Au moment où l'Union des Comores est en train de célébrer l'Unité nationale retrouvée par la force des armes, il ne faudra pas oublier les intellectuels
comoriens qui ont combattu le ''serpent séparatiste'' par les armes de la plume.
Parmi eux,Ahmed Mohamed Chamanga (photo), universitaire installé en France. Au moment où beaucoup de ses pairs avaient fait profil bas pour laisser passer la tempête et que d'autres
jetaient de l'huile sur le feu à partir de leur clavier d'ordinateur, Chamanga s'est élevé avec la plus grande énergie contre le séparatisme.
C'est lui qui a écrit ces lignes dans un article émouvant : ''Chers Anjouanais (. ..) , a-t-il écrit dans un texte qui a frappé les esprits, s'il vous
plaît, lorsque vous aurez réussi à faire appareiller votre navire et à hisser les voiles, ne m'emmenez pas avec vous ! Laissez-moi couler tranquillement avec mon îlot solitaire. Je vous
souhaiterais bon vent. Mais vous ne m'empêcherez quand même pas de croire que ce serait vraiment dommage. Car, je continue à penser (…) que vous vous embarquez vers une destination
inconnue et irréfléchie (…)"
Il avait multiplié les prises de positions fournissant ainsi des textes d'analyse pertinents sur la crise d'Anjouan : ''On fait croire aux Anjouanais que la
résolution de leur problème de survie passe nécessairement par la coupure du cordon ombilical qui lie leur île à Moroni, en demandant notamment son rattachement à la France. Comment
peut-on berner les gens en avançant un argument aussi saugrenu qu'infantile? … Comment peut-on également faire croire qu'un État indépendant d'Anjouan aussi microscopique puisse garantir
une vie meilleure et plus prospère pour sa population, quand on sait ce qui s'y passe? " avait-t-il écrit dans un autre texte.
Chamanga s'était dressé, devant la folie générale armée de sa plume, contre ce qu'il a appelé le serpent à sept
têtes. Pour lui rendre hommage Al-Watwan publie ici une lettre ouverte qu'il avait alors adressée aux intellectuels d'Anjouan dans ces colonnes.
Lettre ouverte aux intellectuels anjouanais*
Que faire du serpent à sept têtes ?
''Messieurs,
Dans mon premier article paru dans Al-Watwan n° 479 du 29/08/97, je m'étais déjà étonné du silence que vous observez face à la crise anjouanaise. Les
informations que j'ai reçues par la suite me font penser, sans risque de me tromper, que vous êtes nombreux à ne pas partager la partition de notre pays. Que vous soyez en France, à la
Réunion, à Mayotte ou dans les autres îles des Comores ou ailleurs, je dirai même que vous êtes majoritairement hostiles à toute idée séparatiste. Mais, face à la surenchère des
séparatistes, je ne comprends toujours pas votre léthargie. Il est un moment où il n'est pas permis de se retrancher dans un mutisme suspect. L'heure est grave. La terreur - puisque c'est
ainsi qu'il faut qualifier l'orientation du mouvement sécessionniste qui sévit à Anjouan - s'abat dangereusement sur la population anjouanaise.
Je sais que le pouvoir de Taki, par ses maladresses, son insouciance et ses gabegies intolérables, a facilité la tâche des séparatistes. En effet, pendant
que la population se débattait contre les difficultés de la vie et que les fonctionnaires totalisaient plusieurs mois d'arriérés de salaire, le président Taki passait son temps à faire le
tour du monde, à coup de plusieurs millions de francs.
Ne mesurant pas l'ampleur de la crise, non seulement il l'a traitée avec arrogance et mépris, mais aussi avec une méthode d'un autre âge : une poignée de
gens envoyés sur l'île en catimini, chacun dans son village, avec une serviette pleine d'argent. Ces émissaires n'ont d'ailleurs pas tardé à être démasqués et ont dû prendre la fuite. Par
contre, Mohamed Abdou Madi - malin et opportuniste - (ce n'est pas par hasard qu'il a reçu le sobriquet de Moulin), une fois sur place, s'est empressé de retourner sa veste pour devenir
le porte-parole des rattachistes, après avoir empoché les trois millions de francs qui lui ont été confiés par le pouvoir. Cette manière de traiter le problème ne marche pas lorsque le
peuple, au bout du rouleau, est en état de révolte, et elle ne permet donc pas d'établir la confiance.
