AU REVOIR L’ARTISTE
Hommage à Ibrahim Saindou[i]
La triste
nouvelle est tombée le jeudi 19 juin 2008. Aux environs de 18 heures 00 (heure des Comores). Ibrahim Saindou Bacar Nomane nous a quittés à l’âge de 55 ans. Il est mort à l’hôpital de Hombo –
Mutsamudu. SON hôpital. C’est un coup dur pour toute la communauté ouanienne et tous ceux qui l’ont connu même s’il fallait s’y attendre compte tenu de son état de santé ; c’est surtout une
grosse perte pour Ouani, ses ville et région natales…Anjouan, son île…et les Comores, sa patrie. Ibrahim, en dépit de sa modestie, a, en effet, beaucoup contribué au développement de notre pays
et à l’épanouissement de sa ville natale dans différents domaines à sa façon.
Ibrahim Saindou en 2006 (photo)
Féru et mordu de musique
Né en 1953, tout jeune, il devient « féru et mordu de musique »selon un de ses amis, Abdallah Elhad. En 1969, il fait partie des membres fondateurs du groupe musical « les boutons noirs » et en devient le soliste. Dès 1970, les « boutons noires » intègrent le groupe joujou d’Ouani[ii]. Depuis, Ibrahim, n’a plus quitté sa guitare et son orchestre, excepté pendant ses années d’études supérieures en Algérie.
Les boutons noirs : de Gauche à droite : Debout : Ibrahim Saindou - Mouslouh - Yahaya ; Assis: Ibrahim Hamza , Baissé :Elhad (photo)
D’aucuns affirment même qu’avec Raslane Abdou Zoubert, il a été le meilleur soliste du groupe musical.
Mais, c’est de 1975 à 1977 qu’Ibrahim joue un rôle considérable dans la promotion et l’émancipation de la musique et de la chanson comoriennes. En effet, à cette période (sous le règne du Mongozi Ali Soilihi), il devient aussi un des grands auteurs compositeurs du groupe joujou d’Ouani et participe à son apogée et à sa transformation en joujou des Comores[iii]. Il a composé certaines chansons célèbres interprétées par notre diva nationale, Madame Foudhoiyila[iv], notamment « jouwa » dont vous pouvez voir le clip en cliquant ici. C’est dans un style afro-malgache, et indo-arabe qu’il avait choisi de rythmer ses mélodies. Il a aussi facilité l’intégration et et assuré l’encadrement des jeunes dans le groupe en leur apprenant à jouer à divers instruments musicaux (guitare, synthétiseur, solfège…)
Un poète de la révolution comorienne
Mais l’analyse des créations ou compositions d’Ibrahim fait apparaître qu’il est, de surcroît, ce que Daniel Ahmed dit Café, un des spécialistes de la littérature orale aux Comores[v] appelle « un poète de la révolution comorienne »[vi]. En effet dans les années 1975-1978 s’est développée aux Comores une poésie révolutionnaire contre le système féodal et aristocratique. Les thèmes abordés dans cette poésie généralement écrite en comorien sont les principes fondamentaux de la révolution Soilihiste. Parmi ses auteurs l’on peut citer entre autres Abou Chihabi, Ali Ben Ali, Dhoiffir Abdérémane, Raslane Abdou Zoubert et Ibrahim Saïndou[vii]. En effet comme l’a bien démontré Daniel Ahmed[viii], l’on retrouve dans les œuvres d’Ibrahim Saïndou les thèmes du soilihisme : la révolution, l’unité et la nation des Comores, le travail manuel….
Il concilie à la fois rigueur de forme et sensibilité et fait recours à un langage fluide dans sa poésie.
Le premier comorien chirurgien dentiste à Anjouan
En 1977, Ibrahim quitte les Comores à
destination de l’Algérie pour se former en chirurgie dentaire. De retour dans son pays natal dans les années 80, il retrouve sa guitare et son JOUJOU des Comores. Mais, il devient aussi le
premier comorien dentiste à Anjouan. Il a passé toute sa vie professionnelle à l’hôpital de hombo –Mutsamudu auquel il était tant attaché. Son souci primordial était d’améliorer la situation
sanitaire de cet établissement et d’aider ses patients. Ceux qui l’ont vu lors de son évacuation sanitaire à l’île de la Réunion en 2003 se rappellent que, allongé sur son lit d’hôpital, au lieu
de se préoccuper de son état de santé critique, il attendait impatiemment le passage de ses médecins traitant pour solliciter de l’aide matérielle en faveur de l’hôpital de Hombo. D’ailleurs, il
avait pu obtenir quelques équipements qu’il avait mis à la disposition de celui-ci[ix].
Ibrahim a toujours montré à ses patients les qualités d’un homme chaleureux, de grande générosité, de sagesse et d’humanisme. D’autant que pendant plusieurs années, il est resté l’unique chirurgien dentiste sur l’île d’Anjouan.
Photo ci dessous : Joujou 1974 : de gauche à droite : Elhad- Yahaya- I. Saindou - Pepsi - I. Hamza sur la piste de l'aéroport de
OUANI.
