Vous trouverez ci-dessous l'interview de M. Moussa Toyibou, le chef de l'exécutif d'Anjouan publié dans le journal Alwatwan N° 1146 du 2 septembre 2008
M. Moussa Toyibou, deux mois après son élection
''Anjouan n'a retrouvé qu'en partie seulement sa sérénité''
M.Toyibou: ''Nous évoluons au sein du Mcjp''
(Photo archives)
Le chef de l'exécutif de l'île dit avoir trouvé une ''île meurtrie'' et affiche la priorité de son action qui se ''tournera plus vers l'économie'' que la
politique. Il a des projets précis pour faire face aux drames des départs vers Maore, s'étend sur les menaces de déstabilisation de son île et du pays à partir de Maore, ''cette île comorienne
sous domination française'' et apporte son soutien au mouvement qui cherche l'arrêt par les autorités de l'Union, des expulsions illégales des Comoriens des autres îles. Il réaffirme, enfin, son
attachement à l’action du président de l'Union.
Monsieur le président, Ndzuwani a traversé un long moment d’incertitude avant votre élection. Quel a été votre premier constat une fois investi chef de l’exécutif de l’île?
J’ai trouvé une île meurtrie dans tous les secteurs. Une administration en panne avec des bureaux saccagés et mobiliers emportés ; des infrastructures sociales complètement détruites ; un environnement végétal déjà durement affecté par
une pénurie de pétrole lampant, vécue depuis sous le règne de mon prédécesseur, une diminution de la production des produits locaux face à une flambée des prix des produits importés, un enseignement aux mains d’un nombre important de bénévoles, des contractuels engagés pendant la transition sans soucis des crédits devant être alloués à leur paiement, une administration pléthorique marquée par un manque d’expérience et de professionnalisme.
Bientôt vous ferez deux mois depuis votre installation au palais de Darnadjah. Quelles sont les premières leçons tirées de la fonction de président d’une île autonome ?
Effectivement les fonctions d’autorité publique sont différentes de celle de technicien que j’ai eu à exercer pendant dix-sept ans, même si dans cette période il y a eu neuf mois de fonction de ministre de la République. Je savais que la fonction de chef d’exécutif n’était pas une plaisanterie car il lui faut édicter une ligne de conduite à ses subordonnés et être, surtout, armé de beaucoup de patience. Il doit impérativement s’y mettre pour redonner espoir à la population, montrer des preuves d’honnêteté quand il s’agit de dire la vérité sur les promesses que l’on ne se sent pas capable de satisfaire au lieu de chercher à berner la population.
Pouvez-vous nous parler de vos priorités?
C’est d’abord l’éducation étant convaincu qu’elle est le pilier du développement. Il y a ensuite la santé, la création d’emplois et d’espaces de loisirs pour la jeunesse, les infrastructures sociales et économiques, la formation continue des agents de la Fonction publique, le renforcement de la préservation de l’environnement notamment par le reboisement, la gestion des ordures ménagers, la restauration du sol, les aires protégées et la protection des sources de captage d’eau. Il y a aussi l’exploitation de l’électricité hydraulique pour remplacer l’énergie thermique qui devient de plus en plus coûteuse. D’ailleurs, sur ce projet, nous allons bénéficier de l’assistance technique et financière du Soudan.
Quelle lecture faites-vous des lois organiques relatives aux compétences à partager entre l’Union et les îles ?
Pour une réflexion approfondie de la question, je compte instituer bientôt une commission mais dans l’immédiat il est urgent de créer d’abord un cadre de vie agréable pour la population. La priorité est au social et à l’économie. La politique suivra après.
Croyez-vous que Ndzuwani a retrouvé toute sa stabilité après l’effort de sa libération en mars dernier ?
En partie seulement, car il n’y a plus d’oppression. Nous venons de tenir un baccalauréat commun avec les autres îles, l’hymne national a refait surface dans l’île, le séparatisme cède à l’unité nationale retrouvée. Je sais qu’il y a encore
quelques contestataires par rapport à la participation au mécanisme de compte commun des îles et de l’Union. Ce sont des esprits partisans qui cherchent à nuire à l’unité mais nous n’allons pas croiser les bras.
Le chef de l’Etat a évoqué tout récemment une menace de déstabilisation de l’île à partir de Mayotte. Partagez-vous ce sentiment ?