Je me demande pourquoi Taki, dès le début de la crise, n'a pas envoyé à Anjouan et à Mohéli une délégation officielle composée de ministres et de notables
grands-comoriens, anjouanais et mohéliens pour tenter d'y apporter un début de solution. C'était sans doute la seule voie qu'il fallait retenir. Malheureusement, Taki en a privilégié
d'autres qui sont plus contestables : la corruption et la force. Il porte ainsi une lourde responsabilité dans la dégradation du climat sécessionniste. On est d'ailleurs en droit de se
demander s'il souhaite sérieusement le dénouement de la crise. On peut aussi s'interroger sur l'utilité de la pléthore de conseillers qui l'entourent.
Les séparatistes, qui étaient marginaux dans l'opinion anjouanaise, mais très actifs sur le terrain, ont su ainsi profiter du mécontentement général pour
s'accaparer la direction du mouvement populaire. Ils ne mettront pas beaucoup de temps pour réclamer le rattachement de l'île d'Anjouan à la France, leur vœu de toujours.
Je voudrais d'ailleurs poser une question à ces soi-disant "vrais Anjouanais" : "Pouvez-vous me dire où se trouve le village de Sada-Mpwani?"
Lorsque, à travers les médias du monde entier incrédule, vous - intellectuels anjouanais - avez vu les gens arborer et hisser des drapeaux tricolores
partout (plus particulièrement sur le minaret de la grande mosquée de Mutsamudu) mais aussi se maquiller le visage avec la peinture tricolore, vous n'avez pas manqué de vous demander si
on n'était pas allé un peu trop loin.
''C'est une stratégie : il faut placer la barre très haut pour paraître en position de force lors d'une éventuelle négociation'', vous ont dit les
séparatistes. Selon ces derniers, c'était la seule voie pour se faire entendre et aussi empêcher Taki d'intervenir militairement, car il hésiterait à faire usage de la force contre… la
France. C'est du moins ce qu'ils vous ont fait croire. Et vous avez mordu à l'appât. C'est là que vous avez fait, à mon sens, preuve d'une très grande naïveté. Vous avez oublié que les
courants indépendantistes ou rattachistes d'Anjouan ne datent pas d'aujourd'hui.
Lorsque la demande de rattachement n'aura pas reçu l'accueil que les séparatistes escomptaient de la part de la France, ils n'hésiteront pas à sortir la
deuxième tête de leur serpent venimeux : l'indépendance. ''C'est une stratégie ! Nous savons que cela ne va pas aboutir! D'ailleurs, nous ne le souhaitons pas, mais il faut toujours
demander plus pour obtenir le minimum!'' vous ont-ils à nouveau assuré. Encore une fois, vous avez pris leur propos pour argent comptant. Vous ne faites même pas attention aux vomis
qu'ils crachent sur l'antenne de la "Radio d'Anjouan" contre le "démon" grand-comorien. Vous semblez ignorer les soutiens qu'ils bénéficient de la part de
l'extrême-droite française depuis l'indépendance des Comores.
Il faut reconnaître que les séparatistes sont très forts. Ils ont pu vous faire avaler le fait que tout est "stratégie". Le référendum, cette
troisième tête du serpent "séparatisme", entre également dans cette catégorie. Les 99,88 % de "oui" obtenus lors de ce scrutin ont permis à nos stratèges de sortir la quatrième, puis la
cinquième tête de notre fameux serpent : la formation d'un gouvernement et la prochaine élection présidentielle de "l'État d'Anjouan" où cet homme providentiel de Foundi Abdallah Ibrahim
est naturellement candidat.
