
C'est avec tristesse que nous venons d'apprendre le décés prématuré d'un Grand Homme survenu ce jour. Il s'agit d'Aimé CESAIRE, le père de la négritude et un icône de la poésie mondiale.
Ci-dessous certaines réactions et son portrait :
17 avril 2008
Le poète et chantre de la "négritude" Aimé Césaire était un "éveilleur de conscience" pour l’Homme noir, a déclaré à Dakar l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane.
Cheikh Hamidou Kane a aussi regretté qu’il n’ait pas été consacré par un prix Nobel ou intégré à l’Académie française. Aimé Césaire, décédé jeudi, "était un homme d’une dimension mondiale. Un Noir qui a acquis une stature mondiale du fait de la prise de conscience par l’Homme noir de sa condition et aussi de la prise de conscience par le reste du monde de la condition de l’Homme noir", a-t-il ajouté.
"C’est l’homme qui a éveillé à cette conscience de l’identité noire non seulement les Noirs de la diaspora mais, nous, les Noirs d’Afrique", a souligné Cheikh Hamidou Kane, auteur d’un des monuments de la littérature africaine "L’aventure ambiguë". "Il a été aussi éveilleur de conscience en ce qui concerne le débat sur le colonialisme", a-t-il précisé. "Il était vraiment très Sénégalais, très Africain. C’était admirable car au moment où il a vécu les Antillais que les Africains connaissaient étaient considérés un peu comme des auxiliaires du colonisateur, comme des Français à peau noire", a-t-il rappelé.
"Cahier d’un retour au pays natal, était un peu notre livre de chevet lorsque nous étions lycéens. Nous avions lu ce livre avec délectation, l’avons récité de
mémoire, moi-même et ceux de ma génération. Il a été un homme considérable dans notre vie", a-t-il rappelé. Mais "je regrette qu’il n’ait pas été honoré, consacré, salué comme il le
méritait au plan international", notamment avec "un prix Nobel, de la paix ou de la littérature". "Je regrette qu’il n’ait pas été honoré, comme l’a été Léopold Sedar Senghor, par
l’Académie française. Il méritait aussi d’être membre de cette académie", a-t-il affirmé.
17 avril 2008
Toute la classe politique a rendu jeudi hommage à l’écrivain Aimé Césaire, mort à 94 ans à Fort-de-France. La population martiniquaise et, au-delà, des Antilles et de la France d’Outre-mer, perd un de ses pères spirituels, écrit le président Nicolas Sarkozy.
Sarkozy salue « la mémoire d’un grand poète »
"En vérité, c’est toute la nation française qui est en deuil", poursuit le chef de l’Etat, qui salue "la mémoire d’un grand poète", d’un esprit "libre et indépendant" et de l’un des pères, avec Léopold Senghor, du concept de
"négritude".
"Ce fut un grand humaniste dans lequel se sont reconnus tous ceux qui ont lutté pour l’émancipation des peuples au XXème siècle", estime-t-il. "Il a incarné, sa vie durant, le combat pour la reconnaissance de son identité et la richesse de ses racines africaines. Par son appel universel au respect de la dignité humaine, à l’éveil et à la responsabilité, il restera un symbole d’espoir pour tous les peuples opprimés."
Le chef de l’Etat salue également la longue carrière d’élu politique de la Martinique d’Aimé Césaire. "Conscient des progrès que représentait la ’départementalisation’, il a su courageusement soutenir la loi de 1946 qui a mis fin aux colonies, sans pour autant rompre avec sa recherche identitaire qui constituait le coeur de sa vie", souligne-t-il. "Il restera pour nous tous l’une des figures les plus emblématiques de la classe politique de l’outre mer."
Nicolas Sarkozy adresse à la famille du poète et à ses proches ses "condoléances les plus attristées".
Réaction de François Fillon et de François Hollande
Le Premier ministre François Fillon a pour sa part salué dans un communiqué la mémoire d’un "représentant exceptionnel de
l’engagement poétique et politique", qui a "jusqu’à son dernier jour tourné son regard vers les combats de demain".
"Proche d’André Breton, le poète Césaire ne craignait ni la force des images, ni leurs ruptures. Il laissait naître de sa colère des chants puissants et durs", écrit-il. "Il mettait ses mots au service de la lutte pour la dignité humaine, en particulier celle des peuples colonisés et humiliés."
La ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, Michèle Alliot-Marie, a estimé que la "voix d’un sage" s’éteignait et qu’une "part de l’âme antillaise" disparaissait avec Aimé Césaire.
Le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, a rappelé qu’Aimé Césaire était un homme de gauche. "Tout au long de ses mandats de maire et de député de Fort-de-France, il a agi aux côtés de ceux qui se battent pour la reconnaissance de leurs droits et de l’égalité sociale", écrit-il dans un communiqué au nom du PS. Le dirigeant socialiste exprime sa "solidarité à l’égard de tous les Martiniquais profondément meurtris par cette disparition mais fiers d’avoir été représentés par un homme aussi exceptionnel".
Ségolène Royal a salué dans un communiqué en Césaire "un démineur d’hypocrisies, un porteur d’espoir pour tous les humiliés, un combattant inlassable de l’humaine dignité" et a demandé son entrée au Panthéon.
Le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a fait savoir que les députés observeraient une minute de silence au début de leur
prochaine séance solennelle, le mardi 29 avril, et qu’un "hommage particulier" serait rendu à leur ancien collègue.
L'ancien Président français, Jacques CHIRAC a salué "un homme de
lumière", et le secrétaire général de la Francophonie, le Sénégalais Abdou Diouf, a exprimé la "très grande émotion" de toute la "famille francophone".
Cette unanimité des réactions au décès d'Aimé Césaire tranche avec l'âpreté des combats menés par le poète-militant tout au long de sa vie. Ainsi Aimé Césaire avait-il d'abord refusé de rencontrer M. Sarkozy lors d'un voyage prévu par ce dernier, puis annulé, aux Antilles en 2005, en signe de protestation contre la loi de février 2005 dont un article reconnaissait "le rôle positif de la présence française outre mer". Le poète avait finalement reçu en mars 2006 celui qui était alors ministre de l'Intérieur, lui offrant son "Discours sur le colonialisme".

L’écrivain martiniquais Aimé Césaire est sans doute l’un des plus grands poètes du XXème siècle, dont la vision du monde et l’énergie créatrice ont marqué à jamais la littérature française et mondiale.
Un élève brillant
Né à Basse-Pointe en Martinique le 26 juin 1913, Aimé Césaire s’affirme très tôt comme un élève brillant. Il est âgé 18 ans quand, détenteur d’une bourse, il
débarque à Paris afin de suivre des études secondaires au lycée Louis le Grand. C’est là qu’il se lie avec le futur président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, au contact duquel il découvre
l’Afrique et les musiciens noirs-américains. Durant cette période, « il se décolonise de l’intérieur », dira-t-il plus tard.
L’Etudiant noir
Avec Senghor, ils redécouvrent la phrase du philosophe allemand Hegel qui affirme que « ce n’est pas par la négation du singulier que l’on va à l’Universel, mais par
l’appronfondissement du singulier ». Et Césaire de conclure : « Tu vois, plus nous serons Nègres, plus nous serons des
Hommes ». Admis à l’Ecole normale, Césaire devient président de l’Association des Etudiants Martiniquais en 1934 et fonde le journal L’Etudiant noir.
Le chemin de la Négritude
Toujours accompagné de Senghor, mais également de Léon-Gontran Damas et de Gilbert Gratiant, il jette pour la première fois les bases du concept de Négritude. Par ailleurs, aux côtés du
Sénégalais Alioune Diop, il est l’un des pères fondateurs des Editions Présence africaine, dont la vocation est de donner un moyen d’expression aux auteurs d’Afrique, des Caraïbes et de
l’océan Indien.
L’homme politique
De retour en Martinique, il est élu député en 1945 sous l’étiquette du Parti communiste français (PCF). Il travaille aussitôt à l’élaboration d’un nouveau statut pour les quatre anciennes
colonies que sont la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion.
La même année, il devient maire de Fort-de-France. Sans cesse plébiscité par les Foyalais, il occupera ce poste pendant plus d’un demi-siècle, marquant la première ville de la Martinique
d’une empreinte indélébile.
Départements d’Outre-mer
Lorsque Césaire se présente à l’Assemblée nationale le 12 mars 1946, il place la République française devant ses responsabilités : « entre désintégration et intégration, il y a de la place pour l’invention. Nous sommes condamnés à inventer ensemble ou à sombrer, et pas forcément
pavillon haut », s’exclame-t-il. Une semaine plus tard, les départements d’Outre-mer naissent officiellement et Césaire prend déjà sa place dans l’Histoire.