Le Général Salimou m’a parlé d’un problème d’effectifs de l’armée nationale. Ce qui a conduit l’état major à procéder à un recrutement d’un effectif additionnel qui sera opérationnel dans deux mois. Mais en attendant, j’ai sollicité le stationnement des militaires tanzaniens et soudanais pour parer au vide. La menace se justifie par la démobilisation des milices dont certains sont encore dans la nature et l’évasion tout récemment de prisonniers politiques. Il y a aussi la question des départs périlleux vers Maore…
… Justement, Ndzuwani étant le port de départ des kwasa-vers Maoré contre le gré de l’autorité d’occupation de l’île. Comment comptez-vous venir à bout de ce phénomène qui cause tant de drames en mer?
Je compte entrer en contact avec les autorités de cette île dans le cadre de la coopération décentralisée pour voir ensemble ce que nous pouvons faire en matière d’économie et de sceller concrètement la cause du mouvement massif des frères des autres îles vers Mayotte. Je sais qu’il y a le lien de sang et le travail. Il semble que la plupart des Anjouanais, se rendant à Mayotte, travaillent dans l’agriculture. Dans le cadre de la coopération décentralisée, nous pouvons organiser le circuit de sorte, par exemple, qu’ils cultivent ici pour vendre la production là-bas. Mais il faut ouvrir un service phytosanitaire agrée par l’Ue pour que nos produits soient exportés sur le marché Maorais. Ces paysans devront bénéficier des prêts au niveau des Meck et Sanduku. Nous allons aussi restructurer notre direction en agence de l’emploi qui veillera aux profils du personnel dont Mayotte aurait besoin et postuler aux offres. Les admis partiront avec des contrats de travail. Ce qui réduira le départ massif vers cette île comorienne sous domination française.
Il y a eu tout dernièrement, lundi 25 août, une manifestation de rues à Mutsamudu contre les expulsions et le mauvais traitement des comoriens de Ndzuwani, Mwali et Ngazidja à Maore. Quelle est la position de votre gouvernement par rapport à cette situation?
Je salue la tenue de cette manifestation qui a exprimé l’indignation des Comoriens vis-à-vis de ce qui se passe sur l’île comorienne de Mayotte. Les ressortissants de Ngazidja, Mwali et Ndzuwani méritent plus de respect. S’il n’est pas question de régulariser leur situation, ils doivent être renvoyés dans leurs localités respectives d’une façon humaine. Je tiens toujours à mon engagement, vis-à-vis de la population, de défendre la dignité humaine. Au niveau de mon gouvernement, nous comptons imposer aux agences de transport aérien et maritime qui transportent ces personnes de supporter également les charges de leur acheminement jusqu’à leurs îles et localités respectives. Plutôt que de les jeter à l’aéroport ou au port et nous créer des ennuis.
Des sympathisants à votre élection se sont rassemblés, dimanche 24 août à Tsembehou, pour la mise en place d’une structure autre que le Mcjp, le rassemblement politique qui soutient le chef de l’Etat. Peut-on voir en cela une rupture de votre politique avec celle de président Sambi?
... Il n’y a pas de rupture. L’objectif du rassemblement de Tsembehou a été plutôt d’évaluer nos actions depuis le démarrage de la campagne l’année dernière et sa reprise cette année. Nous étions allés tirer les leçons du parcours fait et non pas une démarche de rupture avec le Mcjp. D’ailleurs le message est bien passé que le Mcjp est le parti qui soutient Sambi, une formation d’envergure nationale implantée à la fois à Ngazidja, Mwali et Ndzuwani. La preuve en est que le congrès se tiendra après le ramadan ici à Ndzuwani. Il n’y a aucune crainte de rupture, nous évoluons au sein du Mcjp.
Quelles seront les propositions de Ndzuwani, au cas où le débat sur la constitution que le chef de l’Etat a toujours dit va avoir lieu ?
Je crois que nous devons d’abord appliquer la constitution. Toujours est-il qu’il y a certaines incohérences, notamment les mandats des députés des îles qui n’ont pas la même durée d’une île à une autre. Les institutions sont lourdes en matière de gestion du pays, j’estime qu’il serait normal d’alléger un peu car nous risquons de passer tout notre temps à ne faire que de la politique. Or, je crois fermement que le problème du pays est plus économique et nous devons privilégier l’investissement de nos forces et de nos recettes dans l’économie plutôt que d’entretenir des structures politiques.
Pour terminer, mesurez-vous le niveau du coût de la vie actuelle de la population et surtout à l’approche du ramadan ?
Je suis conscient que bien avant le début du ramadan la vie est extrêmement chère. Le riz, les bananes et maniocs, des produits plus sollicités pendant la période sont chers. Mais je prie Dieu pour que le ramadan nous apporte sa bénédiction.
Propos recueillis par
M. Soilihi Ahmed avec la collaboration d’A.Abdallah et S. Mohamed
SOURCE : Al-watwan N° 1146 du 2 septembre 2008