, mais c’était avant tout pour des textes religieux, de chroniques historiques, littéraires et aristocratiques. Ce n’était pas pour une écriture administrative. Or, maintenant il faut se doter d’une écriture administrative et fixer les règles de la langue comorienne ou des langues comoriennes. Je ne crois pas que ce soit une très bonne chose comme certains auteurs qui écrivent en français qui vous parlent de Ndzouani, Ngazidja, Moili ou Maore. Quand on écrit en Français, on doit désigner une île, une ville, un territoire quelconque par son nom français. Je vous parlerais de Pékin et non de Beijing, de Londres et non pas de London. Je ne vois pas l’intérêt de recourir à des termes que les Comoriens ont parfaitement le droit d’employer dans leur langue.

Aux Antilles, les Antillais ont imposé l’enseignement du créole à l’école... N’y a-t-il pas un travail a effectuer sur le dialecte shi-maore, notamment son enseignement ?
Jean Martin :
Certainement, il y a des travaux à faire au niveau linguistique. Ce qui risque d’arriver c’est que le français se répande très largement à Mayotte et que le shi-maore soit marginalisé. Il serait très ennuyeux que cette langue ne soit parlée que dans les universités et ne soit plus qu’un objet d’étude pour des chercheurs et des savants. Enfin, on n’en est pas encore là.

Propos recueillis par Ismaël Mohamed Ali

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commentaires

M
C'est trés interressant ce que vous venez de publier. Voila ce qu'on a besoin de lire. Merçi
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