Le principal reproche que me font les séparatistes, plus particulièrement ceux du défunt "Collectif Anjouanais de France", c'est de ne pas avoir
compris cette notion de "stratégie". C'est vrai que j'ai la tête un peu dure. Aussi, ai-je beaucoup de mal à accepter ce qu'ils veulent me faire ingurgiter, d'autant plus que le principal
responsable de ce collectif, du moins celui qui en était le porte-parole, ne m'inspire pas une totale confiance, lui qui connaît à peine l'île d'Anjouan. A-t-il déjà oublié le peu
d'intérêt qu'il avait toujours manifesté pour cette île ?
Les séparatistes me font remarquer encore que, ne vivant pas la réalité sur le terrain, je ne peux pas, de toutes les façons, comprendre. Je leur répondrai
que je ne suis pas aussi naïf qu'ils le croient. Sur mon ignorance de la vie quotidienne des Anjouanais, je dirai tout simplement que j'ai passé une bonne partie de ma vie dans l'île et
je crois avoir suffisamment assimilé la manière de penser de mes "co-insulaires". En outre, je ne me suis jamais coupé de mon pays. Je m'y rends régulièrement, pratiquement tous
les ans. Et, contrairement à ceux qui prétendent me donner des leçons, je parcours toute l'île de Ndzuani, en visitant même les coins les plus reculés. Ce qui me permet de me rendre
compte de visu dans quel état vit la population anjouanaise en particulier. Par contre, la plupart de ceux qui se disent plus Anjouanais que moi n'ont jamais franchi la rivière de
Mutsamudu vers l'ouest et ne sont jamais allés au-delà de l'aéroport de Ouani vers l'Est ; de l'intérieur de l'île, ils ne connaissent que l'hôpital de Hombo. Je voudrais d'ailleurs poser
une question à ces soi-disant "vrais Anjouanais" : "Pouvez-vous me dire où se trouve le village de Sada-Mpwani?"
Enfin, je voudrais préciser que ma vie en France me permet d'avoir assez de recul pour pouvoir porter un jugement que j'espère objectif. Je suis d'autant
plus sensible et conscient de la misère du peuple que, comme d'autres Comoriens, je me serre la ceinture pour pouvoir venir en aide à ma famille et mes amis restés au pays. À ce titre,
j'ai mon mot à dire ! C'est à ce titre également que je refuse la solution que préconisent les sécessionnistes.
''Si vous n'êtes pas d'accord avec notre indépendance, taisez-vous !'' nous disent les séparatistes. De quel droit veulent-ils nous empêcher de
donner notre point de vue sur l'avenir de l'île qui ne leur appartient pas plus qu'à nous ? ''Ah, justement ! Parlons de droit ! Où applique-t-on le droit ou la démocratie que vous
nous rabâchez en Afrique?'' nous rétorquent-ils. L'argument est fort. Il laisse augurer un bel avenir pour la population anjouanaise.
Comme moi, vous êtes nombreux à avoir reçu des menaces et des chantages sur vos biens et vos familles. Celles-ci ne manquent d'ailleurs pas de vous appeler
à la prudence. Comme vous êtes bien élevés, vous écoutez et obéissez. Pendant ce temps, les séparatistes font semer la terreur par leurs milices "embargos" interposées. Ne pensez-vous pas
qu'il est temps de rompre votre silence, au lieu de leur laisser le champ libre? Ne croyez-vous pas que la désobéissance est parfois nécessaire?
Souvenez-vous que, dans les contes comoriens, le coq ou le serpent à sept têtes est un monstre redoutable. Il finit par dévorer tout le pays car personne
n'ose s'opposer à lui.
Chers amis, qu'attendez-vous pour agir? Que nous soyons tous dévorés par ce monstre de séparatisme? Pensez-vous que les usurpateurs anjouanais, Foundi
Abdallah Ibrahim, Mohamed Abdou Madi, Abdallah Halifa, Charcane… et leurs acolytes expatriés soient suffisamment crédibles pour que vous leur accordiez votre confiance? Le passé de ces
gens vous est-il encore inconnu ? Vous ont-ils présenté leur projet de développement de l'île?
