A ma tante
A mes cousins
A ma cousine
Le pire est arrivé en début d’après midi du mercredi 18 mars 2009. Il est parti ; il nous a quittés ; il nous a laissés pour que sa grande âme repose en paix.
Voilà un après midi blanc ; un après midi funeste. Comme je le déteste. Le blanc est encore là. Il nous pourchasse. Il refuse de se diriger vers le bunarti pour nous laisser tranquille. Même de loin, ce blanc torturant m’envahit et ne veut pas me lâcher. Avec ces kandzus et koffias blancs. Ou encore ce linceul blanc et ce drap blanc qui couvre désormais le lit de ma tante. Sans oublier cette robe et ce foulard blancs qu’elle doit porter pendant quatre mois et dix jours ainsi que ces nuits blanches qu’elle va passer. Elle doit aussi porter – temporairement (parait il) - le deuil peu importe sa lourdeur. Mais, il va de soi que le deuil va abuser de sa gentillesse. Il va certainement l’habiter pour toujours. Tout cela me hante. Quel temps lugubre ! Quelle couleur triste ! Couleur du deuil. Ouste !
Il, c’est ton mari
Il c’est votre père
Il, c’est mon oncle
Il c’est l’ami de tout le monde
Il, c’est « Monsieur » Ahmed Cheik alias baha Attou
Il, c’est tout simplement un homme qui avait le sens de l’humour et qui savait concilier le « dini wa duniya » - la religion et la vie
Quand ma sœur m’a téléphoné ce mercredi là vers 13 heures (heure de Paris) pour me demander de la "rappeler tout de suite car c’est TRES URGENT", je me suis demandé s’il fallait vraiment le faire de peur d’apprendre ce que mes oreilles ne voulaient pas recevoir. Même si, en réalité, je m’étais déjà préparé depuis mon entretien téléphonique de la veille avec ma cousine et mon cousin. J’ai commencé à appréhender la mauvaise nouvelle même si je m’efforçais de refouler avec fougue cette appréhension.
Hélas ! Quand j’ai rappelé, c’est pour entendre effectivement de la bouche de ma sœur la mauvaise nouvelle : « Baha Attou est mort ».
Sur le coup, j’ai repensé au pessimisme mais réaliste de ma cousine et à la sérénité dont elle avait fait preuve lors de notre conversation de la veille. Un réveil brut de ma mémoire qui boguait. Ses paroles bousculent encore mes nerfs solides : « les
médecins ont l’air d’être optimistes. Mais moi non. De toutes les façons ils le sont toujours. Je ne vois aucune amélioration. Bien au contraire. Mais on fait avec et on verra. ». Quelle
souffrance et quel désespoir de perdre un être cher !
Comme si cela ne suffit pas, il faut aussi que la souffrance de l’impuissance et de la résignation vienne s’ajouter dans ton chagrin profond, toi ma chère tante. Je l’ai ressenti quand je t’ai eue au téléphone quelques minutes après l’annonce de la mauvaise nouvelle : « tu transmettras la nouvelle aux autres et tu leur préciseras que nous avons tout fait mais ça n’a pas marché. » m’as-tu lancé en soupirant.
Oh que c’est dur et monstrueux d’écrire une telle lettre ! Oh que c’est triste et monstrueux de lire une telle lettre !
Mais n’est ce pas aussi notre cataplasme pour apaiser notre douleur comme tous ceux qui ont perdu des êtres chers ? Les morts ne sont t-ils pas heureux que quand ils ont des vivants ?
Croyez-moi chers tante, cousins et cousine quand j’affirme que même si mon corps est invisible, je suis à vos côtés. Mon cœur, mon esprit et toute ma force se trouvent à OUANI pour vous épauler et partager avec vous notre douleur indescriptible.
Oh ! Le temps passé n’arrange toujours pas les choses. La souffrance continue à ronger mes os.
Grâce à eux, j’ai aussi lu la célèbre sourate 36 « Ya sin » du coran avec toute la famille devant ce corps enveloppé dans un linceul blanc
Grâce à eux, j’ai aussi fait un douan et répété plusieurs fois la sourate 1 « Al fatiha » du coran pour notre cher défunt
Grâce à eux j’ai aussi récité le « Ayat il kursiyu » avant la levée du corps
Grâce à eux j’ai aussi porté sur mes épaules SON shilili, le cercueil de chez nous
Grâce à eux j’ai aussi participé à la prière mortuaire
Grâce à eux j’ai aussi serré, après l’enterrement, ces milliers de mains de tous ces gens venus de partout pour partager notre peine et dire au revoir à leur ami. Quelle foule !
La mort a encore fait preuve de sa lâcheté habituelle et injuste. Un ogre jamais rassasié ! Elle continuera à le faire. Hélas ! Elle s’est encore une fois attaquée à une personne vulnérable. Un homme de 76 ans qui était affaibli depuis quelques jours par une maladie et qui ne pouvait plus l’affronter. Jamais, elle n’avait osé le défier quand il possédait toutes ses forces ! Un Homme, de surcroit, qui aimait la vie !
