Agence comorienne de presse (HZK-Presse)
Comores / Société
Paris, lundi 06 octobre 2008 (HZK-Presse) – Depuis plusieurs années, le débat est lancé dans les milieux éducatifs sur les voies et moyens d’améliorer l’enseignement aux Comores, et de nombreuses études ont été faites, avec l’appui des partenaires extérieurs, sans parvenir à renverser cette tendance inquiétante à la dégradation du niveau scolaire, marqué année après année, par des taux d’échec aux examens et concours nationaux.
Mohamed Ahmed-Chamanga (photo), un des chercheurs comoriens spécialisé dans l’étude de
la langue comorienne, estime que l’introduction progressive de la langue comorienne est une des solutions envisageable, dès les deux premières années du cycle élémentaire de nos écoles. Dans
une interview exclusive qu’il a accordée à HZK-Presse/La Gazette, Chamanga estime que « l'enseignement en comorien ne doit pas être un enseignement au rabais, mais un enseignement qui
facilitera l'acquisition des connaissances et qui développera les facultés cognitives de l'enfant. »
Question : M. Ahmed-Chamanga, vous avez travaillé cet été sur l'introduction de la langue comorienne dans le système éducatif. Pourquoi est-ce une nécessité aujourd'hui ?
Mohamed Ahmed-Chamanga - C'est une étude faite à la demande du Ministère de l'Éducation Nationale, avec le soutien du PASEC (Programme d'Appui au Secteur Éducatif aux Comores, financé par l'Union Européenne). Vous n'êtes pas sans savoir que le système éducatif comorien est "malade". Tout le monde s'accorde à dire que le niveau général de l'enseignement baisse de plus en plus. Tout le monde s'accorde également à reconnaître le caractère inadapté de cet enseignement. Ce constat ne date pas d'aujourd'hui. Il remonte à la veille de l'indépendance. Les causes en sont multiples et ont d'ailleurs été relevées dès le début des années 1990, notamment lors des États Généraux sur l'éducation tenus à Moroni en 1993.
Pour répondre directement à votre question, l'introduction de la langue comorienne, ou plutôt d'une langue maternelle dans le système éducatif, n'est pas seulement une nécessité d'aujourd'hui. Elle l’était déjà depuis longtemps dans notre pays. Si elle n’a pas été faite, c'est parce qu'il n'y avait ni les compétences, ni les outils nécessaires pour cela. Nous disposons aujourd'hui d'études et de travaux suffisants.
Question : Est-ce que cela veut dire que nous allons remplacer le français par le shiKomori dans l'enseignement ?
MAC : - Il ne s'agit nullement de remplacer le français par le shiKomori. Il s'agit d'adapter l'enseignement à l'environnement de l'enfant, comme cela se fait d'ailleurs un peu partout dans le monde, sauf peut-être en Afrique dite "francophone". L'enseignement se fera entièrement en langue maternelle pendant les deux ou les trois premières années du primaire, avec une introduction progressive du français.
Question : En quoi la langue maternelle est-elle importante pour un enfant qui entre à l'école ?
MAC : Cela est très important du point de vue pédagogique. Comment voulez-vous ou pouvez-vous transmettre un savoir à un enfant qui ne comprend pas ce que vous lui dites ? Bien sûr, cela n'est pas impossible. Mais quelle perte de temps ! Et puis, sans entrer dans des querelles idéologiques, pourquoi voulez-vous que les enfants comoriens - ou africains en général - soient les seuls au monde à ne pas apprendre dans leur langue maternelle ?
Question : Certains pensent que rien ne sert de créer des troubles dans l'esprit de jeunes comoriens qui ont déjà du mal avec le français ?
MAC : C'est le système actuel qui crée des troubles dans l'esprit des enfants. Imaginez un jeune enfant qui, jusque-là ne parlait que sa langue maternelle et qui se trouve brusquement plongé dans un autre univers dont il ignore complètement le code ! Il est évident qu'il se sent totalement perdu. Il devient alors passif et fonctionne comme un robot en se contentant de répéter ce qu'on lui dit. Vous conviendrez avec moi qu'on est loin de l'objectif recherché qui est de lui apprendre à raisonner et à acquérir une autonomie de pensée.
