Agence comorienne de presse (HZK-Presse)
Moroni, lundi 29 décembre 2008 (HZK-Presse) – C’est un livre attendu depuis longtemps. C’est un livre qui attendait un regard pour prendre vie et devenir. C’est aussi l’hommage de deux intellectuels comoriens francophones, Ismael Ibouroi et Soilih Mohamed Soilih, à un autre intellectuel comorien, cette fois anglophone et arabophone, Muigni Baraka, disparu trop tôt, voici déjà vingt ans. C’est une démarche rare qu’il faut saluer.
Dialogue. Islam et politique (éditions de la Lune, 2008) retranscrit l’enrichissant dialogue qui a eu lieu, en 1987, entre le religieux et savant qu’était Muigni Baraka et le jeune professeur de philosophie Ismaël Ibouroi (Chting) à Radio-Comores.
La culture et les larges connaissances du traducteur de ce dialogue, l’écrivain Soilih Mohamed Soilih, lui ont permis de manier avec une apparente aisance les concepts anciens et modernes des philosophies arabes et occidentales ; apparente aisance, car qui connaît Soilih sait le travail de recherche, d’écriture, de vérification et de rectification dont il a dû se livrer pendant des années pour qu’enfin sorte ce livre. De ce point de vue là, c’est aussi une réussite.
En 1987, nous sommes en pleine dictature : Ahmed Abdallah tient le pays par l’argent, les mercenaires, la religion et le anda na mila. Ces dialogues à la Radio ne sont donc qu’une petite lucarne de liberté, vite refermée par le Mufti, le tout puissant Saïd Mohamed Abderemane.
Le dialogue entre Muigni Baraka et Ismaël Ibouroi est d’abord un plaidoyer en faveur d’une ouverture de l’Islam, d’un certain retour de la tolérance qui a toujours prévalu dans cette religion, en particulier pour les Gens du Livre (Juifs et Chrétiens), mais aussi envers le kafiri, celui qui dit ouvertement qu’il est athée ou qui néglige les pratiques religieuses, mais dont on espère un jour convaincre et ramener dans le droit chemin.
D’où cette insistance des deux orateurs sur l’Islam médiéval, celui qui est en contact avec l’Occident par le biais de l’Espagne. Cette tolérance implique pour les deux intellectuels de ne pas rejeter tout ce qui n’est pas de l’Islam et surtout de ne pas refuser le dialogue avec le kafiri. Ibouroi développe cette nécessité du débat dans l’Islam en rappelant que la recherche de la vérité a amené les penseurs arabo-musulmans à avoir recours aux philosophes de l’antiquité qui étaient des idolâtres polythéistes. Mais encore plus, la Révélation dans l’islam ayant une dimension cachée, chaque musulman est invité à réfléchir sur le sens du texte sacré.
Cela est d’autant plus nécessaire que Muigni Baraka, comme le faisait le président Ali Soilihi, rappelle qu’il n’y a pas de Clergé dans l’Islam, contrairement aux prétentions de certains religieux qui pensent parfois parler au nom de Dieu.
Enfin, les deux penseurs plaident pour un rapprochement entre la philosophie et l’Islam dans un pays où l’on considère, encore aujourd’hui, qu’un philosophe est forcément un athée. En 1987, Muigni Baraka prenait l’exemple d’un philosophe européen, R. Descartes, et affirmaient « ceux qui prétendent que la philosophie nie l’existence de Dieu, n’étalent que leur ignorance en la matière » (p.38).
Qu’est-ce qui explique la censure de cette émission par le Mufti de l’époque, alors même qu’elle avait une vocation pédagogique ? A y regarder de plus près, bien des propos pouvaient heurter le Mufti, au-delà du fait que Muigni Baraka avait travaillé pour le régime soilihiste de 1975 à 1978. A commencer par cette liberté de ton entre ces trois comoriens qui parlent de la religion musulmane d’une manière nouvelle, sans évoquer les menaces et sans croire qu’ils détiennent toutes les réponses à toutes les questions du croyants.
Comme l’écrit Ismaël Ibouroi dans la Préface, Muigni Baraka n’est pas seulement un grand philosophe comorien mais aussi une « figure singulière de l’intellectuel le plus important de l’Afrique de l’Est ». Il rejoint ainsi d’illustres prédécesseurs comme Saïd Mohamed bin Shaykh, … père de Bin sumeith, Bin Sumeith lui-même (dont on se rappelle que Muigni Baraka est venu chercher aux Comores à la demande des nouvelles autorités zanzibarites, après sa fuite consécutive à la révolution de 1964) et tant d’autres dont les livres et les manuscrits sont connus dans le monde arabe et ignoré du grand monde aux Comores. Tant de personnalités que les nouvelles générations gagneraient à connaître et auprès desquelles ils trouveraient des raisons d’être fiers de la nation comorienne qui a produit des esprits aussi brillants.
Le contenu de ce livre est tout de même desservi par le travail d’édition et cela doit être dit afin que l’éditeur fasse des efforts. Comme d’autres livres de cette maison d’édition, il reste encore beaucoup trop d’erreurs de forme et de frappe. Le pire est dans les dernières pages constituées par les notes explicatives : il y a en moyenne une erreur sur chaque ligne. C’est trop et le travail fourni par Soilih Mohamed Soilih, comme les personnalités de Muigni Baraka et Ismaël Ibouroi, tous trois hommes rigoureux et exigeants dans leur travail ne sont pas respectés.
Mahmoud Ibrahime
291208/mi/hzkpresse/12h00