Quelle lâcheté, en effet, de s’attaquer en permanence aux vulnérables et innocents : bébés, enfants, femmes enceintes, vieux, malades, accidentés, personnes qui dorment... ! Et souvent en cachette.
Pourquoi elle ose rarement défier les gens quand ils ont la plénitude de leurs forces ? Pourquoi elle n’a pas le courage d’affronter les gens à visage découvert ?
En tout cas, je vous combattrai tant que je serai là. Car vous ne m’intimidez pas. Vous ne m’impressionnez pas. Lâche que vous êtes, je suis convaincu que vous crierez victoire qu’une fois que je ne serai plus là.
A vous mes cousins
A toi ma cousine
La tâche sera difficile mais je suis convaincu que vous l’accomplirez avec brio. Accrochez vous à nos valeurs ancestrales pour réussir. Vous avez le devoir MORAL d’aider votre mère – ma tante – à « surmonter » sa peine et cette épreuve difficile. Ne la laissez pas s’enfermer dans la solitude, l’anxiété et le chagrin pendant et après ce « eda » horrible qui durera quatre mois et dix jours. Quatre mois et dix jours durant lesquels elle doit s’enfermer à la maison et ne pourra recevoir aucune visite d’homme, qu’elle serait susceptible de pouvoir épouser ! Un bon moyen pour achever une femme déjà détruite par le chagrin !
De plus, il ne sera pas facile pour elle d’oublier un homme avec lequel elle a passé plus de 40 ans de vie commune et de cohabitation pour le meilleur et pour le pire – avec des hauts et des bas. L’époux idéal que ses parents lui avaient offert alors qu’elle avait à peine 15 ans.
De mon oncle, Baha Attou alias « Mister big » comme moi, vous et les autres aimiez l’appeler (en contrepartie, il nous offrait quelques pas de danse au lieu de nous qualifier d’insolents ou d’impolis), de votre père et de ton époux, je garde le souvenir d’un homme vivant qui avait le sens de la générosité, de l’humour, de la tolérance, de la compréhension et de l’amitié.
Tous ceux qui t’ont côtoyé partout aux Comores, surtout à Ngazidja dans les années 60 et 70 quand tu étais fonctionnaire du Trésor Public et à Ndzuwani, ton île natale où tu étais rentré en 1980 pour apporter aussi ta modeste contribution au nouveau gouvernorat de notre pays fraîchement indépendant jusqu’ à ton départ à la retraite le témoigneront. Ou encore tous ces élèves, étudiants et personnes de passage à Moroni que tu hébergeais grâcieusement avec joie et recevais à bras ouverts dans ta résidence familiale de la coulée de laves en dépit de son exiguïté et sans que vous ayez forcément de lien de parenté.
Bien des gens de ta génération se rappelleront du musicien, du footballeur et de ces palabres de Msiroju, la célèbre place publique de la ville.
Oh Msiroju de mon enfance ! Je te cherche tous les jours. Vain effort. Apparemment. Avec ton arbre géant et ces brouhahas. Ces jeux de cartes, de dominos, de mdraha…. Ces festivités culturelles, nuptiales, politiques… Que du folklore ! De la véranda de notre domicile familial, mes yeux te caressaient tous les matins. Tu m’offrais en retour des clins d’œil amoureux. Aujourd’hui, de très loin je te montre mes larmes. A ton tour de caresser mes joues. J'en ai besoin.
Tes amis de la « place rouge » regretteront le départ prématuré d’un ami fidèle qui répondait toujours présent aux pique-niques de dimanche.
Dès le mois de juillet prochain, à l’occasion des mariages, partout à Ndzuwani, on sentira le vide. L’on entendra plus, en effet, cette voix suave de « Said Ahmed Cheik » dans les barzangué et l’on ne verra plus ce bon danseur de toutes les danses traditionnelles de l’île.
Quant aux jeunes de Wani, ils chercheront vainement, leur ami Baha Attou, cet homme élancé aux kandzu et koffia pointu qui savait concilier « le dini wa duniya », la religion et la vie. Car il ne sera plus ni sur les pistes des discothèques de la ville pour arpenter quelques pas endiablés de tcha tcha tcha et autres danses modernes ni à la mosquée pour accomplir ses obligations religieuses. Ils ne verront pas non plus ce passionné du sport au stade de football entrain d’admirer les jeunes qui s’entrainent tous les après-midis ou remettre des trophées et médailles aux vainqueurs de différentes compétitions sportives qui seront organisées au mois d’août prochain dans le cadre de la célèbre semaine culturelle et de la jeunesse de la ville.
Quant à ta famille, tu restes tout simplement irremplaçable.
Toi, le vivant qui aimais dire qu’il faut profiter de la vie tant qu’on pourra. Tu n’avais pas peur de la mort. Si Jean de la Fontaine était à nos côtés en ce moment, il allait certainement nous rappeler que sage que tu étais, la mort ne t’a pas surpris. Tu étais
toujours prêt à partir. Et c’est fait. Que ta grande âme repose en paix cher oncle ! Amen.
Avril 2009
Halidi Allaoui (HALIDI-BLOG-COMORES)