Agence comorienne de presse (HZK-Presse)
Moroni, lundi 28 juillet 2008 (HZK-Presse) – Nous parlons depuis quelques semaines de la « citoyenneté économique », c’est-à-dire de la possibilité pour l’Etat de vendre la nationalité comorienne et obtenir des fonds pour investir, notamment dans un des projets phares du candidat Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, l’habitat.
Le Président de l’Union avait décidé de s’en remettre aux représentants du peuple et, dans cet objectif, un projet de loi a été transmis par le gouvernement à l’Assemblée de l’Union. Les députés se sont prononcés d’une manière claire sur ce projet. Ils ne veulent pas donner la nationalité comorienne à 4000 familles originaires des Emirats Arabes Unis (Voir ICI).
On pourrait croire que les représentants du peuple s’étant prononcés, l’affaire est classée une bonne fois pour toutes. Ce serait mal connaître les intentions du Président et surtout des gens qui l’entourent, qui dans cette deuxième partie du mandat, tiennent à montrer qu’ils n’ont pas fait des promesses en l’air. Il faudrait même se demander si le Président lui-même ne s’est pas trop engagé auprès de dirigeants arabes pour pouvoir reculer.
Le gouvernement a peu évoqué ce projet de loi, alors qu’ayant mis à la tête de la Radio et Télévision nationale, ainsi qu’à la direction d’Al-Watwan, deux militants qui ont été très actifs pendant sa campagne électorale, le Président de l’Union possède les moyens de faire prévaloir son point de vue en toutes circonstances. Mais, c’est par un simple communiqué daté du 16 juillet 2008 que le gouvernement explique aux Comoriens l’origine et les objectifs du projet de loi.
C’est un communiqué des plus sibyllins, qui n’est signé ni par le Ministre chargé des relations avec le Parlement, ni par le porte parole du Gouvernement, ni même par le Ministre d’Etat et non moins Directeur de Cabinet du Président qui, en cette qualité, a dû, au moins, le viser (Voir ICI).
Bien qu’il dénonce au début de ce communiqué les pratiques des prédécesseurs, le gouvernement actuel aurait déjà, avant même la présentation du projet de loi à l’Assemblée, accordé des passeports et donc donné la nationalité à « vingt-cinq agents apatrides du Ministère de l’Intérieur » si on en croit le Général Nasser Al Nuaimi, Directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur des Emirats, cité par le Gulf News du 22 juillet 2008.
Que nous apprend-on dans ce communiqué ? D’abord que le Président Sambi a négocié avec l’émir du Koweït et qu’il a l’intention de naturaliser « 4000 familles des Emirats Arabes Unis » pour environ 28 milliards de francs comoriens. Pourquoi le Président discute-t-il avec le Koweit pour des gens qui vivent aux Emirats ? Pourquoi des citoyens des Emirats veulent avoir la nationalité comorienne ?
En réalité le gouvernement cherche à cacher ce que tout le monde a appris depuis : ce sont des familles qui vivent aux Emirats, parfois depuis des siècles, mais dont on ne veut pas accorder la nationalité de leur pays. Pourquoi ? Parce que chaque pays a ses propres complications dans ses textes constitutionnels. Sauf que par leurs pratiques ancestrales les Emirats contreviennent à plusieurs textes de l’ONU et s’opposent par exemple à l’application chez eux de l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant qui prévoit que tout enfant doit avoir une nationalité à sa naissance.
Mais au lieu d’agir sur les émirs pour qu’ils mettent en adéquation leurs lois et les principes les plus élémentaires de l’humanité ou même les principes islamiques de justice et d’égalité en intégrant leurs propres citoyens, quelles que soient leurs origines familiales, le Président Sambi et ses conseillers préfèrent, au nom du fait que la planète soit devenu un village, que ce soit les Comoriens qui changent les leurs.
De plus, il faut rappeler que 4000 familles, cela veut dire (si on prend une moyenne – très basse- de cinq enfants par famille, famille supposée monogame) qu’on naturaliserait, au bas mot, près de 28 000 personnes d’un coup.
Ensuite, pour nous rassurer, on nous apprend que ces familles « ne cherchent pas à s’installer en permanence aux Comores ». Toute est dans la nuance, pour ne pas dire dans l’hypocrisie. Une fois que l’Etat Comorien aura naturalisé une famille arabe, la logique (et la loi) veut que les membres de cette famille (au sens large : les femmes du bénéficiaire et leurs enfants) deviennent des citoyens comoriens et par conséquent, ils peuvent s’installer où ils veulent, voter et se faire élire, comme tout citoyen comorien, sauf qu’ils auront plus de moyens financiers.