Au moment où j'écris ces lignes, je viens d'apprendre que Foundi Abdallah Ibrahim vient de sortir la sixième tête de son serpent : après les
présidentielles, il compte organiser à nouveau un référendum pour permettre au peuple d'Anjouan de manifester de manière sans équivoque son désir de rattachement à la France, en
indépendance-association.
Souvenez-vous que, dans les contes comoriens, le coq ou le serpent à sept têtes est un monstre redoutable. Il finit par dévorer tout le pays car personne
n'ose s'opposer à lui. Mais une femme réussit à prendre la fuite et se réfugie dans une grotte. Elle met au monde un garçon qui sera le sauveur. Ce dernier portera le coup fatal au
monstre : il ne se relèvera plus. Notre sauveur crèvera son abcès au niveau du gros orteil et ressuscitera les victimes.
Je vous invite, chers amis, à ne pas attendre l'arrivée d'un sauveur providentiel. Car nous avons ici un monstre d'un nouveau type. Il est très résistant.
Pour le mettre hors d'état de nuire, il faut nous unir et nous organiser pour sauvegarder notre unité nationale et notre dignité ! Abandonnez donc votre attitude que d'aucuns qualifient
de lâche ou d'opportuniste ! Ne jouez pas à cache-cache ! Les tracts, les déclarations ou les résolutions non signés n'ont aucune valeur. Faites-vous connaître ! Ainsi, ensemble, nous
démasquerons les traîtres à la nation comorienne ! Ensemble enfin, pour les Comores de demain, agissons avant qu'il ne soit trop tard, en tout cas avant que le monstre ne sorte sa
septième tête qui le rend immortel !”
Mohamed Ahmed-Chamanga
*Ce texte date de juillet 1998
NOTRE COMMENTAIRE :
Merci Alwatwan d'avoir pensé à rendre ce vibrant hommage à cet Homme même si pour ce qui est
de la fin du séparatisme dans notre pays, il convient d'être prudent et vigilant. Car il le mérite amplement. Chamanga est un Homme d'une simplicité incroyable et très honorable ; un vrai
Comorien digne de ce nom. J'ai eu le privilège de le côtoyer pendant la période dite "séparatiste", une période honteuse de notre histoire. C'était un Homme meurtri qui supportait très
mal ce qui se passait dans son île..son pays. Mais c'était aussi un Grand Homme (il l'est toujours !). Il
n'avait pas eu peur de
refuser d'être "un bon anjouanais" alors que c'était à la mode à cette période là - celui qui devait soutenir aveuglement ce qui se passait à Anjouan. Il était fier d'être
"un mauvais anjouanais" car il voulait mettre hors d'état de nuire "ce monstre d'un nouveau type qui était très résistant" et qu'il ne pouvait affronter qu'avec sa plume et son clavier,
deux armes redoutables.
Pour Chamanga, ces voyous qui avaient pris en otage Anjouan étaient malhonnêtes quand "ils
faisaient croire aux Anjouanais que la résolution de leur problème de survie passait nécessairement par la coupure du cordon ombilical qui
lie leur île à Moroni".
Il n'a jamais changé de position ou joué à l'hypocrisie. Il est tout simplement resté lui même en dépit de fortes pressions dont il a fait l'objet. Je me souviens encore
de ces tracts burlesques où on le présentait nu avec certains amis ; Je me souviens encore de ces gens qui menaçaient de l'agresser physiquement car ils ne supportaient pas ses écrits ;
Je me souviens encore de ce procès de la honte de mars 1999 dont il avait fait l'objet mais dont en réalité le vrai but était de museler tous les
Comoriens originaires d'Anjouan qui en France, refusaient de soutenir le "monstre" ; Je me souviens encore qu'il n'avait pas hésité à refuser un poste de Premier Ministre en dépit des
pressions familiales et amicales ; Je me souviens encore qu'il avait su résister à toutes les tentatives de récupération politique de notre combat.
CHAMANGA a tout simplement joué le rôle d'un vrai intellectuel, grâce à son intelligence, à son amour pour
les Comores et au soutien de certains amis et proches.
Merci cher ami. Surtout ne change pas. Continue à rester toi même !
Halidi (HALIDI-BLOG-COMORES)
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