Paris, mardi 26 août 2008 HZK-Presse : Hachimiya Ahamada (photo) est réalisatrice. Lorsque vous discutez avec, ses yeux se posent sur chacune de vos phrases. Elle décortique chaque mot, les sourcils
relevés, comme on soupèse de l’or e qu’on surpris par le poids. La parole semble être un trésor pour elle. Pourtant, elle parle peu, et préfère écouter. Puis, même quand elle parle de son
travail, elle interroge, les mots arrivent lentement, hésitants, à voix basse, en se demandant s’ils peuvent encore repartir et recommencer.
Hachimiya Ahamada réalise des films documentaires dans lesquels elle mène une réflexion, plutôt intimiste, sur les sociétés du sud en général et sur la société comorienne en particulier, sur les difficultés de l’exilé, et en fond de toile, elle laisse transparaître la condition des femmes d’immigrés et de leurs filles. Des enfants nées en France, élevées presque complètement comme des Française, mais dont on attend qu’elles se comportent comme des Comoriennes, une fois devenues adultes. La faille.
Une femme et ses doutes
La Résidence Ylang-Ylang (2008) a donc été le film qui a révélé Hachimiya Ahamada à un public plus large, cet été. Pourtant, elle, qui est plutôt modeste, ne semblait pas croire autant au succès du film au mois de mars. Il faut dire qu’en plus de son angoisse habituelle, elle se lançait, pour la première fois, dans la fiction.
Mais le succès a été rapide. Le film a été projeté dans une séance spéciale en mai dernier à « La Semaine Internationale de la Critique » (festival parallèle au festival de Cannes pour les jeunes cinéastes). Ce fut le seul court-métrage d’un originaire d’Afrique pendant « La Semaine ». Et il fait son chemin, puisque la jeune femme enchaîne les festivals et les rencontres. Elle revient d’ailleurs du Festival International du Film Arabe à Oran, dans lequel les participants se sont étonnés du fait que jamais un film comorien n’a été présenté, alors que le pays est membre de la Ligue Arabe. De tout cela, elle n’en tire aucune gloire et se contente de dire que c’est « un encouragement pour continuer à écrire des films à ma manière ».
La Résidence Ylang-Ylang, qui a été entièrement tourné aux Comores, évoque la situation de ce pays où l’on trouve aujourd’hui de nombreuses grandes maisons inhabitées, parce qu’appartenant à des Comoriens de la diaspora, essentiellement installés en France, alors que la majorité des habitants continuent à vivre dans des cases faites de végétaux ou de tôles. C’est la situation que vit un homme qui entretient la villa [de son frère] qui est en France. Lorsque sa petite maison en feuilles de cocotier brûle, se pose la question de son installation dans cette villa trop luxueuse pour lui.
L’auteur s’est retiré derrière les personnages et ce qu’ils portent. Hachimiya Ahamada laisse voir plus qu’elle ne dit. Pas de grands discours sur les inégalités, le mépris ou l’arrogance. La cinéaste laisse voir. Elle met face à face les situations les plus opposées et le spectateur, quel que soit son niveau social ou intellectuel est en mesure de s’approprie le sens du film.
En plus des acteurs-amateurs (mais qui n’en n’ont pas l’air), l’auteur a eu recours à des artistes comoriens de renom comme le plasticien Napalo pour les décors, la chanteuse Nawal pour une partie de la musique, l’écrivain Aboubacar Saïd Salim dans le rôle d’un notable arrogant et méprisant. Lors du montage, en mars, elle a demandé à plusieurs de ses amis de passés voir le film, histoire de se rassurer. Autour d’un verre, ils ont plutôt salué le travail accompli, avant d’aborder d’autres sujets plus généraux sur les Comores.
« Elle va nous faire exister sur une carte ».
D’où est venue cette passion du cinéma pour cette jeune femme qui avait choisi de faire des études de Langues ? Son ami, le juriste Saïd Abasse Ahmed, qui l’a connue à Dunkerque aime à rappeler l’opiniâtreté de Hachimiya Ahamada qui a tout mis en œuvre pour pouvoir réaliser des films. Il reste persuadé qu’elle « va nous faire exister sur une carte ».
