André Oraison, Professeur de droit public à l’Université de La Réunion (Université Française et Européenne de l’Océan Indien).
Attention : le titre est de nous.
Nous avons publié d'autres articles du Professeur ORAISON sur le contentieux de Mayotte dans notre rubrique "Justice et droit".
Halidi Allaoui (HALIDI-BLOG-COMORES)
"La départementalisation de Mayotte est contraire au droit international"
En quoi, selon vous, la France viole-t-elle le droit international à Mayotte ?
André Oraison : "La consultation populaire qui a eu lieu en mars dernier est contraire au droit international public. Il faut remonter aux sources et au premier scrutin d’autodétermination organisé sur l’archipel des Comores le 22 décembre 1974. Ce jour-là, la population des Comores s’est prononcée à plus de 95 % pour l’indépendance. Mais en faisant le décompte île par île, on s’est aperçu que la Grande Comore, Mohéli et Anjouan s’étaient prononcées quasiment à 100 % pour l’indépendance alors qu’à Mayotte il y a eu une majorité des deux tiers pour le statu quo et le maintien dans la République française. Les résultats ne devaient pas être appréciés île par île, mais globalement. Juridiquement, Mayotte aurait dû suivre la voie des autres îles des Comores."
La départementalisation ne reposerait alors sur aucune base légale ?
"La départementalisation de Mayotte, revendiquée par les Mahorais, est contraire au droit international public de la décolonisation. Il ne faut pas oublier que c’est un pays composé de quatre îles qui a été admis aux Nations unies en 1975. A plusieurs reprises, l’assemblée générale des Nations unies a condamné la France pour son maintien à Mayotte et elle avait précisé que tout référendum ultérieur, mis en œuvre par la France à Mayotte, serait considéré comme une ingérence dans les affaires intérieures comoriennes."
Pourquoi cette condamnation n’a pas plus d’écho ?
"La France a un statut particulier au sein des Nations unies. Elle est l’un des cinq membres permanents du conseil de sécurité et aucune sanction ne peut-être prise contre elle, car elle peut opposer son droit de veto. Les cinq "grands" se sont attribué ce privilège en 1945, celui de violer le droit international sans risquer de sanctions. Si le contentieux était porté devant une juridiction internationale, il est certain que la France serait condamnée. Mais cela a peu de chances d’arriver. En droit international public, pour qu’un différend soit porté devant un tribunal il faut l’accord des deux parties en présence."
Vous craignez aussi des effets négatifs pour la population mahoraise, quels sont-ils ?
"La départementalisation va jouer comme une sorte de rouleau compresseur administratif français qui va niveler le statut des Mahorais et porter atteinte à une société qui est dans une large mesure traditionnelle, coutumière, attachée aux valeurs de l’Islam. Tout cela devra disparaître. Notre république est laïque et reconnaît les mêmes droits et les mêmes obligations à tous ses citoyens. Les Mahorais pensent qu’ils vont bénéficier des avantages économiques et en même temps conserver leurs spécificités, c’est incompatible."
Pourquoi les Mahorais veulent-ils alors un département ?
"Ils sont convaincus que ce statut rendra leur expulsion du territoire français impossible. Ce n’est pas vrai. Le statut de département ne donne pas la garantie absolue qu’une collectivité territoriale demeurera à jamais française. Il y a déjà eu un précédent avec l’Algérie qui était divisée en quinze départements avec le Sahara. Les Mahorais croient aussi que le statut de département est définitif sur le plan administratif. C’est faux. L’archipel de Saint-Pierre et Miquelon était à l’origine un TOM (Territoire d’outre-mer) et devient un département d’outre-mer en 1976. Une dizaine d’années plus tard, les habitants de Saint-Pierre et Miquelon ont été obligés de demander un nouveau statut de collectivité territoriale car ils ne pouvaient plus supporter les conséquences fiscales et douanières résultant de l’intégration dans le marché commun européen. La départementalisation de Mayotte pourrait avoir les mêmes effets."
Quel est l’intérêt de la France ?
"En maintenant Mayotte dans la République, elle s’est mise une première épine qu’elle ne peut plus enlever elle-même. La France ne peut pas se débarrasser de Mayotte, car ses habitants pourraient toujours invoquer la Constitution française et son article 5 qui dit que le président de la République est le garant de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. Le statut de Mayotte ne dépend plus ni de Paris ni de Moroni, mais des Mahorais et d’eux seuls. Le différend franco-comorien n’est pas prêt de prendre fin. Il existera toujours tant que les Mahorais ne changeront pas d’avis."
Propos recueillis par Pierre Leyral
Source : CLICANOO.COM | Publié le 25 août 2009