D'ailleurs, si nous remontons un peu dans l'histoire de l'enseignement aux Comores, nous sommes tous d'accord pour reconnaître que nos aînés qui ont fréquenté l'école française dans les années 1930-1950 ont une meilleure maîtrise de la langue de Molière que nous-mêmes et, à plus forte raison, que les jeunes d'aujourd'hui qui font des études plus longues. Pourquoi ? Sans doute parce qu'ils entraient à l'école avec une certaine maturité d'esprit, puisqu'ils avaient au minimum dix ans. Même s’il y a certainement d'autres raisons...
Question : D'autres se demandent lequel des dialectes comoriens sera mis en avant dans l'enseignement ? Y a-t-il incompatibilité entre les quatre parlers comoriens ?
MAC : La langue comorienne est formée de quatre variantes régionales ou insulaires. Aucune de ces variantes ne sert de langue véhiculaire dans tout l'archipel. Pour ne pas créer justement des troubles dans l'esprit des enfants, on est convenu de conserver, du moins dans un premier temps, dans chaque île le parler local, tout en travaillant sur leur unification. Déjà, dès la première année du collège, les élèves apprendront (comme matière) un parler qui n'est pas le leur. Ainsi, un Grand-Comorien apprendra le shiNdzuani/shiMaore, l'Anjouanais le shiNgazidja et le Mohélien le shiNgazidja ou le shiNdzuani, etc., de telle sorte qu'arrivés en classe de 3e les élèves se sentent à l'aise dans n'importe quelle variante linguistique de l'archipel.
Ceci est important car, entre la variante shiNgazidja et la variante shiNdzuani en particulier, il y a des différences assez sensibles, notamment dans le domaine des formes verbales et des sons fonctionnels de la langue. Il est donc nécessaire que chacun puisse établir et intégrer les correspondances des formes rencontrées dans les divers parlers. On essaiera également d'uniformiser le plus possible les mots et les expressions dans les documents officiels.
Question : Les outils pédagogiques pour l'introduction du shiKomori dans l'enseignement sont-ils prêts ?
MAC : L'introduction du shiKomori dans l'enseignement ne se fera que si les conditions sont réunies pour en assurer la réussite. Quelles sont ces conditions ? Il y a la formation des maîtres et la conception des manuels scolaires et des outils pédagogiques. Cela prendra un peu de temps, mais c'est essentiel, car il y va de l'avenir de l'enfant comorien et du devenir du pays. L'enseignement en comorien ne doit pas être un enseignement au rabais, mais un enseignement qui facilitera l'acquisition des connaissances et qui développera les facultés cognitives de l'enfant.
Plusieurs phases sont nécessaires pour y arriver. Nous devons dans une première phase assurer la formation des formateurs. Cela interviendra dès 2009. Ces formateurs formeront à leur tour les "alphabétiseurs" et les élèves instituteurs. Des écoles pilotes au niveau de chacune des îles seront ensuite ouvertes, avant la généralisation du système dans une deuxième phase, si l'expérience s'avère concluante.
Une autre question se pose également : la formation et la conception des manuels et des outils pédagogiques demandent beaucoup de moyens. Les Comores peuvent-elles y faire face ? Je répondrai tout simplement que, quelle que soit la langue utilisée, l'enseignement nécessite beaucoup de moyens humains et financiers. Je suis d'ailleurs persuadé que lorsqu'il est fait entièrement en langue étrangère, le coût est à mon humble avis beaucoup plus élevé, car le pays reste totalement tributaire de l'étranger.
Les études et travaux sur la langue comorienne ont fait des progrès considérables ces dernières années. Nous pouvons envisager son introduction dans le système éducatif avec sérénité, tout en poursuivant la recherche.
Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime, Correspondant, Paris061008/mi/hzkpresse/6h00