Fondation du Parti progressiste martiniquais
De l’immense bidonville hérité de la colonisation, Césaire fera une capitale digne de ce nom. « J’aime construire, j’aime bâtir. Nous, les
Nègres qui avons beaucoup subi, devons apposer notre empreinte sur la civilisation universelle », martèle l’écrivain. En 1956, année de l’invasion de Budapest par les chars
de l’Armée rouge, il dénonce « la rude main de Staline » et met un terme à son engagement au PCF. Décidé à forger chez les Martiniquais une conscience libre et citoyenne,
il fonde deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM).
L’écrivain
L’action politique de Césaire, poète et essayiste engagé, se retrouve dans ses écrits. Il entamera très tôt un long réquisitoire contre l’exploitation coloniale, le racisme et l’absence de
développement qui en découlent. Avec le Discours contre le colonialisme en 1950, il œuvre pour le réveil des identités culturelles, la dignité humaine
et la responsabilité historique des peuples. Il dénonce l’oppression exercée par l’Occident sur le Tiers-Monde. En 1941, il fonde à Fort-de-France la revue Tropiques, aux côtés de René
Ménil et d’Aristide Maugée.
Une logique universelle
Avec le concept de Négritude, Aimé Césaire inscrit son discours dans une logique résolument universelle. Il réaffirme à tous les déracinés et descendants d’esclaves la grandeur de la
civilisation africaine qu’il veut source de fierté pour tous les Noirs.
En 1939 déjà, avec Cahier d’un retour au pays natal, il amorce sa quête identitaire et pousse « un grand cri nègre ». L’ouvrage deviendra une source de référence incontournable pour tous les intellectuels des diasporas noires dans les décennies qui suivront. Subjugué par l’universalité de Césaire et par sa poésie surréaliste, l’écrivain français André Breton l’édite et le préface.
La quête de l’imaginaire
Dans une langue irréprochable, enrichie par des expressions issues de l’univers caribéen, la poésie de Césaire s’affirme dans un style qui fascinera également Jean-Paul Sartre. Pour
l’écrivain martiniquais, « la quête surréaliste permet de descendre au plus profond de soi-même et de libérer l’imaginaire du carcan de la langue ». De manière générale,
il affirme que « la poésie est la réappropriation de nous par nous-mêmes ».
L’homme de théâtre
Césaire politique, Césaire poète, mais aussi Césaire homme de théâtre. A partir des années soixante, il rédige différentes pièces dans lesquelles l’émancipation, l’Afrique et le héros noir
sont au centre de ses préoccupations. Avec La tragédie du roi Christophe (1963), Une saison au Congo (1965) ou encore Une tempête (1970), il s’impose comme un dramaturge internationalement
reconnu.
Insatiable combattant
Traduits dans de nombreuses langues, les ouvrages d’Aimé Césaire sont depuis longtemps l’objet de colloques et de conférences. L’Unesco lui a ainsi rendu un vibrant hommage en 1997. Apre
défenseur de la Négritude, insatiable combattant pour la désaliénation des peuples, le poète est celui de « la Fraternité universelle », pour reprendre une expression de Senghor.
Figure de proue pour de nombreux auteurs contemporains, Aimé Césaire a défriché le terrain sur lequel est née la créolité d’une nouvelle génération d’auteurs, à l’instar de Patrick Chamoiseau
et de Raphaël Confiant.
Principaux ouvrages
- Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, Paris, première édition en 1939.
- Les armes miraculeuses, Gallimard, Paris, 1946.
- Soleil cou coupé, Edition K, Paris, 1948.
- Corps perdu, Editions Fragrance, Paris, 1949.
- Discours sur le colonialisme, Editions Réclame, Paris, 1950. Réédité par Présence africaine en 1956.
- La tragédie du roi Christophe, Editions Présence africaine, Paris, 1963.
- Une saison au Congo, Editions du Seuil, Paris, 1965.
- Moi, Laminaire, Editions du Seuil, Paris, 1982.
- Nègre je suis, nègre je resterai (entretiens avec Françoise Vergès), Editions Albin Michel, Paris, 2005.