Supposons que ces émirs, rassurés que ces gens aient enfin une nationalité décident de les chasser de leur pays, ce qui n’est pas inimaginable. Où iraient tous ces gens avec leurs familles ? Certains peuvent penser qu’on aura qu’à revenir en arrière, mais, à moins d’avoir un gouvernement raciste, nous ne pourrons pas revenir en arrière. Certains textes internationaux et notre propre Code de la nationalité en son article 3 nous l’interdisent, sauf dans des cas particuliers où un individu peut-être déchu de sa nationalité.
Le comble de l’hypocrisie c’est quand le gouvernement cherche à faire croire que nous devons accepter ces naturalisations au nom « de notre sens de l’hospitalité ». Quelle est donc cette étrange hospitalité comorienne qui demande à celui qu’on accueille de verser d’abord 7 000 000 de francs et si possible de ne jamais mettre les pieds chez nous ? Cela n’a rien à voir avec l’hospitalité comorienne. Cela s’appelle l’attrait du gain, de l’argent.
C’est cette cupidité qui fait qu’on accepte de transformer ses concitoyens en « clandestins » parce que la puissance coloniale qui occupe une partie du territoire verse de temps en temps quelques subsides à travers des accords de coopération. Cette cupidité qui se moque des principes et de la morale, le Président de l’Union, l’a en quelque sorte avoué aux quelques notables qu’il a reçus récemment dans les appartements de l’Ambassadeur des Comores à Paris, en leur apprenant qu’il avait proposé aux Français de leur louer l’île de Mayotte.
Enfin, le communiqué du 16 juillet annonce dès le premier paragraphe la suite des réjouissances, ce que pourrait être la démarche du Président de la République après le rejet du projet de loi. En effet, on nous apprend, d’une manière vague et imprécise que « le code de la nationalité donne le droit au gouvernement d’accorder la nationalité comorienne à des étrangers ». Pourquoi alors faire une nouvelle loi ? Souci de transparence ? Si le sujet n’était pas aussi grave, on pourrait fermer les portes et en rire.
Dans de nombreux domaines, en particulier en ce qui concerne la souveraineté de l’Etat comorien, l’Assemblée de l’Union et les associations de la société civile ne cessent de demander plus de transparence au gouvernement, et ce dernier n’a que le mépris comme seule réponse. Et je ne parle même pas de la demande légitime, plusieurs fois exprimée par les partis d’opposition, à ce que les sommes rapportées de l’extérieur par le Président pour le projet habitat soient effectivement budgétisées. Si la transparence était un souci pour ce gouvernement, nous l’aurions remarqué.
En fait, le gouvernement évoque l’alinéa 5 de l’article 31 du code de la nationalité qui dit : « Peut-être naturalisé, sans condition de stage : (…) 5° - l’étranger qui a rendu des services exceptionnels aux Comores ou celui dont la naturalisation présente pour les Comores un intérêt exceptionnel. » Le communiqué du gouvernement donne l’impression que les conseillers du Président ont interprété cet article comme une autorisation, pour ce dernier, de faire ce qu’il veut en matière de naturalisation, or la répétition du mot « exceptionnel » dans cet alinéa a un sens pour le Législateur.
Il s’agit de la naturalisation exceptionnelle d’un individu qui a rendu ou pourrait rendre de grands services à l’Etat, il ne s’agit nullement de la naturalisation de 30 000 personnes d’un coup parce qu’ils peuvent débourser des sommes colossales, sinon le caractère exceptionnel se perd. Mais, l’expérience des détournements de la loi auxquels nous avons assisté ces derniers temps, nous laisse présager de la suite.
Ainsi, le communiqué du 16 juillet 2008 présente bien des incohérences, des ambiguïtés, des dissimulations qui justifient à elles seules la méfiance dont ont témoigné les représentants de la nation en rejetant le projet de loi du Président. Maintenant, comme récemment dans toutes les affaires qui ont entouré la Cour Constitutionnelle, il est certain que le cabinet du Président trouvera les arguments nécessaires pour fouler aux pieds les lois, les principes et surtout les décisions des parlementaires. Jusqu’à quand ?
Mahmoud Ibrahime (Docteur en Histoire, auteur de Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur, KomEdit, 2008)
280708/mi/hzkpresse/18h00