Elle a dû quitter sa Dunkerque de naissance, s’inscrire à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et de la Diffusion (INSAS) à Bruxelles, où pour subsister, elle a fait de petits boulots. Elle en sort diplômée en réalisation en 2004.
Avant cela, encore très jeune, Hachimiya Ahamada a cultivé sa passion du cinéma au sein de l’Ecole de la Rue. C’est dans cette association qu’elle a développé sa culture cinématographique, en visionnant de nombreux films classiques et en réalisant de nombreux courts métrages, seule ou avec des amis.
C’est dans cette période que Hachimiya Ahamada réalise son premier documentaire avec deux amis : Le Fréquentage (1995). Le film reçoit une Mention Spéciale du jury aux 10e Rencontres Internationale Cinématographiques de Dunkerque (1995). Le jury a salué la sensibilité cinématographique de la jeune fille. L’année suivante, elle obtient le Grand Prix au festival de l’Acharnière (1996). Le film était basé sur une idée originale : raconter la rencontre amoureuse d’un couple d’handicapés.
Documentaires intimistes
Ces dernières années, Hachimiya Ahamada s’est penchée sur la société comorienne, surtout dans le cadre de la diaspora. Dans cette perspective, elle a réalisé deux films, qui sont aussi des documentaires faits dans le cadre de ses études à l’INSAS.
En 2004, Feu leur rêve abordait déjà le thème de la maison construite par les exilés dans un pays où ils ne vont plus. Le documentaire débute par des plans sur les briques rouges qui sont les façades des murs des maisons ouvrières du Nord sur un fond de musique arabe. Puis, le père de la cinéaste entre en scène dans une vidéo amateur dans laquelle il présente à sa famille, restée à Dunkerque, la maison d’un hypothétique retour au pays. On voit ensuite la jeune femme devant la tombe de son père, enterré à Dunkerque. Le contraste est saisissant car le spectateur devine, à travers les souvenirs de la mère et de sa fille, les sacrifices faits par la famille pour construire une maison dans laquelle elle ne vivra jamais.
Dans Destin tracé (2003), la cinéaste aborde la sempiternelle question du mariage forcé qui préoccupe tant les jeunes filles nées en France, même si dans le film, elles s’accordent plutôt sur l’expression « mariage arrangé » pour le cas des Comores.
Le film commence dans par le tournage d’une fiction. Le spectateur pénètre dans une famille maghrébine, le père et l’aînée sont à table avec un homme venu demander la main de leur fille. La cadette revient de l’école et son père lui annonce immédiatement : « Linda, voici Erdoyan, voici ton futur époux ». Et les voix s’entremêlent. La réalisatrice et les techniciens entrent dans le champ de la caméra. Tout n’était que cinéma. Le scénario est arrêté. On entend alors Hachimiya Ahamada, en voix-off : « J’ai imaginé une histoire dans laquelle les parents imposeraient un époux à leur fille. Cette histoire sera la mienne. Je suis l’aînée dans ma famille et la tradition comorienne veut que j’épouse un homme du même village que mon père ».
Le film n’est qu’une fiction inachevée. Nous entrons ensuite dans la réalité. La réalisatrice présente le scénario de ce possible film à deux maghrébines et à de jeunes filles comoriennes et recueille leurs confidences, leurs craintes et leurs espoirs sur le choix de leurs futurs époux. Le poids des parents, de la tradition, de la communauté… comment alors pouvoir aimer et faire sa vie de femme ?
L’œuvre de Hachimiya Ahamada est une œuvre en devenir. Elle pose des jalons pour l’avenir, par petites touches. Mais déjà, elle amène chacun, immigrés et enfants d’immigrés à s’interroger sur les conditions de vie en exil et sur le mythe de « l’éternel retour ».
Mahmoud Ibrahime (Correspondant, Paris)
HZK Presse 26/08/2008