Un passionné des médias et l’ami des jeunes
En ce qui me concerne, j’ai surtout connu et côtoyé, comme beaucoup de jeunes, un autre Ibrahim Saïndou. Il s’agit du passionné des médias et de l’information qui avait saisi l’occasion de l’avènement de la démocratie en 1990 aux Comores pour créer la première radio locale de sa région natale. Cette « radio nova » dont toute personne ayant vécu à Ouani dans les années 90 se souvient encore.
« Radio nova » a, en fait, jouer un rôle très important dans l’information, l’éducation et la sensibilisation des
jeunes sur divers sujets vitaux ainsi qu'à la vulgarisation de la culture comorienne
.
Ce qui m’avait surtout frappé à cette période, c’était le fait qu’il n’avait pas hésité à transformer le salon de son domicile en espace où tous les jeunes qui le souhaitaient, pouvaient aller animer bénévolement la radio ! C’était vraiment un sacrifice étant donné que dans la société comorienne la mise en valeur du salon est précieuse.
« Radio nova » a aussi été un moyen incontournable pour les candidats aux élections législatives de la 9ème circonscription en 1992. En mettant gratuitement sa radio à la disposition des candidats pour s’adresser aux électeurs, Ibrahim Saïndou a apporté, à notre avis, sa modeste contribution à l’enracinement de la démocratie dans notre pays. Madame Sittou Raghadat Mohamed, à l’époque candidate à la députation, rend hommage à l’animateur des débats politiques qui était vraiment à l’écoute et à la disposition des intervenants et invités. Selon elle, il n’hésitait pas à prodiguer quelques conseils pour améliorer les prestations des uns et des autres peu importe leurs étiquettes politiques.
Après les quelques mois (en 1991 et en
1992) que j’ai passés avec Ibrahim, en tant que présentateur du journal et animateur d’une émission sur l’orientation universitaire des futurs bacheliers à la radio Nova, j’ai gardé
particulièrement le souvenir d’un homme qui se souciait beaucoup de l'avenir des jeunes et de la réussite des émissions. Il prêtait attention à tous les détails et au sérieux des
animateurs ; un homme ouvert et très proche des jeunes.
Voilà l’homme qui a précocement devissé son billard le 19 juin dernier. Le ciel bleu d’ Ouani a perdu ce jour
là, une de ses étoiles étincelantes !
A travers ces quelques lignes, j’ai tenu
juste à rendre à Ibrahim ce qui lui est dû. Car je suis conscient et convaincu que d’autres sont mieux placés pour lui rendre l'hommage qu'il mérite ou parler de lui.
A Ibrahim
A l’instar d’Abdallah Elhad et tout ceux qui t’ont connu, je te dis juste ceci : « au revoir l’artiste, tu continueras à vibrer dans nos cœurs »
Halidi Allaoui (HALIDI-BLOG-COMORES)
05/07/2008
NOTES :
[i] Mes sincères remerciements à tous ceux
qui, par leurs témoignages, m’ont permis de réaliser ce travail : Abdallah Elhad Abdou, Yahaya Ben Saïd Djanffar, Ali Mohamed Sinane, Antufi
Mohamed Bacar, Abdallah Abdou Sidi, Jaffar Mohamed Bacar Nomane, Saïd Ali Daoud (Mdama), Abdallah Daoud, Mouslouhouddine Mohamed, Sittou Raghadat Mohamed… et tous ceux
que j’ai oubliés. Qu'ils m'excusent tout simplement car c'est involontaire.
[ii] Pour mieux connaître l’orchestre joujou des Comores, nous vous suggérons le mémoire de fin d’études de l’ENES très intéressant qui lui est consacré dans les
années 1990
[iii] Comme le pays venait d’accéder fraichement à son indépendance (le 06 juillet 1975), l’existence d’un orchestre national pour représenter le pays à un
éventuel forum musical international ou régional était indispensable C’est dans cette perspective que les "JOUJOU" se virent attribuer
le titre honorifique de "JOUJOU des Comores", à l’issue d’un concours organisé à Moroni. En l’espace de trois ans, ils ont produit une
panoplie de chansons célèbres et ont atteint un niveau musical sans précédent : c’était l’apogée.
[iv] Madame Foudhoiyila, la chanteuse et interprète principale de Joujou des Comores est une des premières femmes (si ce n’est pas la première) à avoir fait partie d’un orchestre musical aux Comores. Elle est la lauréate du Gaboussi d’Or 2001 et est aussi décorée de la médaille du chevalier du croissant vert le 6 juillet 2005 pour tout ce qu'elle a fait pour la musique comorienne et le combat de sensibilisation patriotique
[v] Daniel Ahmed a soutenu une thèse de doctorat nouveau régime d’Etudes africaines en 2000 à l’INALCO, 4 vol., 743 p. « la littérature comorienne de l’île d’ Anjouan. Essai de classification et de traduction des genres littéraires oraux et écrits ».
[vi] Voir son article intitulé « Ibrahim SAïndou : un poète de la révolution comorienne » publié dans la revue TAREHI n°8 juillet 2003 p7-11.
[vii] Ces poètes sont cités notamment
par DANIEL Ahmed dans un article de 18 pages intitulé « Ali Ben Ali, poète au service de la révolution comorienne »
[viii] Voir article précité
[ix] Témoignage de
Saidali Daoud (Mdama)